
Décidément, dès qu’une mobilisation pour réclamer «plus de sécurité» a lieu en France, elle fait la Une de tous les médias. On se souvient des manifestions de policiers à l’automne 2016, qui défilaient armés et cagoulés en dehors de tout cadre légal pour réclamer un permis «élargi» de tirer à balles réelles. En quelques jours, le gouvernement de l’époque se pliait à leurs revendications. En janvier 2018, les matons manifestent depuis plus de 10 jours pour réclamer «plus de sécurité», notamment en bloquant l’entrée des maisons d’arrêt. Ici encore, le mouvement est au centre des attentions médiatiques et politiques, et l’on entend parler quotidiennement du «mal être» de la profession. Bizarrement, quand il s’agit d’autres secteurs du monde du travail, c’est beaucoup plus silencieux. Des centaines d’ouvriers en bâtiment meurent chaque année d’accidents du travail. Des dizaines de cheminots se sont donnés la mort l’an dernier. Des caissiers et caissières entament une grève à Carrefour, contre des milliers de suppressions d’emplois. Qui en parle ?
Le plus incroyable est que dans la surenchère répressive initiée par les gardiens de prison, on n’entend jamais la voix des premiers concernés : les détenus eux mêmes. Car les seules personnes impactées par les grèves et les blocages devant les taules sont les prisonniers. Concrètement, les détenus sont privés de parloir, de douches, d’achats, de promenades, voire de possibilité de taffer dans la prison, pour gagner quelques euros pour améliorer l’ordinaire. Par exemple, certains prisonniers n’ont pas pu se laver, ni voir leurs proches, ou même sortir de cellule pendant plusieurs jours.
Une situation, évidemment contraire aux droits fondamentaux, déjà largement bafoués au quotidien dans les prisons françaises. Avant même le mouvement des gardiens de prison, la situation était déjà explosive : surpopulation carcérale, gavage médicamenteux de certains détenus, problèmes d’hygiènes, et morts fréquentes. À Nantes, la prison de Carquefou a connu plusieurs suicides depuis son ouverture en 2012. Dans ces circonstances, les violences ne peuvent que survenir. Et le fait de donner plus de pouvoir, d’armement et de moyens répressifs aux matons, ne fera qu’aggraver la situation.
Dans les taules, les résistances s’organisent, en parallèle des blocages effectués par le personnel de la prison. Par exemple à Fleury, Nantes, Clermont-Ferand et ailleurs, des détenus refusent de regagner leurs cellules. Les médias parlent de «mutineries». Pour mater ces rébellions en milieu fermé, l’État déploie les grands moyens, en envoyant une police d’élite, ultra-violente et suréquipée, réservée aux prisons – les ERIS, équipes régionales d’intervention et de sécurité. Ils ont été envoyés à plusieurs reprises ces derniers jours dans la prison de Carquefou, mais aussi dans d’autres établissements du pays. Des violences et des armes utilisées de l’autre côté des murs, nous ne savons rien. Les CRS sont également déployés, pour effectuer les taches qui ne sont plus remplies par le personnel pénitentiaire. Autre exemple : un détenu d’une prison auvergnate a saisi la justice pour protester contre les conditions dégradantes : «9 jours sans douche». Le lendemain, un début de mutinerie avait lieu dans le même établissement.
En guise de représailles, certains prisonniers ont été déplacés ou mis à l’isolement. Un communiqué écrit par des personnes enfermées à Fleury-Mérogis met des mots sur ce mouvement de désobéissance «contre la conquête sécuritaire qui se joue en ce moment». Il dénonce les «violences quotidiennes à l’encontre des détenus – insultes régulières, coups, pressions administratives, les suicides réguliers, les piqûres forcées, les cellules en flamme […], et même les viols». Les détenus racontent une récente opération «de terreur comme on n’en voit qu’en prison à l’encontre des détenus, et alors que rien ne s’était encore passé […] plusieurs dizaines de surveillants et d’Eris, armés, cagoulés et près à intervenir étaient déployés dans toute la prison. Alors que les départs en promenade se faisaient sous pression, ponctués de coups de matraque et de bouclier, de fouille à nu arbitraires et d’insultes diverses». Les auteurs appellent à la «mobilisation, à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons.»
Dans un contexte de répression généralisée, il est de plus en plus probable, pour beaucoup, de se retrouver derrière les barreaux, pour une manif, un petit vol, un deal, un outrage à agent… De l’autre côté des murs, des miradors et des barbelés, faisons exister les voix de celles et ceux que personne n’écoute.
- Tribune d’un collectif de détenus incarcérés à la maison d’arrêt des hommes de Fleury Mérogis :
https://paris-luttes.info/tribune-d-un-collectif-de-detenus-9450 - « Nantes : Plus de 130 détenus ont refusé de regagner leurs cellules »
https://www.presseocean.fr/actualite/nantes-plus-de-130-detenus-refusent-de-regagner-leurs-cellules-24-01-2018-260161
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