Cette semaine en Seine Saint-Denis s’est déroulé le procès des armes de la police. Plusieurs blessés par des tirs de Flash-Ball et de LBD – dont plusieurs nantais – sont venus témoigner à la barre. Les luttes se sont invitées au sein de la salle d’audience comme devant le tribunal. Un procès décisif, qui a mis au jour les violences d’Etat alors que les frères d’Adama Traoré sont harcelés par le pouvoir.
Médiapart revient sur les débats :
Le procès du Flash-Ball a tourné au procès des violences policières
Prison avec sursis, interdiction professionnelle et interdiction de porter une arme ont été requises à l’encontre de trois policiers jugés cette semaine à Bobigny pour des tirs de Flash-Ball. Six tirs, six blessés, dont Joachim Gatti qui a perdu son œil. Les victimes ont décidé d’aller bien au-delà de leur cas.
« Je suis ici pour raconter ce que c’est que de recevoir un tir de Flash-Ball et de perdre son œil. Au-delà de la douleur, c’est aussi être défiguré, perdre son identité visuelle, celle avec laquelle on a un rapport immédiat avec les gens. Il y a quelque chose en vous qu’on tue, c’est une petite mort. » Joachim Gatti se tient bien droit à la barre du tribunal. Le jeune homme a pris la parole, ce mercredi 23 novembre, pour raconter son histoire. Celle qui a brutalement basculé le 8 juillet 2009 au soir, lorsqu’il a reçu un tir de Flash-Ball à Montreuil, lors d’un rassemblement destiné à protester contre la fermeture de la Clinique, un lieu occupé le matin même.
Trois policiers étaient jugés cette semaine dans cette affaire. L’un d’eux, le gardien de la paix Patrice Le Gall, est accusé d’être l’auteur du tir qui a défiguré Joachim Gatti, ainsi que d’un second tir qui a touché une autre victime, elle aussi partie civile. Deux autres policiers, le gardien de la paix Julien Vanderbergh ainsi que le brigadier Mickaël Gallet, sont eux aussi jugés pour des tirs ce même soir. Six tirs de Flash-Ball, six personnes blessées, dont cinq touchées au-dessus des épaules.
Joachim Gatti, alors âgé de 34 ans, n’a pas seulement perdu son œil ce soir-là. Il a également perdu sa profession. Réalisateur et monteur, la fatigue oculaire l’empêche à présent de faire son métier. « J’ai ensuite perdu mes droits d’intermittent du spectacle. J’ai été au RSA pendant longtemps. Ensuite, j’ai fait beaucoup de travaux précaires », dit-il au mitan du procès.
Jeudi en fin de journée, le procureur Loïc Pageot a requis trois ans de prison avec sursis, trois ans d’interdiction professionnelle et cinq ans d’interdiction de porter une arme à l’encontre de Patrice Le Gall ; et dix mois de prison avec sursis, dix-huit mois d’interdiction professionnelle et cinq ans d’interdiction de porter une arme à l’encontre de Julien Vanderbergh et Mickaël Gallet. Lors de son long réquisitoire, le procureur a semblé prendre la mesure de la portée symbolique de cette affaire. Après être revenu sur les événements, Loïc Pageot a estimé que les faits relevés pouvaient « être clairement imputés aux trois prévenus ». « Mais était-ce une violence illégitime ? », s’interroge le procureur, avant de redonner la doctrine d’usage du Flash-Ball, celle du maintien de l’ordre.
Dans cette affaire, les policiers n’ont montré « ni la nécessité, ni la légitime défense, et encore moins le discernement », conclut-il, « quant à la proportionnalité, ce n’est même pas la peine d’en parler ». « La population a besoin d’une police qui assure sa sécurité mais aussi d’une police qui respecte ses citoyens », ajoute Pageot alors que, dans l’assistance, les policiers venus en soutien de leurs collègues secouent la tête, « il n’y a pas d’impunité policière ».
Avant ce réquisitoire, les deux avocates des parties civiles, Mes Irène Terrel et Émilie Bonvarlet, avaient plaidé tour à tour. La première s’était interrogée sur « le rapport de la police à la vérité », au vu de la « longue liste des faux témoignages, des faux PV » qui émaillent les dossiers de violences policières.
