Après des années d’omerta et d’injustices en Bretagne, la toxicité des algues vertes reconnue le mardi 24 juin 2025. Enfin un espoir pour celles et ceux qui dénoncent l’agro-industrie ?

Après près de 10 ans de procédure, le verdict est tombé mardi 24 juin : la Cour administrative d’appel de Nantes condamne l’État à indemniser la famille de Jean-René Auffray, joggeur de 50 ans, retrouvé mort dans l’estuaire du Gouessant dans les Côtes d’Armor en 2016.
La Cour “retient la responsabilité pour faute de l’État, en raison de ses carences dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d’origine agricole qui est la cause principale de la prolifération des algues vertes en Bretagne”. En 2022, le tribunal administratif de Rennes avait de son côté nié le lien de causalité entre la mort de Jean-René Auffray et la prolifération des algues vertes, ainsi que la responsabilité de l’État.
Une décision historique
La victoire est donc double : pour la première fois, une juridiction française établit un lien direct et sans équivoque entre la mort de quelqu’un et la prolifération des algues vertes, et également la responsabilité de l’État français dans cette prolifération. Il s’agit donc d’un soulagement pour la famille, qui a dû batailler pendant près de 10 ans, se voyant opposer classement sans suite sur classement sans suite, comme si un homme en bonne santé de 50 ans pouvait décéder d’un œdème pulmonaire massif et fulgurant au milieu d’une plage infestée d’algues vertes, sans raison.
En réalité, il est démontré depuis longtemps que la décomposition des algues vertes provoque des émanations d’hydrogène sulfuré, un gaz mortel en cas de grande concentration dans l’air. Pour autant, la responsabilité de l’État n’est reconnue qu’à 60% : la Cour indique que le joggeur s’est mis consciemment en danger en allant courir dans l’estuaire. Malgré tout, l’avocat de la famille Maître Laforgue indique que “cette décision fera date et marque un tournant dans la lutte contre la prolifération des algues vertes en Bretagne”.
La Bretagne, un territoire abandonné aux algues vertes
Depuis 1971, où l’on a découvert ce phénomène pour la première fois à Saint-Michel-en-Grève, près de Lannion au nord de la Bretagne, ce sont des centaines de milliers de tonnes d’algues vertes qui recouvrent les plages chaque année. En 2021, la Cour des comptes établissait que le modèle agricole en était responsable à plus de 90%. “Les énormes marées vertes sont nourries par des pratiques agricoles intensives — il y a quatre fois plus de cochons que d’humains en Bretagne” expliquait le média Reporterre.
Les algues vertes se nourrissent du phosphore et de l’azote issus des nitrates rejetés par l’agriculture industrielle. Au milieu des années 60, le taux de nitrate se situait autour de 5 mg/litre, il est aujourd’hui de 33 mg/litre sur les côtes bretonnes. Dans les années 2000, les concentrations explosaient même jusqu’à 50mg/L. Rien de surprenant dans une région abandonnée aux appétits de l’agriculture intensive et des fermes usines : “La région ne couvre que 7% de la surface agricole française, mais concentre 50% des élevages de porcs français, 50% des élevages de volailles et 30% des bovins” rappelait Reporterre.
Le danger mortel que représentent les algues vertes sur nos côtes est connu depuis des décennies, mais savamment étouffé par le gouvernement. D’où l’espoir suscité par la décision du 24 juin. En 1989 déjà, un jeune homme est retrouvé sans vie à Saint-Michel-en-Grève, sur un tapis d’algues vertes. Régulièrement, des animaux – sangliers, chiens, chevaux – ont également trouvé la mort en se promenant sur des plages contaminées. En 2009, Thierry Morfoisse, un chauffeur de poids lourd de 48 ans chargé de transporter les algues vertes ramassées sur les plages, trouvait la mort au volant de son camion, dans les Côtes d’Armor. La justice a tout fait pour dissimuler l’affaire et nier le lien entre ces algues et le décès du travailleur.
Neuf ans plus tard, et malgré de nombreuses entraves à l’enquête, notamment des altérations de preuves et des tentatives de classement, le tribunal des affaires sociales de Saint-Brieuc reconnaissait pourtant qu’il s’agissait bien d’un accident du travail.
Une mafia agro-industrielle
En parallèle, les journalistes qui enquêtent sur la responsabilité de l’agriculture intensive ont subi des intimidations mafieuses. En 2021, la reporter bretonne Morgan Large retrouvait les boulons de l’une des roues de sa voiture entièrement dévissés. Une tentative d’homicide. La journaliste Inès Léraud, qui a enquêté sur l’agroalimentaire en Bretagne et en particulier les algues vertes, a subi des menaces et une attaque en diffamation devant la justice. “Environ vingt personnes meurent chaque année sur la côte, souvent emportées par les marées ou les courants. La question qui se pose est la suivante : certaines de ces personnes pourraient-elles s’être évanouies à cause du gaz toxique provenant d’algues, avant d’être emportées ? L’État n’a pas fait la lumière sur ces questions” indiquait-elle au Guardian.
L’État de son côté s’est vu sommé de prendre des mesures après la mort de Thierry Morfoisse. Le premier timide plan de lutte contre les algues vertes était lancé en 2010, soit plus de 40 ans après le début de la prolifération, avec des résultats plus que limités. Au contraire, l’État a tout fait pour pérenniser le modèle agricole productiviste mortifère. En 2018 il déposait un décret pour simplifier les autorisations de fermes usines. La loi Duplomb, contre laquelle se sont levées des milliers de personnes ces dernières semaines et qui doit être étudiée par une commission mixte paritaire ce lundi 30 juin, prévoit dans son article 3 une facilitation d’implantation et l’agrandissement des fermes-usines.
Dans un entretien accordé à Reporterre le fils de Jean-René, le joggeur défunt, l’affirme : “C’est la fin d’un combat pour notre famille mais ce n’est pas la fin du combat contre les algues vertes !” En effet, à peine quelques jours après le verdict, on apprenait les premières fermetures de plages bretonnes en raison de la présence d’algues vertes : samedi 28 juin, la mairie d’Hillion annonçait la fermeture de la plage de Saint-Guimond pour 3 jours à cause des émanations toxiques d’algues vertes. Le seuil d’alerte est fixé par le Haut conseil à la santé publique à 1 particule par million. Ce samedi à minuit, il était à 1,443.
Espérons que la décision de la Cour administrative d’appel de Nantes ouvre un nouvel espoir pour toutes celles et ceux qui se battent depuis des années contre le fléau des algues vertes en Bretagne.
AIDEZ CONTRE ATTAQUE
Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.