
Ce samedi 27 janvier 2018, en fin de matinée, des pro-aéroport, des survolés trahis et des anti-zadistes, ulcérés par l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, se sont réunis au soleil devant la mairie de Saint-Aignan de Grand-lieu, commune limitrophe de l’actuel aéroport de Nantes, pour accueillir la ministre des Transports, Élisabeth Borne, sous des huées dont la cible principale était Nicolas Hulot ! Un de nos reporters infiltrés nous livre un témoignage exclusif, au cœur de l’action, entre mocassins à glands et retraités communistes.
Par un étonnant retournement dans l’identification des résistants, une chanson entonnée sur l’air du Chant des partisans annonçait clairement les intentions de tous les «sacrifiés pour quelques batraciens» : «aujourd’hui on est tous là, on s’soulève !». Malgré un tel élan révolutionnaire plutôt typique d’une jeunesse révoltée, la population manifestante avait en réalité pour principale caractéristique qu’elle ne comptait à peu près aucun représentant de la tranche d’âge 15-30 ans. Et sa composition ne manquait pas davantage de piquant puisqu’on y trouvait, entre autres, des patrons, des élus de droite, des militants du Parti Communiste en quête d’électeurs, des propriétaires fonciers spoliés, des parents d’élèves de l’école «libre» et d’autres de l’école publique ou encore des footballeurs aux couleurs du club local et quelques gentlemen farmers. Une belle occasion pour ces gens si dissemblables de voir et ressentir que la lutte et le sentiment d’injustice favorisent l’être-ensemble tant ils permettent de dépasser des oppositions majeures qui deviennent alors secondaires ! Une occasion, aussi, de comprendre en acte que le récent abandon qu’ils condamnent d’un grand projet imbécile n’avait pas eu pour autre origine que l’agrégation indéfectible d’agriculteurs, «d’altermondialistes», de «casseurs», de régionalistes bretons, d’encartés au MODEM, d’écolos, etc.
Pour les 600 personnes en colère rassemblées (des enfants rameutés en nombre ont pu être manqués en raison de leur taille), il importait au premier chef de crier haut et fort au «déni de démocratie», à la «trahison», et d’exprimer son dégoût par un autodafé de cartes d’électeur.
Alors que le slogan «les zadistes en bout de piste» faisait florès, la tension est montée vers 12h30 lorsqu’un vieux camion aménagé est apparu à l’horizon, portant fièrement ses autocollants «Non à l’aéroport» et «ZAD». Après un coup de poing dans la carrosserie en réponse à un aimable salut de la main d’une passagère, le véhicule a poursuivi paisiblement sa route avant que ses trois occupants se présentent sur zone cinq minutes plus tard. Face à un tel affront, les plus énervés se sont empressés d’aller quérir des gros bras en renfort, les plus légalistes d’aller signaler aux gendarmes la présence de provocateurs «zadistes». Devant la menace et les poings brandis, un pro-NDDL porté à l’apaisement a même dû en venir à repousser l’un des assaillants en expliquant excédé qu’on «ne peut pas crier au déni de démocratie et ‘‘en même temps’’ agresser ceux qui ont le courage de venir nous écouter et nous entendre».
Une fois les protagonistes séparés par deux jeunes gendarmes arrivés in extremis et intervenus avec tact (ils finiront par faire semblant de procéder à un contrôle d’identité des «zadistes» pour calmer le jeu), les échanges qui ont suivi ont tout d’abord brillé par leur délicatesse.
Extrait :
– un pro-NDDL énervé aux gendarmes dont il espérait sans doute obtenir interpellation et fouille à corps : «de toute façon, c’est tous des drogués ces mecs là. Ils puent le cannabis.»
– le pro-NDDL pacifique : «arrête, on s’en fout ; c’est pas un argument… ça pourrait être retourné contre nous car y’en a pas mal chez nous qui puent l’alcool.»
Et la suite des échanges fut encore vraiment plus croustillante :
– les «zadistes», en réponse à un flot d’anathèmes : «nous on est là pour vous écouter et on vous comprend. […] On peut venir là quand vous voulez pour vous aider à construire des cabanes en bout de piste… Nous on ne veut pas de ce monde là ; on était contre NDDL et on est aussi contre l’allongement de la piste ici.»
