Lettre ouverte à mes juges


Une lettre de G., inculpé de la manif du 22 novembre


«Le 22 novembre 2014, peu après la mort de Rémi Fraisse (tué par la police), j’ai voulu me rendre à une manifestation contre la répression à Nantes. J’ai voulu y aller parce que dernièrement, nous subissons une répression importante lors des manifestations, avec des personnes blessées, mutilées ou bien arrêtées et poursuivies en justice. J’y allais, aussi, parce que le meurtre de Rémi Fraisse n’est pas un cas isolé et que chaque semaine, en France, la police tue des gens, principalement dans les quartiers populaires, les prisons et aux frontières.

Alors que j’arrivais en vue de la manifestation, trois policiers en civil me sont tombés dessus. Ils m’ont fouillé de force et ont trouvé un couteau à huîtres que j’avais oublié dans une poche de mon sac à dos. Ce sac, c’était les affaires que j’avais prises pour aller passer le week-end chez mes parents, dans le Morbihan, juste après la manif. Je n’ai malheureusement pas pu y aller, enfin, pas tout de suite, parce que j’ai passé les 24 heures suivantes dans une cellule de garde à vue. À la sortie de garde à vue, contrairement à ce qui se passe parfois quand les policiers ont juste utilisé un prétexte quelconque pour pouvoir enfermer les gens, ils m’ont remis une convocation en justice.

Au cours de cette garde à vue, j’ai eu le loisir de me demander pourquoi j’avais été arrêté. Même si c’est un couteau qui a servi de prétexte à mon arrestation, ce n’est pas pour cela que j’ai été arrêté. Des tas de gens se font contrôler avec des couteaux et ne sont pas arrêtés pour autant. Le jour de la manif, des gens qui n’avaient même pas une lime à ongle se sont fait arrêter pour avoir protesté lors d’un contrôle d’identité. Pourquoi donc arrêter des gens qui se rendent à une manifestation ? Pour écraser une lutte ? Pour faire taire une contestation ? Arrêter une petite vingtaine de personnes n’a pas de réel incidence là-dessus. Ma conviction, c’est qu’il s’agit d’une mise en scène pour appuyer le plan de communication de la préfecture. Le préfet aurait transmis la consigne suivante, «arrêtez une ou deux dizaines de personnes, sous n’importe quel prétexte, je veux pouvoir dire dans les médias que j’ai agi fermement». Ces arrestations laissent supposer une quelconque dangerosité des manifestant-e-s et justifie – après coup – le dispositif policier.

Si je m’étais fait enfermer 24 heures parce que quelqu’un me déteste, veut combattre mes idées politiques ou annihiler un mouvement dont je fait partie, je m’en serais fait une raison, je sais que c’est parfois nécessaire au maintien de l’État et des privilèges de la bourgeoisie et je n’ai déjà plus aucune illusion sur votre démocratie. M’enfermer pour se servir de moi dans un plan de communication, cela participe au même but, mais c’est de trop. Je me sens instrumentalisé. J’ai l’impression de n’être qu’un pion entre les mains du préfet et j’en sors passablement humilié.

Me demander de comparaître devant la justice, c’est poursuivre cette mise en scène. Sous la menace implicite d’une peine plus lourde, on cherche à me faire prendre une place active dans ce rôle. Pour pérenniser un ordre social d’inégalités généralisées, il y a besoin de la mise en scène de la justice. Il y a besoin de donner le spectacle d’une institution neutre qui veut le bien de tout le monde. Ces besoins ne sont pas les nôtres. Et bien vous savez quoi ? J’ai encore un peu de fierté ou d’amour propre, je ne viendrai pas. Pour la garde à vue, je n’ai pas eu le choix. Maintenant je peux choisir. Je ne suis pas à votre disposition. Si vous me voulez, il faudra venir me chercher. Et puis l’avantage pour moi de ne pas venir, c’est que si vous me collez de la prison, j’aurai une longueur d’avance pour fuir au Mexique.

Le couteau à huître, je m’en fiche. Il n’avait pas de valeur sentimentale. Il ne valait pas grand chose : cinq euro trente. N’empêche qu’on ne me l’a jamais rendu, alors j’espère que la prochaine fois que vous jugerez un-e pauvre qui aura volé un patron, vous aurez honte de vous. J’espère, aussi, que vous voyez tout le grotesque de votre fonction comme les autres le voient. Votre fonction consiste à accabler les petit-e-s délinquant-e-s pendant que ceux qui tuent et mutilent pour sauvegarder les privilèges des bourgeois continuent à pavoiser avec des flingues à la ceinture. Il faut reconnaître qu’ils sont mieux organisés que nous. Nous qui sommes en bas de l’échelle sociale, nous n’avons pas réussi à créer une organisation judiciaire à notre service.

Que crève la justice et tout les autres système d’oppressions.»


Lu sur https://nantes.indymedia.org/articles/30862 / Photo Evan Forget


À noter : contre la répression policière et judiciaire, en solidarité avec les inculpé-e-s de novembre, un rassemblement aura lieu lundi 19 janvier : RDV à 14h devant le tribunal et/ou à 18h place Bouffay. Plus d’infos : https://nantes.indymedia.org/events/30827

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