Un article initialement parue dans notre dernière revue Nantes Révoltée : « N°8; Incubateur de Résistance », à commander sur notre boutique
Antonin, antifasciste parisien, est incarcéré en 2016 lors d’un procès expéditif suite à l’incendie d’une voiture de police. C’est l’affaire du «Quai de Valmy». Il retournera derrière les barreaux en 2018, soupçonné d’un affrontement avec des néo-nazis. Il subit aujourd’hui un contrôle judiciaire dans l’attente du procès, avec l’impossibilité de retourner à Paris. Dossiers vides, témoignages à charge de policiers ou de militants fascistes, magistrat d’extrême droite : il analyse le fonctionnement de la Justice, une machine à briser. Entretien.
En mai 2016, pendant le mouvement social contre la loi travail, une manifestation du syndicat de police Alliance est organisée pour défendre politiquement les policiers. En réaction, une contre manifestation est également prévue. C’est dans ce cadre que je suis arrêté pour l’incendie d’une voiture de police. Une procédure criminelle pour tentative d’homicide volontaire à l’encontre d’agents dépositaires de l’autorité publique est ouverte. Les quatre premières personnes ciblées viennent pour la plupart du milieu antifasciste, et avaient déjà été visées la veille par une interdiction administrative de manifestation, décision finalement annulée par un recours en référé liberté. S’en suivent des perquisitions à nos domiciles, et on est arrêtés le jour même.
Commence alors pour moi un parcours de 11 mois de détention provisoire à Fleury. Je sors fin mars 2017, après qu’on ait décidé de médiatiser l’affaire, afin de faire pression sur la justice pour qu’ils nous relâchent, avec l’appui d’organisations comme la Ligue des Droits de l’Homme
On me place tout de suite en isolement en raison de mon appartenance à des « Mouvances radicales de l’extrême gauche révolutionnaires »
Je suis placé sous bracelet électronique à Lille, où je reste 6 mois, jusqu’au procès. Les accusations se basent sur des notes blanches [les rapports secrets de la police politique] et sur un témoignage anonyme qui s’avérera provenir d’un membre de la DRPP [Direction du Renseignement de la Préfecture de police de Paris, ndrl]. Il nous désigne tous les quatre comme étant ceux ayant participé à la destruction de la voiture et nous attribue chacun un rôle spécifique. Moi, j’étais accusé de donner des coups de poing au policier qui voulait sortir de la voiture. D’autres personnes seront arrêtées plus tard dans le cadre de l’affaire, mais la différence avec nous, c’est qu’ils ont été remontés suite à un pseudo travail d’investigation, alors que nous, on a d’abord été arrêtés, et c’est ensuite qu’on nous a attribué des rôles. L’affaire est finalement correctionnalisée, et on est condamnés à une série de peines allant jusqu’à 7 ans de prison. Je suis condamné à 5 ans de prison, dont deux avec sursis, pour violences volontaires et destruction de matériel par le feu.
En décembre, j’entre à Fleury pour 6 mois, et ressors sous bracelet pendant un an, suivi de 8 mois de conditionnelle. Je termine ma peine le 13 avril 2018… et suis réincarcéré le 15 avril. Pendant les Gilets Jaunes, il y a eu une lutte interne contre des groupes d’extrême droite qui s’implantaient à l’intérieur du mouvement. Après un affrontement, un militant de Génération Identitaire porte plainte en affirmant avoir reconnu certaines personnes, dont je ferais partie, ce qui conduit à notre arrestation puis à mon incarcération. Je retourne donc en prison sur la seule base de cette dénonciation, alors que des éléments m’innocentaient, notamment une vidéo de l’affrontement sur laquelle je n’apparais pas. Cette fois, je suis dans des conditions vraiment particulières : à Fresnes, je suis considéré comme «détenu à haut risque». On me place tout de suite en isolement en raison de mon appartenance à des «mouvances radicales de l’extrême gauche révolutionnaire».
