
Dimanche 24 juin, des élections étaient organisées en Turquie, pour élire le président et les députés. Un scrutin très important dans cette grande puissance aux portes de l’Europe, où le pouvoir est confisqué depuis plus de quinze ans par un clan d’extrême droite : les «islamo-conservateurs» de l’AKP, menés par Recep Tayyip Erdogan. Malgré la montée en puissance de voix d’oppositions dans ce pays sous état d’urgence, le chef d’État en place, Erdogan, reste au pouvoir, en remportant les élections dès le premier tour avec 52% des voix. Le président avait fait voter un an plus tôt un renforcement considérable du pouvoir présidentiel, et espérait un «plébiscite» pour asseoir son hégémonie. Au terme d’un vote entaché par la répression et les fraudes, il osait : «nous avons donné au monde entier une leçon de démocratie». Quelques informations sur la situation.
1 – Un régime cadenassé
La campagne électorale s’est focalisée – comme en Europe –, sur des thèmes racistes et sécuritaires, notamment contre les réfugiés syriens, nombreux en Turquie, et le peuple Kurde. L’État d’urgence, en place en Turquie depuis juillet 2016 a déjà renforcé les pouvoirs du chef d’État et a entraîné une vague de répression gigantesque : des dizaines de milliers d’opposants sont emprisonnés, des journalistes sont assassinés ou surveillés, une police politique toute puissante – le MIT – officie sur le territoire comme à l’extérieur. Près de 100.000 fonctionnaires ont été licenciés et parfois assignés à résidence. En parallèle, les députés ont voté une loi interdisant toute poursuite judiciaire contre le personnel du MIT, garantissant une totale impunité pour la police du Régime. Entre autres crimes, ses agents ont notamment aidé des groupes djihadistes, participé à des réseaux mafieux et enlevé ou assassiné des opposants. En 2013 trois dirigeantes kurdes, Fidan Doğan, Sakine Cansiz et Leyla Söylemez, étaient exécutées à Paris, très probablement par le MIT. Du reste, le régime est cimenté par les persécutions contre les kurdes, véritables boucs émissaires dans le pays, et combattus militairement aux frontières, notamment au Rojava – au nord ouest de la Syrie – où Erdogan a lancé de sanglantes offensives militaires pour plaire à son électorat.
2 – Des fraudes électorales
Les médias ont évoqué le cas d’une délégation du Parti Communiste Français, venue surveiller – à la demande de partis progressistes – le bon déroulement du scrutin, arrêtée par la police à son arrivé en Turquie. Un élu racontait : «nous avons été arrêtés à 10h30 et retenus à la gendarmerie jusque 17h, à la fin des opérations de vote». Des responsables du Parti de Gauche ont également été mis en garde à vue à leur arrivée à l’aéroport. Dix autres étrangers, dont trois Français, trois Allemands et trois Italiens ont été interpellés, et ce ne sont pas les seuls. Visiblement, il fallait écarter les témoins gênants. Pour cause, des fraudes «concernant 1 à 1,5 million de bulletins de vote» avaient déjà été observées en 2017 lors d’un précédent vote. Le dimanche 24 juin, des bourrages d’urnes et des disparitions de voix ont été observées. Mais au-delà, le régime a pu mettre en place une efficace propagande électorale avec des moyens incomparables par rapport aux autres partis, ou encore offert des cadeaux aux ménages les plus démunis. Une façon d’acheter les votes.
3 – Une opposition protéiforme
Le grand parti de centre-gauche, se réclamant de Kemal Atatürk – le fondateur de la République Turque – a été mis en échec, en ne récoltant que 30% des voix, alors qu’il espérait affronter Erdogan dans un second tour qui n’aura finalement pas lieu. En revanche, le parti HDP, issu du mouvement politique kurde, qui incarne aussi la société turque dans sa diversité et s’inscrit dans la continuité des luttes sociales, en défendant l’écologie politique, des droits des Kurdes, des femmes et des LGBTQI, a fait près de 10% des voix. Un exploit, sachant que les dirigeants du mouvement ont été arrêtés et que le candidat lui même croupit dans un cachot. Autrement dit, le HDP récolte plus de 4 millions de voix sans même avoir pu faire campagne. En guise d’illustration, plus de 25.000 de ses militants et militantes sont aujourd’hui emprisonnées. Bref, l’opposition n’a pas disparu en Turquie, ni dans les urnes, ni dans les rues. 67 députés kurdes sont donc élus au parlement, dont 25 femmes. Et l’abstention ? Elle est officiellement très faible, de l’ordre de 13%. Beaucoup plus faible, en tout cas, que dans les démocraties occidentales.
Le vote du 24 juin est donc une mauvaise nouvelle de plus pour la paix mondiale et la solidarité entre les peuples. Le renforcement du pouvoir d’Erdogan et de son parti d’extrême droite s’inscrit dans un climat où les logiques policières autoritaires et racistes s’installent partout : Trump aux USA, Rodrigo Duterte aux Philippines, Poutine en Russie, plusieurs partis néo-fascistes dans des pays d’Europe… Dans ce contexte de montée des périls qui rappelle de plus en plus les années 1930, il s’agit de soutenir toutes les forces en lutte, et en particulier les forces kurdes et les révolutionnaires turcs, qui risquent de souffrir encore d’avantage dans les cinq années qui viennent.
Sources :
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