Fort avec les faibles, faible avec les forts : qui est le procureur de Nantes ?

À Nantes, la justice frappe fort. Les peines de prison ne se comptent plus pour les personnes arrêtées dans les manifestations. Un exemple récent : la condamnation à 1 ans de prison ferme pour un prétendu jet de caillou «en direction» des gendarmes sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Un an ferme. La moindre action politique, même anodine, est poursuivie sans relâche. Par exemple la «pendaison» symbolique d’une effigie de Macron en carton lors d’une manif a donné lieu à une enquête poussée de la Police Judiciaire. En parallèle, les centaines de cas de violences policières sont systématiquement impunis, classés «sans suite» par la justice.

Qui est aux commandes ? Qui se cache derrière ce bilan accablant, profondément injuste ?

Le boss de l’institution judiciaire dans un endroit, c’est le procureur, nommé par la ministre de la justice, donc le gouvernement. Il ordonne les enquêtes, requiert les peines, et peut enterrer ou réactiver une affaire. À Nantes, le procureur se nomme Pierre Sennès. Il connaît bien la ville puisqu’il a déjà travaillé à la préfecture de Loire-Atlantique dans les années 90. Procureur à Clermont-Ferrand depuis 2012, il est arrivé à Nantes en 2016, juste après la fin du mouvement contre la Loi Travail. Pour durcir encore la répression pénale ?

Lorsqu’il était à Clermont-Ferrand, Pierre Sennès était déjà aux manettes dans une affaire particulièrement grave. Dans la nuit du réveillon, le 31 décembre 2011, un jeune homme, Wissam El Yamni meurt lors d’une intervention policière. Couvert d’hématomes et de traces de coups, vraisemblablement frappé par des agents de la brigade canine, Wissam El Yamni rendait son dernier souffle dans un couloir du commissariat de la capitale auvergnate. Pierre Sennès avait communiqué dans les médias que le défunt serait «mort d’une overdose». Une tactique qui rappelle celle employée après la mort d’Adama Traoré : le parquet avait invoqué dans un premier temps une «maladie» voire même une «déformation cardiaque» du défunt, pour maquiller les causes du décès. La version de Pierre Sennès a depuis été démontée par les proches de Wissam, qui attendent toujours des réponses de la justice. Depuis maintenant 6 ans.

Revenons à Nantes. Depuis son arrivée, les peines se sont drastiquement durcies, notamment contre les contestataires, avec des envois en prison sur de simples présomptions, et des réquisitoires ouvertement politiques, contre les «black blocs», «l’utra-gauche» et les «casseurs», alors qu’en parallèle le procureur classe sans suite de nombreuses plaintes pour violences policières. Depuis que Pierre Sennès est procureur de Nantes, le nombre de garde à vue augmente fortement, passant de 4739 en 2016 à 5545 en 2017. Par exemple, on envoie des syndicalistes en cellule pour des broutilles, on arrête des militants chez eux, on s’acharne contre la petite délinquance ou les exilés.

Du reste, 300 blessés ont été recensés lors des manifestations du printemps 2018 à Nantes, et près de 400 sur la ZAD. Nombre de poursuites ? Zéro ! Ce procureur travaille son image de fermeté. Le 25 juin 2018, Pierre Sennès signe avec le réseau de transports en commun TAN une «convention qui se veut une réponse face à la montée des incivilités» et doit «apporter une réponse pénale graduée, ferme et plus rapide». Punir toujours plus fort, plutôt que de régler les problèmes sociaux. Dans la droite ligne du gouvernement Macron.

Plus surprenant, il semblerait que l’extrême droite soit protégée par le parquet de Nantes. Le 7 mai 2017, deux adolescents sont tabassés et laissés pour morts par un groupe de militants néo-nazis, issus de bonnes familles. Aucune enquête n’est ouverte dans l’immédiat, alors qu’un jeune est entre la vie et la mort. C’est la mère du blessé grave qui doit aller protester au commissariat, avec des éléments ramassés sur les lieux du drame – «les vêtements de son fils tachés de sang, et un tesson de bouteille ayant servi à frapper la victime, sur laquelle se trouvaient des empreintes ADN» explique Ouest-France –, pour que l’affaire démarre. Dans la foulée, elle porte plainte pour non-assistance à personne en danger. Ce soir là, la police ne s’était même pas déplacée, alors que des centaines de CRS étaient déployés dans tout le centre ville pour les élections présidentielles ! Un an plus tard, la plainte est classée sans suite. Pierre Sennès pointe pudiquement un «dysfonctionnement du côté de la police» et rejette la faute sur la présence de manifestants en centre-ville. Entre-temps, la quasi-totalité des agresseurs d’extrême droite ont été remis en liberté par la justice. Le blessé grave, lui, gardera des séquelles toute sa vie des violences subies.

Fin juin 2018 la mort d’un homme est «classée sans suite» par Pierre Sennès. Un père de famille de 31 ans, Abou, était mort quelques mois plus tôt lors d’une intervention policière. Suite à une interpellation à son domicile, ce père d’un garçon de trois ans était sorti de son appartement dans le coma, avec une côte fracturée et un poumon perforé. Il était mort peu après. Sa compagne, Sylvie, avait déposé plainte immédiatement. Le parquet ne lui a jamais donné le rapport d’autopsie. Ni le dossier d’enquête. Ni adressé aucune réponse. Un manque de respect inouï pour une mère en deuil. Sur le document reçu cet été, le procureur écrit simplement : «l’infraction pénale n’est pas constituée». Des mots qui font froid dans le dos. «C’est tout. Un homme est mort et l’infraction pénale n’est pas constituée. Qu’on nous explique, au moins… On n’a eu accès à rien» réagit Sylvie.

Quelques jours après ce «classement sans suite», un CRS abattait le jeune Aboubakar d’une balle dans le cou, dans le quartier du Breil. C’était le 3 juillet. C’était le deuxième décès causé par la police en quelques mois seulement à Nantes. Et à nouveau, le procureur Pierre Sennès entrait en scène.

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