Ses confrères, chargés de la défense des trois policiers, ne jouaient pas une partie facile vendredi matin. La meilleure défense fut donc l’attaque. D’abord du fait de l’agent judiciaire de l’État (AJE – qui représente l’État dans les procès correctionnels où des demandes de réparations sont faites) ; celui-ci a plaidé l’incompétence du tribunal correctionnel : dès lors que les policiers sont en opération de police administrative, les demandes de réparations auraient dû passer par la justice administrative. Mais l’AJE est aussi entré dans le fond du dossier : pour l’avocate, « il n’est pas crédible que les 20 témoignages policiers soient mensongers ».
S’en sont suivies les plaidoiries des trois avocats de la défense. Le représentant de Julien Vanderbergh a tenté de démontrer que son client ne pouvait se voir attribuer de façon certaine que ses tirs aient blessé qui que ce soit. « Une condamnation au bénéfice du doute ne saurait être envisagée », lance l’avocat, qui met aussi en cause la hiérarchie, « qui fait faire n’importe quoi à ses fonctionnaires ». L’avocat de Mickaël Gallet parle à son tour, et évoque lui aussi le « néant en ce qui concerne les éléments matériels ». « La preuve n’est pas apportée que Mickaël Gallet ait touché quelqu’un, la relaxe s’impose », conclut l’avocat.
Dernier à parler, Me Laurent-Franck Liénard, avocat de Patrice Le Gall, est sans doute le plus attendu. Parce que son client, qui est accusé d’avoir blessé Joachim Gatti à l’œil, risque le plus ; et parce que l’avocat lui-même, de par ses positions publiques, a clairement choisi le camp de la police.
Dans une salle chauffée à blanc, où deux incidents avaient déjà marqué l’audience le matin, le petit homme sec semble savourer ses effets et ses provocations. Il fait mine d’interroger le procureur et les avocates des parties civiles : « Vous pensez qu’il y a collusion entre les policiers sans penser qu’il peut y avoir collusion entre les manifestants, qui partagent la même pensée ? » Il accable le Flash-Ball, arme imprécise par excellence, en expliquant que son client était « obligé de sortir ce machin ». « On lui a toujours vendu le Flash-Ball comme un coup de poing à distance. Il risquait des coups de poing et de pied quand la foule chargeait, la proportionnalité, elle est parfaite ! »
Pour conclure, Me Liénard lance une mise en garde plus générale : « Le jour où les policiers ne se lèveront plus le matin parce qu’ils ont peur, ce ne sera pas des délinquants armés qu’il faudra avoir peur, mais plutôt des citoyens qui se disent victimes aujourd’hui. » On entend grincer les dents des partisans des parties civiles. Le président du tribunal met le jugement en délibéré au 16 décembre, après quatre jours et demi d’un procès qui semble avoir dépassé son propre cadre.
« Une invention idéologique »
Le tournant du procès, son dépassement vers quelque chose de plus politique, avait eu lieu mercredi, avec la venue des témoins des parties civiles. Non pas des témoins des événements jugés, ni même des témoins de moralité, mais plutôt des témoins de “l’immoralité policière”.
À la reprise de l’audience mercredi matin, le président du tribunal tient d’abord à lire des extraits de l’audition d’une personne chargée de former les policiers à l’utilisation du Flash-Ball. Où l’on apprendra que cette formation ne dure que six heures, dont seulement la moitié de pratique, que dix cartouches environ sont tirées par les policiers, et que le taux d’habilitation est « d’environ 100 % »…
Le président appelle ensuite Béatrice Prigent, experte auprès de l’INPS, Institut national de la police scientifique, à la barre. Âgée de 49 ans, commandante de police et experte en balistique, la dame parle comme un rapport de police, bien droite et les mains dans le dos. Elle redit les conclusions de son expertise : les blessures de Joachim Gatti, de “Flo” et de Gabriel sont compatibles avec un tir de Flash-Ball, celle de R. ne « correspond pas à la description habituelle du fait d’une brûlure associée », celle d’Igor ne correspond pas non plus, et celle d’Éric « ne peut être attribuée à une cause quelconque ». « Dans tous les cas, une compatibilité entre la blessure et un tir de Flash-Ball ne prouve pas que ce soit bien la cause », s’empresse d’ajouter l’experte.
