Chronique lecture : Pilules roses


«Pilules roses . De l’ignorance en médecine» de Juliette Ferry-Danini, aux éditions Stock


Juliette Ferry-Danini, docteure en philosophie de la médecine, s’attaque à une référence pharmaceutique incontournable pour celles, si nombreuses, qui se tordent de douleurs plusieurs jours par mois : le Spasfon. Ces petites pilules roses qui remplissent les placards et les sacs des femmes et personnes menstruées depuis des décennies et qui pourtant… ne servent à rien.

L’autrice démontre comment le Spasfon, un des médicaments les plus vendus en France – et pourtant ni commercialisé aux États-Unis, ni en Grande Bretagne – et principalement prescrit à des femmes, constitue un «cas remarquable» du sexisme dans la médecine et dans la recherche pharmaceutique et médicale.

Ces pilules sont diffusées à outrance et vendues comme le seul et unique remède à leurs douleurs gynécologiques, obstétricales et abdominales – qu’il s’agisse de douleurs de règles, pose d’un stérilet, suite d’une IVG, grossesse… Et pourtant, leur efficacité n’a JAMAIS été avérée, alors qu’on nous les fait bouffer depuis notre adolescence et souvent dès nos premières règles, sans que jamais cela ne soulage les douleurs.

L’autrice, constatant elle-même son inefficacité, s’est alors penchée sur les études réalisées sur le Phloroglucinol, molécule du Spasfon, s’interrogeant également sur le biais sexiste qui semblait transparaître dans l’histoire du médicament. Une analyse méticuleuse des données médicales rassemblées durant ces 50 dernières années, sur ce médicament qui a été «avant tout pensé pour les femmes», raison pour laquelle le choix de pilules de couleur rose a été adopté. Lors de sa demande d’autorisation initiale, il n’a été testé que sur 10 femmes pour les règles douloureuses !

Sans surprise, 75% des consommateur-ices de Spasfon possèdent un utérus. Dans un contexte de mépris généralisé de la médecine envers les femmes, nombre de professionnel-les de santé, conscient-es de l’inutilité du Spasfon, continuent pourtant à le prescrire. Ce qui s’inscrit dans une stratégie constante de minimisation de la douleur des femmes. Comme si la souffrance devait être inhérente à la condition des damnées du patriarcat. Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français – CNGOF – minimise ainsi les douleurs menstruelles qui seraient «souvent montées en épingle par la mère et l’entourage de la personne». Selon cette organisation, «il s’agit de dédramatiser des douleurs banales et bénignes. Enfin, sans que l’on comprenne bien le rapport, il est recommandé de profiter des règles douloureuses pour aborder le problème de la sexualité», explique l’autrice.

Voilà donc le conseil des représentant-es des gynécologues français : vous avez mal, c’est normal, mais peut être avez vous un problème avec votre sexualité. Un relent de misogynie ressenti à des kilomètres et qui nous rappelle, sans même tenter de le dissimuler, la notion d’hystérie pourtant supprimée des classifications psychiatriques… mais qui continue de se diffuser dans l’imaginaire collectif et les représentations sociales patriarcales.

Un exemple particulièrement violent de la manière dont la science et la médecine méprisent encore aujourd’hui la douleur et la parole des femmes : le mythe du spasme comme explication aux douleurs des femmes, qui évoque précisément la théorie de l’hystérie, explique l’autrice. «Avons-nous ainsi troqué l’hystérie pour une théorie plus inoffensive en apparence, celle du spasme ?». «Ce sont les crises des femmes qui sont visées. Les femmes sont un marché profitable pour des laboratoires qui ont tout intérêt à ne pas traiter simplement la douleur mais aussi les « spasmes »».

C’est ensuite toute l’inertie des autorités sanitaires à ce sujet que Juliette Ferry-Danini décortique. On le rappelle, ce médicament a été commercialisé sans étude probante sur son efficacité pendant des décennies, et les dernières études confirment son inutilité en soulignant que «les données de la science ne permettent pas de conclure que le Spasfon a une efficacité sur les douleurs qu’elles soient abdominales, gynécologiques ou obstétricales». Mais l’industrie pharmaceutique a fabriqué de toutes pièces le mythe de la gélule rose bonbon comme seule solution, et peu importe que la moitié de la population continue de se tordre de douleur chaque mois…

Ce livre est édifiant sur le sexisme dans la recherche médicale, l’industrie pharmaceutique, ainsi que dans les pratiques quotidiennes du personnel soignant. Sans parler du mépris constant de la parole des femmes et la minimisation de leurs ressentis. Un ouvrage d’utilité et de santé publiques, qui souligne les biais sexistes de la médecine. À lire et à conseiller au plus vite aux professionnel-les de santé !

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