L’ultra-droite européenne recrute parmi les forces de l’ordre


Un article de Mediapart revient sur la porosité entre les groupes néo-nazis violents et les forces de l’ordre. À tel point qu‘on peut se demander si c’est l’ultra-droite qui recrute dans la police ou si c’est la police qui recrute dans l’ultra-droite.


Des miliciens à la manifestation contre la PMA à Paris le 6 octobre.

Résumé :

  • Des perquisitions dans un groupe composé de militaires et de policiers «ont mené à la découverte d’une grande quantité de livres à la gloire du IIIe Reich et des unités SS, ainsi que sept armes à feu […] L’un des suspects s’était constitué dans son domicile un laboratoire de fabrication d’explosifs.»
  • Un rapport européen révèle que «les groupuscules d’extrême droite investissent dans l’achat d’armes et la confection d’explosifs. […] les services de renseignement français estiment à 350 le nombre de membres de l’ultra-droite qui, dans l’Hexagone, possèdent légalement une ou plusieurs armes à feu.»
  • Selon le rapport, «l’ultra-droite européenne serait, selon Europol, en train de recruter dans les rangs des militaires et des forces de police, dans l’objectif de renforcer leurs capacités physiques et leur aptitude au combat. Au sein des forces armées, les militants violents d’ultra-droite repérés par les renseignements représentent « près du double des objectifs suivis pour une adhésion à l’islam radical».
  • À la tête d’un réseau néo-nazi : un ancien inspecteur des renseignements généraux (RG).

L’article complet :

« Au moment où la volonté de passage à l’acte par des militants d’extrême droite trouve une nouvelle et tragique illustration avec l’attaque contre une synagogue et un restaurant turc à Halle (Allemagne), un rapport confidentiel d’Europol révèle que l’ultra-droite européenne s’arme et est en train de recruter dans les rangs des militaires et des policiers.

Cet attentat commis par un homme lourdement armé, habillé en treillis et portant un casque n’est pas sans rappeler le mode opératoire de celui commis en mars par l’Australien Brenton Tarrant contre deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, qui avait causé la mort de cinquante personnes.

À l’instar de l’auteur de l’attentat de Christchurch, qui avait diffusé son attaque en direct pendant 17 minutes sur Facebook, le tireur de Halle a filmé sa tuerie à l’aide d’une caméra frontale, puis publié la vidéo de 35 minutes sur la plateforme de jeux vidéo Twitch. Dans cette vidéo, il explique, d’après le site Intelligence Group, un organisme basé aux États-Unis, que « les Juifs sont la racine de tous les problèmes ».

Trois documents au contenu confus, attribués à Stephan B., ont été publiés sur Internet. Une sorte de « manifeste » de seulement quatre pages, qui se présente comme « un guide spirituel pour les hommes blancs mécontents », et qui ne contient qu’une seule phrase, appelant à tuer des juifs, des musulmans, des communistes, ou des « traîtres » ; un document présentant son projet d’attentat ; un autre contenant l’adresse de la page Web où a été diffusée sa vidéo en direct. Il évoque des cibles « bonus » : les membres du « gouvernement d’occupation sioniste ».

Contrairement au « manifeste » de 74 pages du terroriste de Christchurch, ou à celui d’Anders Breivik, l’auteur des attentats d’Oslo, ces trois documents n’abondent pas en éléments théoriques, ni en détails sur le parcours idéologique du suspect. Ils fourmillent en revanche de références à la culture web, comme le détaille Le Monde.
En Europe, plusieurs passages à l’acte ont déjà eu lieu. En juin 2019, le préfet allemand Walter Lübcke est retrouvé mort, une balle dans la tête. Il avait été menacé de mort à plusieurs reprises par des groupes d’extrême droite pour avoir soutenu la politique d’accueil des migrants d’Angela Merkel. L’homme qui avouera en garde à vue l’avoir assassiné est un néonazi notoire et déjà condamné à plusieurs reprises.

En novembre 2018, un caporal de l’armée britannique, Mikko Vehvilainen, a été condamné à huit ans de prison après avoir tenté de recruter auprès d’autres enrôlés pour le compte du groupe néonazi interdit, Action nationale. Âgé de 34 ans, il redoutait l’arrivée d’une guerre « raciale » et voulait établir une « colonie réservée aux Blancs » dans un village gallois.
Quelques mois plus tôt, un Italien avait été arrêté pour avoir tiré des coups de feu, depuis sa voiture, sur six Africains, dans le centre-ville de Macerata (dans la région des Marches, en Italie). Une copie de Mein Kampf et un livre d’histoire sur Benito Mussolini avaient été découverts à son domicile.

