Justice pour Steve et conflit d’intérêt ?


L’avocate de la famille est liée à Johanna Rolland, maire de Nantes, mise en cause dans la mort du jeune homme


Dans la nuit du 21 juin 2019, la police attaque la fête de la musique de Nantes avec une violence inouïe. En bord de Loire, des dizaines de personnes sont blessées, parfois gravement. Une dizaine d’autres tombent dans les eau noires de la Loire. Le lendemain, Steve n’est pas rentré chez lui. À partir de là, toute la ville retient son souffle. Une question est dans toutes les têtes : «Où est Steve ?»

Le slogan s’impose durant l’été sur les murs, les affiches, dans la presse : «Où est Steve ?». Une intense mobilisation artistique et militante a lieu de la part de nombreuses personnes : elle permet que l’affaire ne soit pas enterrée. Les proches de Steve obtiennent que des recherches soient lancées sur le fleuve. Les semaines s’écoulent. Fin juillet, le corps du jeune homme est découvert quelques dizaines de mètres plus loin, en bordure du fleuve.

Spontanément un appel à prendre la rue contre les violences policières circule au milieu de l’été. Une manifestation le 3 août. Plutôt que de faire profil bas, le préfet de Nantes annonce des moyens policiers énormes contre l’évènement. La veille, alors que des milliers de personnes s’apprêtent à descendre dans la rue, l’avocate de la famille du défunt se «désolidarise». Pire, elle «condamne» par avance la manifestation et martèle dans la presse : «Les proches se sentent trahis par les appels à la violence». Pourtant, d’appels à la violence, il n’y en a eu aucun. La seule violence a eu lieu le 21 juin, et elle a été commise par la police.

Dans la foulée, la presse écrit que la famille de Steve se «désolidarise publiquement d’un appel à manifester, à la demande de l’avocate». «Leur deuil est abîmé par le fait que Steve devient un enjeu politique très fort», dit-elle, en expliquant que la victime était quelqu’un de «discret» et qu’il ne faut pas «donner de caractère public» au drame. Pourtant l’affaire est déjà publique, suscitant un émoi national : la question des violences policières est éminemment politique alors que le mouvement des Gilets Jaunes n’en finit pas d’être réprimé. Des milliers de nantais et nantaises se sentent concernées : tout le monde a un frère, une sœur, un ami, une cousine ou un fils qui était sur le quai ce soir là. La plupart des jeunes nantais-es ont déjà été danser devant les sound system installés quai Wilson à chaque fête de la musique.

Cette condamnation de la mobilisation a un impact immédiat : le lendemain, la manifestation est très violemment réprimée. Il y a beaucoup d’arrestations. Les policiers qui avaient attaqués le soir de la fête de la musique sont de nouveau lâchés sur le terrain. Les grenades tombent sur le cortège. Un homme est étranglé, devant des journalistes, par des agents de la BAC. La photo fait le tour des réseaux sociaux. C’est terrifiant : après avoir fait tomber des jeunes dans la Loire, l’État écrase avec une brutalité absolue celles et ceux qui s’insurgent. La «désolidarisation» de l’avocate aura eu un résultat très concret : rendre acceptable une telle répression.

Pourquoi dépolitiser à tout prix cette affaire ? La charge a eu lieu alors qu’une chanson antifasciste était diffusée sur le quai. Des policiers ont frappé en criant «sales gauchos». Le commissaire sur place est connu pour ses engagements à l’extrême droite. Cette charge a lieu après de longues années d’impunité et d’ensauvagement de la répression, et de consignes de la hiérarchie. Qu’on le veuille ou non, il s’agit d’une affaire politique, c’est un fait. Police et politique sont des notions intimement liées, jusque dans leur étymologie – dans l’antiquité, la «polis» c’est la cité. La police assure l’ordre dans la métropole en violentant les «mauvais élèves», les indociles, les pauvres, les fêtard-es incontrôlables.