Le cas de R., dont la blessure présentait selon le médecin une trace de brûlure sur l’un des côtés, a occupé une partie des débats. L’experte est d’abord formelle : une balle de Flash-Ball ne peut en aucun cas brûler. Elle finit cependant par reconnaître, pressée par l’avocate des parties civiles, Me Terrel, qu’une abrasion et une brûlure sont « très proches par leur aspect ». En d’autres termes, le médecin, qui n’est pas un médecin légiste, peut tout à fait avoir utilisé abusivement le terme « brûlure » pour décrire une « abrasion ».
Les débats se poursuivent sur l’une ou l’autre des conclusions de l’experte. Pour finir, plus rien n’est vraiment sûr. Une « blessure compatible » ne prouve pas grand-chose, mais une « blessure pas compatible » n’exclut rien non plus. L’experte finit par reconnaître qu’elle n’a pas eu beaucoup de cas de blessures de Flash-Ball. « C’est mon seul cas », souffle-t-elle, tandis que parmi les bancs de l’assistance, côté partie civile, on entend des soupirs.
L’avocat du gardien de la paix Patrice Le Gall, Me Laurent-Franck Liénard, tente alors un petit effet de prétoire. Il présente à l’experte un blouson siglé « police » présentant « la trace d’un tir de mortier », puis lui demande ce qu’elle en pense. Pas grand-chose apparemment. Me Terrel s’énerve, de même que le procureur pour qui cette pièce ne respecte pas le contradictoire. Me Liénard remballe son blouson en souriant. L’important était sans doute de refaire planer l’hypothèse des tirs de mortier sur le procès, quand bien même aucun témoin ne vient la confirmer.
Un second expert est appelé à la barre. Voici Thierry Subercazes, un petit homme dynamique qui mime toujours ce qu’il raconte. Expert en balistique, il a corédigé un rapport avec le docteur Marceau Spithakis dans lequel ils concluaient en résumé que seule la blessure de Joachim Gatti était compatible avec un tir de Flash-Ball. Mais l’hypothèse d’un tel tir pour Igor, Gabriel, Éric et Flo ne peut pas non plus être écartée, toujours selon le rapport. Enfin, pour R., la désormais fameuse « brûlure constatée » semble exclure un tir de Flash-Ball. « Nous n’avons travaillé que sur pièces, précise Thierry Subercazes. C’est un dossier faible techniquement. »
En revanche, la connaissance de l’expert en matière de Flash-Ball est étendue. Celui-ci a réalisé tout un tas de tests, sur un chevalet, avec une visée laser. Les résultats sont éloquents : à 12 mètres, l’imprécision du tir est d’environ 30 cm, mais « de temps en temps, et même souvent, c’est 60 centimètres, et là, c’est la tête ou les parties génitales qui peuvent être touchées ». La salle tend l’oreille, l’expert développe sur la précision : « En fin de compte, quand vous faites un point visé, point touché à 20 mètres, c’est un coup de bol. J’ai là tous mes dossiers, je peux vous montrer, je n’ai jamais fait un point visé, point touché, jamais. C’est un tir aléatoire, hein. » Puis il poursuit, toujours sur la même idée : « Sur un chevalet, dans un tir à 12 mètres, on parvient à tenir les 60 centimètres [de précision – ndlr]. Au jugé, ça relève du coup de bol. » Le président envoie l’assistance déjeuner.
À la reprise, vers 13 h 30, la salle est nettement plus remplie, les policiers plus tendus. À l’extérieur du tribunal, des gendarmes en tenue de maintien de l’ordre patrouillent. Me Terrel, à l’entrée, doit sortir sa carte pour passer en priorité. C’est que l’audience va prendre un tour plus politique. Les témoins appelés par les parties civiles sont destinés à « mettre en lumière un débat large sur la question » du Flash-Ball, a expliqué Gatti en fin de matinée, une arme qui « n’est pas seulement une invention technique mais aussi une invention idéologique ».
Premier à se présenter à la barre, Pierre, étudiant, a été blessé en 2007 par un tir de LBD (lanceur de balle de défense, successeur du Flash-Ball), il y a perdu son œil droit. Il refait l’histoire de cette arme, introduite en 1995 dans les quartiers populaires, progressivement remplacée en 2007 par le LBD 40, même si le Flash-Ball reste encore utilisé.
