Les victimes d’un nouveau logiciel qui les prive de revenu s’organisent pour attaquer la sécurité sociale en justice

«Arpège», ce nom évoque la douceur d’une suite musicale. Pourtant, il est aussi synonyme de cauchemar pour des milliers de personnes en Loire-Atlantique et en Vendée. «Arpège», c’est le nom trouvé par des communicants pour nommer un «nouveau logiciel» visant à «moderniser» la sécurité sociale. Depuis le mois d’août dernier, il est en phase d’expérimentation dans les deux départements de l’Ouest.
Résultat : une catastrophe humaine à grande échelle qui brise littéralement des vies, et dont personne ne parle ou presque. Depuis août dernier, des milliers de personnes malades, victimes d’accidents du travail ou en congé maternité, ne reçoivent plus de prestation de la sécurité sociale. «Arpège» est une opération typiquement macroniste : saboter un service public vital qui fonctionnait pour le rendre inefficace, mettre tous les moyens dans la com’ et, surtout, mépriser les victimes de ces choix indignes.
Nous avons recensé des cas dramatiques. Par exemple des femmes ayant accouché il y a plusieurs mois et qui n’ont eu aucune rentrée d’argent pendant toute la durée de leur congé maternité, se retrouvant en grande précarité dans le moment particulièrement difficile de la naissance d’un enfant. Ou encore des salariés victimes d’accidents du travail ne percevant aucun revenu. Mais aussi des agents de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie qui ne peuvent pas débloquer des fonds pour les assuré-es, et assistent à des drames humains sans pouvoir intervenir. Et cette situation indigne dure depuis 10 mois, sans que les autorités ne fassent rien, ni que cela ne provoque de remous.
Nous avons interrogé O., qui a subi un lourd accident du travail au mois de janvier, et a failli perdre la vie. Il explique : «Je n’ai pas reçu les indemnités depuis plusieurs semaines et les premières ne correspondaient pas à l’indemnisation d’un accident du travail. Au bout de quatre mois d’arrêt, j’ai perçu en tout et pour tout 2.000 euros. Et à chaque fois ça a été fait sous forme d’acompte. Ce sont des agents qui se sont débrouillés pour réussir à me verser une somme.» Dans l’un des pays les plus riches au monde, avec un gouvernement qui offre des milliards aux patrons, les employés de la Sécurité sociale ont recours au système D pour verser quelques euros sous le manteau à un travailleur en danger.
O. nous décrit une situation kafkaïenne : «Je suis allé quatre fois sur place à la CPAM, j’ai eu 5 rendez-vous téléphoniques, à chaque fois les agents n’étaient en mesure d’intervenir sur le logiciel qui plante. Désormais je n’ai plus aucun versement depuis le 1er avril. On m’a même notifié un trop perçu de ce qu’on m’avait mis en acompte !» O. parle d’un préjudice financier mais aussi moral, et précise : «Personnellement je suis sous anxiolytique».
E. est une jeune maman dans la même situation. Salariée au SMIC, elle a accouché à la fin du mois d’août, et nous raconte : «Mon congé maternité était de mi-juillet à début novembre, je n’ai rien reçu avant janvier 2025. J’ai passé 7 mois sans aucune indemnité ! Mon dossier était prêt et transmis à la CPAM depuis le mois de mai». En août, la CPAM lui parle d’un «délai de traitement d’un mois». Sa fille naît et elle n’a alors «toujours pas touché un centime de mon congé maternité». Elle désespère. «On me promet par téléphone une régularisation mais ça n’arrive pas. En novembre mon congé maternité prend fin, toujours pas un centime de versé sur mon compte.»
L’accouchement a été compliqué : «J’aurai aimé pouvoir être arrêtée un peu plus longtemps car je n’étais pas prête à reprendre le travail mais je n’en avais pas l’option». Elle touche finalement la totalité des indemnités 7 mois après le début de son congé, après de nombreuses relances… Et le comble, c’est qu’après avoir touché d’un coup l’intégralité de la somme qui lui était due, elle se retrouve privée de certaines aides, car l’administration estime que «son quotient familial a augmenté». Kafkaïen.