En 2017, c’était un officier militaire allemand qui était arrêté pour préparation d’attaque terroriste après s’être fait passer pour un réfugié syrien. En 2016, une semaine avant le référendum sur le Brexit, la députée pro-européenne Jo Cox avait été assassinée par un jardinier au chômage nourrissant une haine obsessionnelle des « traîtres » à la race blanche.
La France n’est pas épargnée. En juin 2018, une cellule d’ultra-droite a été démantelée. Le groupe clandestin AFO (Action des forces opérationnelles) s’entraînait au maniement d’explosifs artisanaux et projetait des attentats contre des musulmans. Certains d’entre eux nourrissaient notamment un projet d’empoisonnement de nourriture halal.

Les perquisitions ont mené à la découverte d’armes airsoft et d’une grande quantité de livres à la gloire du IIIe Reich et des unités SS, chez un des membres, ainsi que sept armes à feu chez un autre. L’un des suspects s’était constitué dans son domicile un laboratoire de fabrication d’explosifs.
Après le démantèlement d’AFO, « les Barjols » sont devenus le groupe dominant de la mouvance. Certains de ses membres s’entraînent à la manipulation d’armes et au cryptage des moyens de communication, lors d’ateliers réalisés sur un terrain agricole, dans la Meuse.
Un ex-cadre des Barjols a été arrêté en novembre 2018 : il est suspecté d’avoir projeté une action violente à l’encontre d’Emmanuel Macron, à l’occasion du déplacement du président de la République dans l’est de la France, du 4 au 7 novembre 2018, dans le cadre des commémorations du centenaire de l’Armistice.

En conséquence de ce regain d’activité, le nombre d’arrestations liées à l’ultra-droite a plus que triplé sur le sol de l’Union européenne, passant de douze en 2016 à 44 en 2018.

Mardi 8 octobre s’est tenue, au niveau européen, une réunion représentant tous les ministères de l’intérieur de l’Union européenne, où a été abordée la question des violences et du terrorisme d’extrême droite.
Cette première réunion sur le sujet est partie d’un constat : si ce terrorisme-là ne constitue pas, aujourd’hui, « le risque principal », il est tout de même en expansion. L’objectif était de partager « les expériences » et les « bonnes pratiques » qui ont déjà porté leurs fruits, certains pays étant plus avancés que d’autres dans la lutte contre le terrorisme d’ultra-droite, mais surtout de donner l’impulsion politique pour mettre en place certaines mesures sur le plan technique.

L’idée est de recourir à des mesures et outils « horizontaux », déjà utilisés pour lutter contre le terrorisme djihadiste par exemple, tout en ciblant les spécificités du terrorisme d’ultra-droite.

À l’issue de la réunion, les ministres de l’UE ont acté quatre priorités : « dresser un tableau plus précis de la situation quant à l’extrémisme violent et au terrorisme de droite », continuer « à développer et à partager les bonnes pratiques sur la manière de renforcer la prévention, la détection et le traitement de l’extrémisme violent et du terrorisme », « lutter contre la diffusion de contenus extrémistes de droite illégaux en ligne et hors ligne, de coopérer avec des pays tiers clés ».

Cette réunion s’appuyait sur différents rapports et articles publiés sur le sujet, notamment de la part du coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme, et le rapport confidentiel d’Europol, dont le contenu a été rendu public par les médias allemands Süddeutsche Zeitung, WDR et NDR.
Ce rapport tire plusieurs conclusions, inquiétantes. La première : les groupuscules d’extrême droite investissent dans l’achat d’armes et la confection d’explosifs. Comme Mediapart l’avait révélé, les services de renseignement français estiment à 350 le nombre de membres de l’ultra-droite qui, dans l’Hexagone, possèdent légalement une ou plusieurs armes à feu.

Une cinquantaine de policiers, gendarmes et militaires suivis en France

Surtout, l’ultra-droite européenne serait, selon Europol, en train de recruter dans les rangs des militaires et des forces de police. « Dans l’objectif de renforcer leurs capacités physiques et leur aptitude au combat, les groupes d’extrême droite tentent de recruter des membres des services militaires et de sécurité, afin d’acquérir leur expertise dans ce domaine », indique le rapport d’Europol, repris en France par Slate.

Un rapport qui corrobore ce que Mediapart avait révélé dès le printemps 2018, à l’échelle de la France. On y racontait notamment que la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) avait alerté les pouvoirs publics de la proportion grandissante de militaires ou de membres des forces de l’ordre ayant intégré des groupuscules d’ultra-droite.
Les services de renseignement avaient alors « une cinquantaine de policiers, gendarmes et militaires » parmi leurs « objectifs », suivis pour leurs liens avec « l’extrême droite violente ». Soit près du double des objectifs suivis pour une adhésion à l’islam radical, si on en croit les déclarations du ministre de l’intérieur qui, depuis la tuerie à la préfecture de police de Paris, parle d’une vingtaine de policiers et d’une dizaine de gendarmes suivis pour des suspicions de conversion au fondamentalisme musulman.
À telle enseigne que les services de renseignement ont dû sensibiliser à ce sujet plusieurs administrations. Parmi lesquelles les différents corps d’armée, la police, la gendarmerie, les douanes, ainsi que l’administration pénitentiaire. Cela afin d’améliorer l’échange d’informations sur les fonctionnaires suspects mais aussi afin de prévenir le recrutement de tout nouveau policier ou militaire déjà recensé comme figurant dans cette mouvance.