Aussi parce que l’administration pénitentiaire affirme avec aplomb que des camarades venus tirer un feu d’artifice le jour de mon anniversaire auraient fait voler un drone au-dessus de la prison pour planifier mon évasion ! Ce qui est un récit monté de toutes pièces. Ils se sont servis de ça pour demander mon transfert dans une prison sécurisée, mais nous avons réussi à annuler ce transfert et je suis emmené à la Santé [la prison de la Santé est située au cœur de Paris] pour le reste de ma préventive. Je vais rester 6 mois à la Santé. Je sors en octobre dernier sous contrôle judiciaire avec des contraintes hallucinantes : 10 000 euros de caution, un suivi psychiatrique, une assignation à résidence avec pointage tous les jours. On a réussi à modifier les contraintes qui n’étaient pas tenables, notamment l’assignation à résidence, qui est devenue une interdiction de circuler en dehors d’un périmètre précis : j’ai seulement le droit de circuler dans la partie sud-Loire du département de Loire-Atlantique. Le mois prochain, ça fera un an que je suis dans cette situation.
C’est un contrôle judiciaire très strict et vicieux pour deux raisons : d’une part, si je suis condamné, mon sursis tombera. À la base, j’avais demandé une sortie sous bracelet électronique, parce que dans le cas d’un placement sous surveillance électronique, les mois sont comptabilisés comme des mois de prison, ce qui aurait pu alléger ma peine; là, n’étant pas sous bracelet, rien ne compte. À l’audience, si je suis condamné, le sursis tombera intégralement. D’autre part, la volonté est claire : m’immobiliser le plus possible politiquement et personnellement. Ils ont réussi leur coup puisque je suis privé de possibilité d’agir politiquement, de travailler, d’étudier. Je suis privilégié d’être dehors, mais c’est une autre forme d’enfermement plus tacite.»
La volonté est claire : m’immobiliser le plus possible politiquement et personnellement. Ils ont réussi leur coup puisque je suis privé de possibilité d’agir politiquement, de travailler, d’étudier.
«Parmi les trois prisons où j’ai été enfermé, [Fresnes, Fleury et la Santé] c’est la Santé pour moi qui est la pire, dans la mesure où elle représente par excellence la prison de demain. Celle que personne ne contestera jamais, c’est-à-dire une cage en or. Quand je suis arrivé là-bas, les directeurs de la prison ayant eu écho des problèmes médiatiques m’ont tout de suite envoyé dans une cellule individuelle, mis dans des conditions de manière à acheter la paix sociale. Là-bas, les cellules sont aménagées au plus prêt des obligations de la Cour européenne des droits de l’Homme : plaques de cuisson, douche à l’intérieur de la cellule, frigo, mobilier neuf… la prison 2.0 en quelque sorte, avec accès à la salle de sport tous les jours, etc. C’est une prison dangereuse dans le sens où, contrairement aux autres prisons, il n’y avait ni révoltes ni résistances, parce qu’il y avait trop à perdre.
Lorsque les gens sortent, ils sont soit plus énervés, soit plus convaincus, soit cassés.
Pour moi, ces prisons vont s’inscrire dans un nouveau système de détention, de normalisation de la prison et dans l’absence totale de contestation de celles-ci. On est déjà dans une phase où c’est plus ou moins comme ça: contrairement aux années 70/80, aujourd’hui il n’y a plus de mouvements de contestation. En prison, il y a en assez peu, même si pendant le Covid les mouvements de révoltes coordonnées sur l’ensemble du territoire voire à l’international ont été très forts.
Dans les modes d’emprisonnement de demain, sous bracelet électronique ou à la Santé, on va atteindre un nouveau stade d’absence totale de contestation, en donnant des conditions de détention de plus en plus «agréables», c’est-à-dire faire de la prison de chez soi avec le bracelet ou dans des prisons comme la Santé. Et là c’est un piège : il y a des organismes qui luttent contre la prison mais qui ne s’intéressent toujours qu’aux conditions de détention. C’est important, mais ce n’est pas la centralité, puisque si on a de bonnes conditions de détention, qu’est-ce que veut dire ? C’est bien alors la prison ?
La question de la réforme de la prison est consubstantielle à l’histoire de la prison en France, c’est à-dire que la prison en France a toujours fonctionné de la même manière : elle est critiquée, donc elle est améliorée, elle est re-critiquée, et elle est ré-améliorée. Il y a tout un pan de critiques de la prison qui ne sert pas à remettre en cause l’existence de la prison mais qui sert juste à la restructurer. Les prisons comme la Santé, mais aussi le bracelet électronique, vont permettre au pouvoir de continuer d’exercer sa contrainte répressive à l’encontre de certaines populations, de certaines classes sociales, dans des conditions qui ne seront jamais remises en cause. Pour moi, le sens de la peine est inexistant : lorsque les gens sortent, ils sont soit plus énervés, soit plus convaincus, soit cassés, ce qui fait qu’ils refont n’importe quoi dehors. Il n’y a pas de sens de la peine si ce n’est une sensation de gâchis, et qu’est-ce qui naît de ça? Des gens détruits, dehors, ça crée des monstres : tu peux avoir quelqu’un qui va tomber pour stup’, qui va vivre des trucs atroces en prison et qui va retomber pour meurtre.
