L’humanité vit à crédit depuis le 25 juillet, la justice internationale place les dirigeants devant leurs responsabilités

Alors que le « jour du dépassement » environnemental n’est jamais arrivé aussi tôt dans l’année, la Cour internationale de justice vient de rendre un avis historique qui place les États et multinationales fossoyeuses du climat devant leurs responsabilités.
Un jour du dépassement toujours plus précoce
Le désormais célèbre “jour du dépassement” a été atteint jeudi 25 juillet dernier. C’est l’ONG américaine Global Footprint Network qui réalise le calcul chaque année. Sans surprise, cette année encore, il survient plus tôt que l’année précédente. 2025 marque donc un nouveau record. Ce jour symbolise la date à laquelle l’humanité a consommé l’intégralité des ressources naturelles que la planète est capable de renouveler en une année, et émis plus de CO2 que la terre n’est capable d’en absorber. En moins de 7 mois cette année, on est arrivé à épuiser la terre. Petit rappel : on en a qu’une.
“Ce dépassement se produit parce que les humains émettent plus de CO₂ que la biosphère ne peut en absorber, utilisent plus d’eau que ce qui est reconstitué, récoltent plus d’arbres qu’il n’en repousse, pêchent plus vite que les stocks ne se reconstituent…” explique Global Footprint Network. À compter du 25 juillet, l’humanité vit donc à crédit. Il nous faudrait 1,8 planète pour être à l’équilibre aujourd’hui.
Si toute l’humanité vivait comme un-e Français-e, il faudrait 3,3 planètes, et 5 si nous vivions comme des étasunien-nes. Ce fameux modèle de “l’American way of life” que l’on nous vend depuis des décennies comme étant le summum du bonheur nous envoie droit dans le mur. Au Qatar, le jour du dépassement intervient même en… février.
En 1971, date de la première mesure, l’humanité vivait plus ou moins à l’équilibre : la date du dépassement était au 29 décembre. En 1990, on passe au 16 octobre, en 2000 au 16 septembre et en 2005 au 25 août. “Nous devons à la planète au moins 22 années de régénération écologique, même si nous arrêtions immédiatement tous les dommages” explique encore Global Footprint Network. Or, on est loin de ne serait-ce qu’approcher la régénération écologique. Entre 2022 et 2023, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 1,3%. En 2024, les banques ont augmenté de 22% leurs financements aux énergies fossiles, passant à 850 milliards de dollars.
Aggraver le réchauffement climatique devient “un fait internationalement illicite”
Un levier d’action inédit vient pourtant apporter un souffle nouveau à la lutte contre le réchauffement climatique. La Cour internationale de justice (CIJ) a prononcé le 23 juillet un avis consultatif historique. L’Assemblée générale de la CIJ “reconnaît que le changement climatique est un défi sans précédent de dimension civilisationnelle, et que le bien-être des générations présentes et futures de l’humanité dépend de notre réponse immédiate et urgente.” Le président de la CIJ, Yūji Iwasawa, a présenté ce document de 140 pages lors d’un discours de 2h proclamant de manière implacable le caractère irréfutable du changement climatique, et faisant de la science un fait juridique.
Tout commence en 2019, lorsqu’un groupe de 27 étudiants et étudiantes des îles du Pacifique (Pacific Islands Students Fighting Climate Change) démarre une campagne afin de convaincre le Forum des îles du Pacifique (un forum rassemblant les décideurs politiques de 18 États comme le Vanuatu, la Papouasie Nouvelle Guinée ou les îles Fidji) de porter le combat devant la CIJ. Ces États sont en effet en première ligne face au réchauffement climatique : la montée des eaux les menace directement de disparition dès aujourd’hui.
On se souvient du discours prononcé par le ministre des Affaires étrangères de l’archipel des Tuvalu, Simon Kofe, en 2021 : en costard, les pieds dans l’eau, pour alerter sur l’urgence de la situation. En effet, le pays est contraint dès à présent de planifier la migration de l’entièreté de sa population (oui, vous avez bien lu, TOUTE sa population) vers l’Australie, pour la sauver de la montée des eaux. Oui, nous en sommes déjà là. 6 ans après le début du combat, l’avis est donc rendu. Il est historique à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, il affirme l’irréfutabilité de la démonstration scientifique du changement climatique, et instaure le fait scientifique en fait juridique. Une première.
