De la prison ferme pour un jet de peinture ?


En pleine canicule historique, la justice criminalise des militant-es écologistes


Deux actions avec de la peinture lavable sur Matignon et LVMH qui pourraient valoir de la prison pour Manon et Rachel, militantes de Dernière Rénovation.

Il fait chaud, très chaud, trop chaud, depuis des semaines en France et dans toute l’Europe de l’Ouest. Un épisode de canicule historique est même attendu ce week-end, avec des températures dépassant les 40°. Mercredi, 2 personnes dont un enfant de 12 ans mourraient dans les violents orages qui ont balayé le pays. Le lundi 30 juin est attendu comme la plus chaude journée du mois de juin jamais enregistrée. Des dizaines de départements sont en vigilance sécheresse et subissent d’ors et déjà des restrictions d’eau. Et ce, alors même que nous ne sommes qu’au mois de juin.

Ces événements extrêmes sont directement liés aux activités humaines, mais nous ne sommes pas tous égaux devant cette responsabilité : rappelons que 100 entreprises sont responsables à elles seules de 71% des rejets de CO2 imputables aux activités humaines.

Les vagues de chaleur telles qu’on les connaît en ce moment sont en passe de devenir la norme, et dans une France à +4°C, elles s’installeront de mai à septembre. Selon une note du Haut Commissariat à la Stratégie et au Plan, «88 % du territoire hexagonal pourrait être en situation de tension modérée ou sévère en été en matière de prélèvements en eau» d’ici 2050. Christophe Cassou, climatologue, directeur de recherche au CNRS et auteur principal du dernier rapport du GIEC, tirait de nouveau la sonnette d’alarme sur France Info le 20 juin dernier : «On ne s’adapte pas à un effondrement de la biodiversité, on meurt avec». Simple. Basique.

Et pourtant, en France en 2025, malgré la catastrophe qui est sous nos yeux et coûte la vie à des milliers de personnes chaque année – 61.000 morts en Europe à l’été 2022 à cause de la chaleur, des dizaines de milliers d’autres à cause de la pollution – on continue à criminaliser les militants écologistes.

«La répression que subissent actuellement en Europe les militants écologistes qui ont recours à des actions pacifiques de désobéissance civile constitue une menace majeure pour la démocratie et les droits humains» dénonçait le rapporteur spécial de l’ONU Michel Forst en 2024. «L’urgence environnementale à laquelle nous sommes collectivement confrontés et que les scientifiques documentent depuis des décennies, ne peut être traitée si ceux qui tirent la sonnette d’alarme et exigent des mesures sont criminalisés pour cette raison». C’est pourtant exactement ce qu’il se passe actuellement en France.

Ce mercredi 25 juin se tenait le procès de Manon et Rachel, militantes chez Dernière Rénovation, un collectif de résistance civile qui «vise à obtenir une victoire politique sur la rénovation énergétique, via des actions de perturbation non-violentes».

En octobre 2023, Manon, militante chez Dernière Rénovation, recouvre la vitrine du bâtiment Louis Vuitton des Champs-Élysées de peinture, pour dénoncer l’enfer climatique dans lequel Bernard Arnault – PDG de LVMH et homme le plus riche du monde – et ses amis milliardaires nous imposent. Rappelons qu’en 2024, Bernard a émis 1200 fois plus de gaz à effet de serre qu’un Français moyen.

Les voilà les véritables criminels, ceux qui devraient se retrouver au tribunal : la poignée de milliardaires qui décident sciemment de nous condamner toutes et tous au chaos climatique. Au-delà de leur style de vie indécent, ce sont avant tout leurs actifs financiers qui nous envoient dans le mur. Le patrimoine financier de 63 milliardaires français émet autant de gaz à effet de serre que 50% de la population française. Voilà ce qui devrait être criminalisé. Mais c’est à Manon que l’on demande 2000€ de dommages et intérêts. C’est Manon qui risque 1 an de prison avec sursis.

En novembre 2023, Rachel, militante chez Dernière Rénovation également, recouvre la façade de Matignon de peinture. Elle dénonce le manque de moyens accordés à la rénovation thermique des bâtiments. Pourtant, la rénovation des bâtiments est vitale pour toutes celles et ceux qui vivent dans des passoires thermiques et subissent de plein fouet la précarité énergétique. Ce sont près de 12 millions de Français à l’heure actuelle, qui doivent parfois choisir entre manger ou se chauffer l’hiver, et vivre dans des logements surchauffés lors des violentes vagues de chaleur.

Et l’État français, au lieu de se saisir de ce problème, se défausse : Eric Lombard, ministre de l’économie, annonçait carrément le 4 juin l’interruption du dispositif MaPrimRénov à compter du 1er juillet. Voilà ce qui devrait être criminalisé : les politiques néolibérales débridées de l’État mettent un coup d’accélérateur au réchauffement climatique, et le même État refuse d’aider ceux qui en subissent les conséquences de plein fouet. Mais c’est à Rachel qu’on réclame 160.000€ de dommages et intérêts. C’est Rachel qui risque 6 mois de prison ferme.

La France, non contente d’être le pire pays d’Europe en termes de répression policière, souhaite donc également décrocher la palme de la répression judiciaire, détenue jusqu’ici par l’Angleterre. C’est en effet là-bas que des peines de prison ferme ont été prononcées à l’encontre de militant-es écologistes. C’est le collectif Just Stop Oil, qui demandait la fin des énergies fossiles et a récemment annoncé la fin de ses activités, qui a payé le plus lourd tribut : 3300 arrestations, 180 peines de prison dont certaines de prison ferme jusqu’à 5 ans pour des blocages de route ou des jets de soupe. La France semble donc vouloir lui emboîter le pas en réclamant des peines de prison pour de simples jets de peinture lavable. Même s’il ne s’agit que des réquisitions de la procureure, elles envoient un signal gravissime. Riposte alimentaire – anciennement Dernière Rénovation – a publié un communiqué dénonçant cette procédure bâillon, et cette potentielle condamnation à un endettement à vie.

De nouveau, l’État et le capital marchent main dans la main pour écraser les voix contestataires et nous envoyer droit vers l’enfer climatique. Verdict attendu le 23 septembre prochain.

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