Vient ensuite Nathalie Torselli, 60 ans, dont le fils Quentin a été éborgné à Nantes en 2014, « alors qu’il ne présentait de danger pour personne ». « À la douleur suit l’incompréhension, puis la rage pour les parents », explique posément la femme. Elle décrit au tribunal son « marathon judiciaire », qui s’est terminé par un non-lieu car le policier n’a pu être identifié. Pour elle, utiliser le Flash-Ball consiste à « tirer sur une personne pour en effrayer mille autres », mais « ça en révolte mille aussi ». « Nous n’étions pas révoltés mais nous le sommes devenus », conclut-elle.
Le témoin suivant, Christian Tidjani, a lui aussi vu son fils touché par un tir en plein visage en 2010, à l’occasion de la mobilisation contre la réforme des retraites. « Celui qui a cette arme peut à loisir devenir juge et bourreau », dit M. Tidjani. « En tant que parents, on est révoltés par ce qu’il se passe », ajoute-t-il, la voix brisée par l’émotion. « À chaque tir, il y a un procès-verbal qui est, comment dire, erroné, je dirais même que c’est un faux », accuse-t-il. Puis s’adressant directement au président du tribunal : « Faites bien attention aux procès-verbaux. Êtes-vous sûr de n’avoir jamais condamné quelqu’un sur la foi d’un faux PV ? » Le président, qui vient de condamner le sociologue Nicolas Jounin sur la foi, justement, d’un PV fort contesté à l’audience, ne réagit pas.
« Démonstration de toute-puissance »
La question de la présentation des faits par les forces de l’ordre est à nouveau posée avec le témoin suivant. Florent Castineira, 25 ans, a lui aussi perdu un œil. C’était en 2012 à Montpellier, juste avant un match de football. La version officielle soutient pendant plusieurs jours que les policiers de la BAC sont intervenus pour des échauffourées aux abords du stade ; mais la vidéosurveillance montre que l’intervention, et la blessure de Florent Castineira, dit “Casti”, ont eu lieu vingt minutes avant lesdites échauffourées. « Une fois qu’on est touché, c’est toute sa vie qui bascule », explique le jeune homme. Car depuis, explique-t-il, les policiers lui en font baver dans tous ses déplacements de supporteur montpelliérain. « À Rodez, explique-t-il pour illustrer son propos, les CRS m’ont par exemple accueilli en se cachant un œil, tout en souriant. Un peu plus tard, les flics m’ont dit “viens, on va te crever le deuxième”. »
Le témoin suivant, Omar Slaouti, enseignant, habitant d’Argenteuil, vient parler du « hiatus énorme entre la police et les quartiers populaires », et rappelle en passant l’étude du Cevipof selon laquelle plus de 50 % des policiers et militaires ont voté Front national en 2015. Mais c’est d’abord du cas Ali Ziri qu’il est question lors de son témoignage. Cet homme de 69 ans est mort en juin 2009, deux jours après son arrestation pour conduite en état d’ivresse. Le dossier a subi une longue litanie de non-lieux (voir ici le dernier de nos nombreux articles sur le sujet). Pour lui, ce dossier illustre le fait que « la police se structure, discute, fait pression parfois sur l’IGPN [la police des polices – ndlr) ». « La vraie question, c’est est-ce que la justice est indépendante des pressions policières ? », s’interroge-t-il gravement.
Dernier témoin de la journée, Amal Bentounsi, du collectif « Urgence, notre police assassine », un « nom volontairement provocateur », précise-t-elle d’emblée. Elle raconte à nouveau l’histoire de son frère, abattu par la police d’une balle dans le dos. Une fois encore, des témoins ont contredit la version policière, mais l’auteur du tir a été acquitté (lire notre compte-rendu du procès). « Le constat est là, les policiers se sentent au-dessus des lois, dit-elle. Je n’ai pas la haine de la police, mais la haine de l’impunité policière et de l’injustice », ajoute-t-elle dans un sanglot. La salle de fige. « Il y a des vies qui comptent et d’autres qui ne comptent pas », lance-t-elle en posant une nouvelle fois la question : qui enquête sur la police ? La séance est suspendue pour la journée.