Ensuite, il pointe du doigt la responsabilité des pays riches et les somme “d’être à l’avant-garde de la lutte”. En effet, ils sont les premiers responsables du réchauffement climatique, et cet avis rend cette constatation non-négociable. De ce fait, ils pourront se voir demander une “réparation intégrale aux États lésés”. De quoi donner des sueurs froides aux grands pollueurs historiques que sont les États-Unis ou la France.
Un autre volet est capital : jusqu’à cette date, les États n’ayant pas ratifié les traités environnementaux internationaux n’étaient de fait pas liés par ces traités, et aucune poursuite ne pouvait être engagée contre eux pour leurs manquements. Or, la CIJ acte que même les États non partie ne peuvent échapper à leurs responsabilités qui dépassent les traités internationaux. Ainsi, les États-Unis ne pourront pas s’y soustraire, malgré leur retrait de l’Accord de Paris de 2015.
“C’est une décision historique, qui va avoir une portée très grande. Les avocats du monde entier vont s’appuyer sur cet avis” explique Anne Stevignon, juriste chez Notre affaire à tous. Même si l’avis de la CIJ n’est pas contraignant, il pourra être utilisé par les avocat-es engagé-es dans la lutte contre le réchauffement climatique. Et les tribunaux locaux ne pourront plus remettre en cause l’importance de cette lutte, comme ils le font encore régulièrement lors de procès contre des activistes du climat.
Il est enfin primordial de citer la mise en exergue du caractère potentiellement illégal de l’ouverture de nouveaux puits de pétrole ou tout autre projet fossile. Dès lors, des mégaprojets comme la bombe fossile EACOP en Ouganda, projet mené par TotalÉnergies, pourraient se voir traduits en justice.
L’application en France
En France notamment, cet avis pourra faire date. Le gouvernement est en-dessous de tout en matière de lutte contre le réchauffement climatique. La seule chose qui l’intéresse, c’est de nous envoyer à la guerre. Le 3 juillet dernier, le Haut Conseil pour le climat dévoilait son nouveau rapport accablant. Il pointait que “la dynamique actuelle des investissements publics et privés en faveur du climat ne permet pas d’atteindre les objectifs [de la France] à l’horizon 2030”. Comprendre : la lutte contre le réchauffement climatique est au point mort et n’intéresse pas nos gouvernants.
Les 3700 morts dues à la chaleur ? Peu importe. La baisse des émissions de gaz à effet de serre a considérablement ralenti et tous les secteurs sont concernés : agriculture, industrie, bâtiment, transports… Réponse du très détesté François Bayrou ? Zéro euro d’augmentation d’investissement pour l’écologie (comme tous les ministères, sauf l’armée) annoncée le 15 juillet dernier lors de l’annonce de l’orientation du budget de l’État.
Notre pays a pourtant déjà été condamné en 2021 pour inaction climatique, suite à une mobilisation sans précédent. Des ONG regroupées sous le nom de l’Affaire du siècle, portées par une pétition signée par plus de 2 millions de personnes en un mois, avaient porté l’affaire devant la justice. Elles accusaient l’État de ne pas respecter ses engagements pris lors de l’Accord de Paris de baisser ses émissions de gaz à effet de serre. Mais en 2023, le tribunal administratif de Paris avait refusé de contraindre l’État à une astreinte financière. C’est désormais le Conseil d’État qui statuera, et cet avis de la CIJ donne clairement de l’eau au moulin de l’Affaire du siècle. On pense également à la lutte contre les grands projets inutiles et dommageables pour le climat, comme l’A69, qui pourrait également se voir insuffler une nouvelle gifle.
Il est également évident qu’il va falloir s’attendre à des tentatives de la part des États à se soustraire à cet avis, qui ne sera pas suffisant pour renverser le rapport de force. À nous de les y contraindre. La lutte continue.
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