J’étais sensible à la prison avant, j’avais de grands principes militants, mais je ne m’étais jamais vraiment intéressé à la question. Mon passage en prison a été un déclic, depuis, c’est devenu une sorte de centralité dans ma vie, sauf que ces combats-là je n’arrive pas à les mener seul, et aujourd’hui les militants qui luttent contre la prison sont relativement seuls. Le panel des luttes anticarcérales est dramatique aujourd’hui, et en même temps j’ai du mal à voir comment les choses peuvent se construire au regard de comment elles sont appréhendées : trop souvent on appréhende la prison comme étant un problème en soi et on veut lutter contre la prison, ou contre les conditions de détention de la prison. Ces groupes sont toujours très fermés, ne font jamais de contact avec les détenus – même s’ils aident les familles, ce qui est important –, et ont assez peu de perspectives.
Je pense que c’est parce qu’il faut prendre le problème à l’envers, c’est-à-dire ne pas le prendre depuis la prison mais depuis les catégories de personnes qui sont touchées par la prison. Dans ce sens-là, ça devient beaucoup plus simple de penser une lutte anti-carcérale qui s’articule avec d’autres luttes, parce que de fait la prison s’articule avec le reste de la société. Aujourd’hui, tout est à faire. Je pense que ça s’explique parce que la prison devient importante pour les gens qui font de la politique quand ils y sont confrontés. Si, dans les années 70, les gens se sont investis autant, c’est qu’il y a eu une vague d’arrestations dans les mouvements maos, étudiants, qui fait que la prison est redevenue un élément central de la vie politique des militants, et qu’il y en a qui ont eu l’intelligence de ne pas rester bloqués sur leur propre expérience de la prison et de créer des choses larges.
Aujourd’hui, il y a une rupture entre le monde politique et la prison. Cette rupture s’explique en partie par le fait que les mouvements sociaux ont été réprimés différemment. Il y a eu tout un travail de sape, de mise à l’écart des militants politiques d’avec le reste de la population carcérale : c’est pour cette raison que j’ai été placé à l’isolement. C’est un classique de ce qui est arrivé à beaucoup de militants notamment dans les années 80/90, où on coupait la population pénale traditionnelle des militants politiques pour ne pas créer de révoltes et de liens entre les gens.
Les militants qui luttent contre la prison sont relativement seuls
Aujourd’hui, une partie du monde militant se désintéresse des classes populaires et donc de fait se désintéresse de la prison. Le facteur le plus important malheureusement est qu’une grosse partie de la critique carcérale aujourd’hui est monopolisée par des gens qui ne critiquent pas la prison mais les conditions de détention, et qui donc participent à la refonte et la reprogrammation de la prison, et que les rares personnes qui arrivent à dépasser ça se retrouvent dans des dynamiques très sectaires.
Je pense qu’on oublie et qu’on ne s’intéresse pas à tout un réseau de lutte qui existe, notamment dans les quartiers, et qu’il faudrait réinvestir en tant que militants plutôt que de créer des espèces de petites sectes militantes entre étudiants.
À Nanterre, par exemple, il y a une auto organisation des familles vis-à-vis de la prison, où elles discutent de la prison, des conditions de leurs fils et filles en détention, et je pense que ce sont ces cercles-là qu’il faut rejoindre, et se poser la question: qui sont les gens touchés par la prison et qu’est-ce qu’on fait avec eux ? Et pas : qu’est-ce qu’on fait entre nous militants contre la prison, parce que finalement on alimente toujours un peu les mêmes débats, on est cette espèce de frange extrémiste qui va radicaliser le débat, mais qui ne va jamais rien obtenir. Je pense que tout est à repenser là-dessus.
Malheureusement, je sais pertinemment que ça ne sera pas la priorité des organisations politiques d’aujourd’hui, ça sera toujours une annexe, quelque chose plus de l’ordre de la position de principe que de l’action concrète.»
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