Qui est cette avocate qui tente par tous les moyens de ne pas faire de vague ? De faire comme si cette affaire n’était qu’un fait divers ? Elle s’appelle Cécile de Oliveira, et elle est très proche de la maire de Nantes. Cécile de Oliveira est décrite par l’AFP comme une «avocate modérée». Dans le journal Le Point, elle insiste à deux reprises après la fête de la musique : «Pour moi, c’est très important d’être modérée». Comprendre : une avocate qui ne fait pas de bruit, qui ne dérange pas. Pour elle, il est «important de respecter toujours ses adversaires». En l’occurrence, la police et la préfecture, mais aussi la mairie, également mise en cause dans l’affaire Steve.

Maître de Oliveira a étudié le droit à Assas, à Paris, et exerce à Nantes depuis 30 ans. En 2008 elle figure sur la liste de Jean-Marc Ayrault, baron socialiste, pour les élections municipales. Elle sera conseillère municipale jusqu’à 2014 et connaît donc bien les milieux socialistes locaux. Notamment l’actuelle maire, Johanna Rolland. L’avocate qui appelait à ne pas «politiser» l’affaire est en fait une femme… politique, avec une engagement dans les réseaux de la mairie depuis des années. Dépolitiser la mort de Steve permet de ne pas mettre en lumière les questions très politiques posées par cette affaire.

Dans le cabinet de Maître de Oliveira on trouve d’ailleurs une autre avocate : la sœur de la maire de Nantes elle-même. Aurélie Rolland, à la tête du Syndicat des Avocats de France localement, une tête connue au barreau. Oui, vous avez bien lu : des personnes ont conseillé à la famille d’un disparu une avocate qui travaille avec la sœur d’une mise en cause dans la disparition. La famille de Steve était-elle au courant ? Autre membre du cabinet ASKE, un certain Pelletier, ancien collaborateur de Jean-Jacques Urvoas, grand baron du PS, proche de Valls et de Cazeneuve. On peut difficilement faire plus politique comme réseau.

En 2011 Maître De Oliveira est désignée par le conseil municipal de Nantes comme «grande électrice» pour les sénatoriales. En 2020, avant les élections régionales, le PS lance un groupe baptisé «Fabrique de la région d’après». Encore une fois, on y trouve l’avocate. De la politique, toujours.

Revenons à l’affaire Steve. La maire de Nantes, Johanna Rolland, est directement mise en cause par la justice. Elle est placée sous le statut de «témoin assistée» dans l’enquête sur la mort du jeune homme. Avec quelques voix de plus aux élections l’avocate de la famille aurait pu faire partie des accusés. Conflit d’intérêts ? Peut-être pas. Volonté de réduire au maximum le «bruit» et les remous provoqués par la répression de la fête de la musique ? Cela ne fait aucun doute.

Bien sûr, ce n’est pas Johanna Rolland qui a poussé le jeune danseur dans la Loire, mais sa responsabilité dans la cascade d’événements qui ont abouti au drame ne fait aucun doute. Depuis le début, la mairie fait tout pour canaliser la colère légitime provoquée par la chute dans la Loire de jeunes nantais-es une soir de fête. Les camarades socialistes de l’avocate portent une responsabilité dans la mort de ce jeune homme qui ne souhaitait que danser pour la fête de la musique.

Finalement, on peut tout de même se demander si la «modération» et les «désolidarisations» ont été efficaces dans une procédures aussi sensible. Trois ans après les faits, personne n’a été sanctionné pour la répression sanglante de fête de la musique. Et la mairie de Nantes s’en sort bien : tout le monde sait qu’elle ne sera probablement jamais condamnée. Quant à la gestion liberticide de la métropole vis-à-vis des fêtes et de tout ce qui dérange depuis des années, elle n’a jamais été vraiment abordée. Au grand soulagement des autorités policières et municipales.

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