Tour d’horizon mondial du capitalisme par temps de crise sanitaire
«Le régime policier et autoritaire, ça a quand même quelques avantages». Ce sont les déclarations édifiantes de l’ancien ministre français Luc Ferry, le 26 janvier, à propos de «l’efficacité» du régime chinois. À présent, plus d’une personne sur deux sur terre est confinée chez elle : une situation inédite dans l’histoire de l’humanité. Partout autour du monde, la pandémie est d’avantage l’occasion pour les gouvernants d’augmenter leur répression et de durcir leurs régimes que de soigner la population. Tout d’horizon.
HONGRIE
Le Premier ministre d’extrême droite hongrois, Viktor Orbán, a obtenu lundi dernier le feu vert du Parlement pour légiférer par ordonnances. Rien de très différent avec la France sous «État d’urgence sanitaire» a priori. Mais cette mesure s’inscrit dans le cadre d’un état d’urgence «à durée indéterminée» : les pleins pouvoirs illimités dans le temps pour le gouvernement. Orbán a aussi fait passer une mesures condamnant jusqu’à cinq ans de prison «la diffusion de fausses nouvelles» sur le virus ou le gouvernement. Il faut savoir que les rares médias indépendants du pays font régulièrement l’objet de telles accusations. Pour Orbán, qui installe une dictature légale en pleine Europe, il y a deux camps : soit on est avec lui, soit on est, selon ses mots, «du côté du virus».
PERMIS DE TUER
Le président des Philippines, Rodrigo Duterte, a été élu avec un programme militariste et répressif très violent en 2016. Dans le cadre d’une prétendue «lutte contre la drogue», il a autorisé la police à tuer les «dealers», et s’est même personnellement vanté d’avoir procédé des exécutions sommaires. Des milliers de philippins, parfois opposants politiques, ont été assassinés depuis son élection. La pandémie est l’occasion d’un tour de vis supplémentaire : Duterte a a placé la capitale Manille en confinement et a affirmé qu’il avait donné comme consigne aux forces de l’ordre de «tuer» ceux qui ne respecteraient pas la mesure. Lors d’un discours télévisuel, il a demandé : «Est-ce bien compris ? Morts. Au lieu de causer des troubles, je vous enterrerai». Même politique au Pérou, où le confinement total et l’état d’urgence ont été mis en place il y a plus de deux semaines. Pour faire respecter les mesures de confinement, policiers et militaires ont été déployés aux quatre coins du pays, et depuis quelques jours une loi leur assure une quasi-immunité : «un policier ou un militaire en service peut blesser ou tuer un citoyen sans risquer de poursuites judiciaires». 26.000 personnes auraient également été arrêtées.
Des Philippines au Pérou : le permis de tuer comme mesure de santé publique.
VIOLENCES D’ÉTAT
Partout autour du globe, c’est une explosion des violences et des humiliations policières.
En Afrique du sud, l’armée a été déployée pour contrôler le confinement dans les quartiers pauvres de Johannesburg. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses images de forces de l’ordre molestant des habitants ont été mises en ligne. L’armée et la police sont accusées d’abus de pouvoir et d’humiliation après avoir frappé et imposé des exercices physiques aux personnes arrêtées. Un canon à eau a été utilisé contre des clients faisant la queue devant un magasin. Des policiers sont rentrés dans des domiciles sans motif. Le 29 mars à Gauteng, un homme a été abattu dans son jardin par une patrouille qui poursuivait des consommateurs d’alcool. La police a également tiré des balles en caoutchouc sur les personnes sorties de chez elles et même aux abords d’un hôpital selon une vidéo en ligne.
Au Kenya, la presse titrait «Nuit de terreur» le 28 mars, au lendemain de la première nuit du couvre-feu imposé dans le pays. «Dès 16 heures, soit deux heures avant l’heure du couvre-feu», souligne un journal, des policiers ont commencé à fondre sur les passants dans des déchaînements de violence. Coups de fouet, armes à feu pointés sur des civils… Sous prétexte de lutte contre l’épidémie, tous les moyens étaient bons. «Des habitants de Mombasa ont été attaqués par les forces de l’ordre, ceux qui attendaient leur bus étaient arrosés de gaz lacrymogènes, et même battus».
Au Paraguay, la police est autorisée à matraquer et humilier toute personne qui sortirait de chez elle de manière non justifiée, en particulier dans les quartiers les plus populaires où les forces de l’ordre ont été envoyées en priorité. De nombreuses vidéos circulent comme celle-ci où un homme est tazé et obligé de sauter.
Au Népal, là encore, la police use de tout ses pouvoirs pour réprimer la population. Ainsi, des dizaines de personnes sont arrêtées à l’aide de lassos, et enfermées dans des cages mises en place au milieu des villes.
EXODES
En Inde, de nombreuses vidéos montrent des policiers tabasser et humilier les passants dans la rue pour imposer le confinement.
Le Premier ministre indien Narendra Modi a ordonné un confinement total du pays de 1,3 milliard d’habitants, entraînant des déplacements de population massifs et laissant des millions de personnes errantes. Certaines personnes affaiblies sont mortes en tentant de rentrer chez elles. Les ouvriers, les travailleurs migrants et autres sans abris se sont retrouvés sur les route en périphérie des immenses métropoles pour rejoindre leurs habitations. Le gouvernement d’extrême droite, faute de préparation, a demandé aux habitants «de sortir sur leurs balcons, de sonner des clochettes pour rendre hommage aux soignants». Dans les immense bidonvilles du pays, le confinement est tout simplement impossible et l’épidémie ne peut être contrôlée.
Plus que le virus, c’est la famine et la police qui effraient de nombreux habitants.
LE MONDE QUI VIENT
La crise sanitaire est un accélérateur de l’histoire. Le virus donne un aperçu du monde qui vient, avec des inégalités encore plus criantes, un espace public militarisé, et des mesures sanitaires absurdes et répressives.
Ce monde qui vient est un monde d’uniformes, de télétravail et de jobs ubérisés. Un monde où nous allons nous habituer à recevoir des ordre de la part de drones, à être géolocalisés massivement, où des avions volent à vide et où l’on spécule sur le désinfectant et les masques Un monde de méfiance et de peur des autres. La journaliste Hassina Mechaï décrit parfaitement les nouveaux habits de ce capitalisme autoritaire, qui s’empare des corps après avoir tout marchandisé :
«Le capitalisme moribond semble se requinquer par la découverte du dernier gisement à exploiter, celui de l’intime. La dernière terra incognita à coloniser, sur laquelle planter sa bannière de la mission pacificatrice. Quitte en réalité à y apporter un état de guerre permanent. Car le terre physique est quadrillée, exploitée, rincée par notre avidité. La force mécanique de l’être humain l’est tout autant, esclavagisée au fétichisme marchand, obligée de produire ici, en épuisement, ce qui sera consommé là, en gavage. Que reste-t-il autant à conquérir qu’à monnayer sinon l’intériorité de l’humain ?»