– un pro-NDDL ouvert à la discussion, visiblement interloqué : «Ah, bah c’est gentil, merci !»
Le slogan «les zadistes en bout de piste» ne relevait finalement pas de l’ironie mais de l’appel à l’aide. Et il a bel et bien été entendu, au-delà même des espérances de ceux qui le hurlaient cinq minutes plus tôt : les «zadistes» sont manifestement volontaires pour s’installer «en bout de piste» avec «armes» et bagages ! Ils sont venus le dire en délégation à Saint-Aignan et la jonction entre opposants à l’extension de la piste de Nantes Atlantique et «zadistes» de NDDL semble paradoxalement en bonne voie. Macron et Vinci ne devaient pas s’y attendre ni davantage aux complications à venir qui pointent doucement le bout de leur nez.
Le ton étant ainsi donné, les choses sérieuses pouvaient commencer. Peu de temps après, il a juste fallu que des mains innocentes ou volontairement provocatrices se saisissent de quelques ganivelles de protection pour que tout bascule. Une ligne de tête constituée de survolés déçus parmi les plus «déters» s’est alors lancée à corps perdus contre le cordon de gendarmes départementaux qui leur faisait face. Rien de bien méchant ni de contondant dans ce déchaînement spontané de violence. Juste trois ou quatre minutes de bousculade énergique et de corps-à-corps musclé le temps que les gendarmes mobiles stationnés en retrait en viennent à faire la différence.
Dans n’importe quelle manifestation nantaise ordinaire, une telle agression physique des forces de l’ordre, sans même que celles-ci n’aient affiché la moindre attitude détestable, aurait déclenché une riposte instantanée sous forme de charge de la BAC bidule en main, de tir de LBD 40, de lacrymogènes et de grenades de désencerclement. Là, non. Les rares LBD 40 en présence étaient sagement portés crosse repliée, les gazeuses à main rangées dans les gilets tactiques et les casques accrochés à la ceinture. Les pro-NDDL, les survolés trahis et les anti-zadistes ont eu bien de la chance… À moins qu’ils n’aient fait l’objet d’une bienveillance toute particulière que d’autres manifestants ne connaissent plus depuis bien longtemps à Nantes.
Pas d’éborgnés dans leur rangs, pas de garde à vue, pas de risque de condamnation pour violence contre personnes dépositaires de l’autorité publique en comparution immédiate… À moins que le maire de Saint-Aignan demande demain à la justice que les casseurs et les provocateurs qui ont dénaturé l’esprit pacifique de la manifestation soient identifiés sur les images de la gendarmerie et des télévisions et impitoyablement poursuivis et punis par de significatives peines de prison ferme. Pas sûr qu’il le fasse… D’autant mieux que le témoin direct Alain Mustière ne manquera pas de répéter, comme il l’a dit aux micros de TF1, qu’il n’a rien vu d’autre que «des gens qui bousculent des barrières» ; surtout pas des casseurs !
En tout cas, ce fut là une manifestation bien chaude et pleine d’enseignements. Les survolés trahis ont pu découvrir que les «zadistes» qu’ils exècrent sont finalement leurs alliés à défaut d’être leurs amis. Les membres les plus radicaux des troupes d’Alain Mustière, pour leur part, ont pu éprouver qu’il n’est jamais besoin de participer à une manifestation avec l’intention d’en découdre avec les forces de l’ordre pour se trouver progressivement conduit à s’en prendre à elles, comme ça, sans l’avoir explicitement voulu dès le départ. Si l’on ajoute que les mêmes se seront aussi aperçu qu’il vaudrait sans doute mieux prévoir des cagoules à l’avenir – leurs exactions ayant été filmées –, on a peut-être assisté à la génération spontanée d’une nouvelle radicalité protestataire et prête à faire tomber le gouvernement Macron. Et peut-être aussi à un embryon de création d’une ZAD en bout de piste de Nantes-Atlantique… Quoi qu’il en soit, «Saint-Aignan debout» s’est un peu soulevée samedi midi.
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