D’autres témoins se présentent jeudi matin, toujours à la demande des parties civiles. C’est d’abord le frère de Wissam el-Yamni, mort à la suite de son interpellation le 1er janvier 2012 (nos articles sont ici). Pour Farid el-Yamni, il n’y a « pas une affaire où il n’y ait un dysfonctionnement voulu ». Il pointe tout autant le rôle du parquet, de l’IGPN, des experts… « Cinq ans après la mort de mon frère, nous n’avons toujours pas la vérité. La police de la police enquête à charge contre les victimes », dit-il. « Que ce procès serve aujourd’hui à ça : une opportunité de se demander dans quelle société on veut vivre. »
Cédric, travailleur social de 31 ans, se présente ensuite. Il parle au nom du collectif Stop violences policières, qui s’est constitué au printemps en marge de la mobilisation contre la loi sur le travail, après une rencontre entre le collectif de défense (DefCol) et les street medics. C’est cette association qui a lancé au mois d’août une vaste saisine du Défenseur des droits : 68 saisines individuelles, parmi lesquelles 17 concernent des personnes touchées par des tirs de Flash-Ball ou de LBD 40. Il évoque « l’ampleur et le systématisme des violences policières », rappelle les trois mutilés graves du mouvement du printemps : un à Rennes, deux à Paris. Cédric met surtout en garde, alors que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, vient d’annoncer le retrait d’ici à la fin de l’année des Flash-Ball au profit des seuls LBD 40 : « En dix ans, le LBD a mutilé autant que le Flash-Ball en vingt ans, c’est en cela qu’il est plus efficace. »
Se succèdent ensuite deux jeunes femmes pour témoigner de ce qui se passe à Calais, dans la « jungle » pour les migrants, et autour pour les citoyens qui les aident. Luce, d’abord, de la Cabane juridique, qui intervient sur les violences civiles et policières touchant les réfugiés de Calais, « mais surtout les violences policières ». Le bilan est accablant : « Nous avons recueilli 66 témoignages, qui ont abouti à 52 plaintes, il y a eu 10 auditions de l’IGPN, zéro procès. » Lucie, qui témoigne ensuite, expose les violences indirectes qui touchent les personnes aidant les réfugiés : convocation par la police des propriétaires de leur logement, visite impromptue de policiers en armes pour vérifier un bail, arrestations abusives pour outrage, délation au journal local de l’adresse précise des militants, etc.
La matinée avance et les témoignages s’enchaînent. Aline Daillère, responsable France de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), qui a publié en mars dernier un vaste rapport sur les violences policières (lire notre article), vient raconter les difficultés rencontrées par son association pour trouver des données précises : très peu de chiffres et une « grande opacité ». À quoi s’ajoute la question spécifique de l’utilisation du LBD 40 et du Flash-Ball. Le problème de ces armes, c’est « l’usage disproportionné, l’usage banalisé, qui en est fait », dit Aline Daillère. « Nous avons recensé 42 blessés graves à cause de ces armes depuis 2004, 23 ont perdu un œil, 29 présentent des blessures irréversibles. »
Le témoin suivant a failli ne pas arriver dans la salle d’audience. Dabe Mamadi, d’origine malienne, est là pour témoigner des violences policières visant les sans-papiers à Montreuil. « À l’entrée, j’ai bien montré ma convocation, mais les policiers ne m’ont pas cru. Non, pour eux, ce n’était pas possible qu’un Noir du Mali viennent témoigner au procès. » Dans la salle, les soutiens des parties civiles sourient, les policiers beaucoup moins, de même que le président du tribunal. Solène Nguyen, du Collectif 8 juillet, vient conclure la série de témoignages. Elle était sur place le 8 juillet 2009, milite depuis « pour comprendre ce qu’il s’est passé ». Pour elle, le geste des policiers s’apparente à « une démonstration de toute-puissance », « la police a tiré sur la solidarité » que représentait le lieu occupé de la Clinique.
Cette solidarité n’a pas été oubliée par les victimes. Jeudi soir, au terme des réquisitions, Joachim Gatti a dit quelques mots à la presse, à la sortie du tribunal. « Ce qu’on a fait lors de ce procès, ce qu’on a gagné, c’est qu’on a fait exister la parole de dizaines de victimes de violences policières. Aujourd’hui, toutes nos pensées vont à la famille d’Adama Traoré [ce jeune homme mort à Beaumont-sur-Oise en juillet lors de son arrestation, et dont deux frères viennent d’être placés en détention – ndlr]. On essaye de criminaliser cette famille parce qu’elle se bat. » Autour de lui, des dizaines de personnes se mettent à crier « liberté pour les frères Traoré ». Les quelques policiers, en civil ou en tenue, qui se trouvent sur le parvis, observent la scène, impassibles.