Des milices d’ultra-droite, qui ne disent pas leur nom, draguent les membres de services de sécurité, construisent leurs discours à leur attention, veillent à valoriser chaque nouvelle recrue issue des rangs de la police, de la gendarmerie ou de l’armée. Des professionnels recherchés à la fois pour leur savoir-faire en matière de maintien de l’ordre et d’opérations coups de poing, ainsi que pour leurs réseaux.
Selon une source, certains membres des forces de l’ordre seraient même sollicités pour accéder aux informations confidentielles que recèlent les fichiers de police et de gendarmerie.

Sur ses quelque 200 militants disséminés en France, les Volontaires pour la France (VPF, un groupuscule de défense civile né au lendemain des attentats) comptaient en 2016 une cinquantaine de militaires et de membres des forces de l’ordre à la retraite. À la tête des réseaux Rémora (un groupuscule qui ne semble plus actif), on retrouvait… un ancien inspecteur des renseignements généraux (RG).
En octobre 2017, la sous-direction antiterroriste (SDAT) et la DGSI démantelaient une cellule constituée autour d’un certain Logan Nisin. Parmi ses complices présumés, on recense un fils de gendarme, un fils de policier, ainsi qu’un élève de l’école de formation des sous-officiers de l’armée de l’air.

Mediapart avait aussi révélé les coulisses du site « Réseau libre », dont plusieurs membres avaient cherché à perpétrer des attentats visant la communauté musulmane. Les thèses véhiculées par ce site étaient aussi celles qui ont inspiré le terroriste australien de Christchurch : la théorie du « grand remplacement », élaborée par l’essayiste d’extrême droite Renaud Camus, l’échec d’un Rassemblement national jugé trop modéré, l’attentat islamophobe prôné pour défendre la race blanche.

Or, ce site publiait les interviews de Monsieur X. L’homme était présenté par le site comme « un officier français des Services », un « contact dans les services antiterroristes ». À ce titre, il était interrogé après chaque attentat et n’hésitait pas à évoquer « une guerre de civilisation ».

Concernant le sort à réserver aux djihadistes, il résumait, dans un entretien en mars 2016, les deux options à ses yeux : « La première, on fait tout pour récupérer les individus vivants en espérant qu’ils parlent et pour les traduire devant un tribunal. La seconde, on identifie la menace et on procède à son élimination au moment opportun. Je vous laisse deviner quelle est mon option préférée… »
À propos des attentats, il préconisait à l’attention de ses lecteurs de détenir un arsenal pour se défendre : « Dites-vous bien qu’avoir une arme non autorisée peut vous conduire en prison, mais ne pas en avoir peut vous conduire au cimetière ! »

À l’occasion du mouvement des gilets jaunes, un ex-policier – « adepte des thèses complotistes », précisent dans une note ses anciens collègues des services de renseignement –, tente de se rapprocher des militants les plus virulents « pour donner un second souffle à sa formation » d’ultra-droite « jusqu’alors en mal de visibilité ».

Dans leurs notes adressées au sommet de l’État, les services de renseignement se veulent désormais plus rassurants quant à l’entrisme d’individus issus « des services régaliens » au sein des groupes de la mouvance d’extrême droite radicale. Il y aurait « une baisse significative de la perméabilité de ces individus aux idéaux des groupuscules d’ultra-droite », même si cela demeure parmi « les préoccupations prioritaires au regard de la lutte contre l’extrême droite radicale ».

Dès le mois de mai 2016, Patrick Calvar, alors patron de la direction du renseignement intérieur français (DGSI), tirait la sonnette d’alarme, lors d’une audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées à l’Assemblée nationale : « L’Europe est en grand danger : les extrémismes montent partout et nous sommes, nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultra-droite qui n’attend que la confrontation. […] Il nous appartient donc d’anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à un moment ou à un autre, déclencher des affrontements intercommunautaires. »

Dans un autre rapport, celui-là public et en date du 27 juin 2017, Europol constate que « si la grande majorité des groupes extrémistes de droite à travers l’Union européenne n’ont pas eu recours à la violence, ils contribuent néanmoins à enraciner un climat de peur et d’animosité ». Et qu’à terme, « un tel climat, fondé sur la xénophobie, les sentiments antisémites, islamophobes et anti-immigration, pourrait permettre à certains individus radicalisés d’user de la violence à l’encontre des personnes et des biens de groupes minoritaires ».

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