Les cas sont innombrables. Faute de solution, les victimes de la CPAM crient leur détresse et tentent de s’entraider sur un groupe Facebook : «Les Sinistrés de la CPAM 44&85». Des histoires terribles y sont rapportées.
Par exemple une internaute parle de «prélèvements rejetés, loyer mutuel assurance et j’en passe ça devient catastrophique». Elle a aussi «perdu sa voiture» faute d’argent, le logiciel Arpège n’ayant pas calculé les bons taux auxquels elle a droit.
Une autre, habitant en Vendée et en arrêt longue maladie pour un cancer, raconte qu’elle n’est «pas payée depuis des mois par la CPAM» et se «retrouve avec des retards dans mes charges à payer.» Elle dit n’avoir reçu que des acomptes, distribués au compte goutte, et trouve «inacceptable» qu’un tel organisme nous prenne pour des andouilles et s’en fiche complètement que nous soyons dans des situations catastrophiques». «Nous n’avons que 50% de nos salaires et maintenant plus rien, comment faire pour vivre ? C’est une honte d’avoir à se déplacer sans cesse et de réclamer sans aucun retour. Car si vous ne réclamez pas ils ne bougent pas ni ne vous préviennent ni ne vous trouvent des solutions. J’ai un cancer qui ne se soigne pas et avec tout cela mon état en prend un coup comme beaucoup d’entre vous.» Elle enrage : «Que faut-il faire pour être respecté et écouté ?».
Un autre membre du groupe évoque sa situation : «Suite à un cancer, j’ai repris le taf à mi-temps, et ça fait 2 mois, toujours aucun paiement. La seul notification que j’ai eu, c’est le délai de paiement, c’est… 134 jours minimum ! Faut pas déconner, problème de logiciel de quoi !» Et pourtant, les agents de la CPAM aussi tirent la sonnette d’alarme. En novembre 2024, le personnel de la Sécu de Saint-Nazaire était mobilisé pour réclamer l’arrêt du logiciel Arpège. En décembre, des grévistes occupaient même l’accueil de la CPAM.
En janvier, un communiqué de la CGT dénonçait «la mise en place de cet outil» qui a «engendré des situations terribles pour des milliers d’assurés privés de revenus de substitution et pourtant déjà vulnérables car en arrêt de travail». Le syndicat soulignait que les salariés de la CPAM, eux-mêmes «confronté-e-s à l’outil informatique qui dysfonctionne», subissaient «un impact sur leur santé». Mais aucune réaction de la direction. En mars, le quotidien Ouest-France expliquait que le «retour à un fonctionnement normal prendra plusieurs semaines». Nous sommes en mai, et toujours rien.
La riposte s’organise du côté des naufragés de la sécu. O. explique : «J’ai une première fois menacé de faire un recours au tribunal administratif et j’ai reçu dans les 24H une première somme de 1.000 euros». Il propose que tous les assurés victimes du logiciel Arpège se saisissent d’un avocat commun, spécialisé en droit administratif, afin de poursuivre la CPAM. D’abord pour le non respect de la loi qui impose à la sécu l’indemnisation des personnes en arrêt de travail, mais aussi pour les préjudices économiques et sanitaires énormes que subissent des milliers de personnes. Notre interlocuteur s’inquiète du «passage à l’acte» des victimes du logiciel Arpège. En effet,les messages de désespoir publiés en ligne font parfois craindre le pire.
Un internaute dit la même chose sur Facebook : «S’il y a une plainte, et j’espère, il faut se porter partie civile pour des dédommagements».
Une adresse mail pour centraliser les cas et préparer une plainte collective pour obtenir des réparations en justice a été crée : arpege44@protonmail.com
N’hésitez pas à la contacter si vous êtes concerné, et diffusez la si vos proches le sont.
Un collectif de victimes d’Arpège va se constituer, et organisera une conférence de presse prochainement.
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