Justice d’abattage dans les tribunaux


Des centaines de peines de prison ferme pleuvent sur les personnes arrêtées ces dernières nuits


Une statuette représentant la Justice, tenant une balance et les yeux bandés

«Dans une société hiérarchisée, on ne parle pas aux policiers comme à des égaux, on obtempère.»

Ce sont les mots d’une procureure à Marseille, lors du procès de personnes arrêtées dans les rues de la ville, un soir de révolte.

Cette magistrate définit en une phrase ce qu’est une société fasciste, un État policier. Loin, très loin, des principes d’abolition des privilèges, d’égalité devant la loi, principes qui sont théoriquement la base de cette «République» dont parlent tant nos élus.

En seulement 4 nuits de révolte, la police a arrêté au moins 3200 personnes. Des rafles de masse, souvent au hasard. Et des arrestations systématiquement suivies d’une comparution immédiate, c’est-à-dire un jugement immédiatement après la garde à vue, conformément à la demande du ministre de la Justice Dupont-Moretti. Des procès expéditifs, sans préparation, sans preuve, expédiés en quelques minutes. Une justice d’abattage, de classe, raciste.

Une justice qui a pour consigne d’incarcérer le maximum d’indésirables, de les terroriser. Lors de ces procès, les procureurs parlent de «peines pour l’exemple», destinées à «dissuader les autres». Ce mardi, 350 personnes ont déjà été envoyées derrière les barreaux, selon le Ministre de la justice. Et cette véritable boucherie judiciaire continue chaque jour dans les tribunaux.

L’avocat Rafik Chekkat a assisté à ces comparutions ultra-violentes à Marseille. Il évoque une succession d’exécutions judiciaires pures et simple. Les procès ont lieu à huis clos, la présidente a fait évacuer le public. La justice est rendue, on le rappelle, «au nom du peuple français».

Parmi les nombreux cas : un homme contrôlé en scooter avec un paquet de fromage récupéré dans un Monoprix. Il prend un an de prison ferme pour «recel». Un autre a été retrouvé par la police avec une cannette de Redbull, elle aussi volée dans un magasin qui avait été dégradé. 10 mois ferme. Pour une canette.

Trois hommes, sans antécédents judiciaires, ont ramassé des pantalons Hugo Boss devant le magasin après qu’il ait été cassé. Les vidéos montrent qu’aucun d’eux n’est entré dans le magasin. La Procureure demande de la prison ferme. «Les trois hommes ont sans doute touché les objets, mais rien n’indique qu’ils les aient pris» précise Rafik Chekkat. Un lycéen part immédiatement derrière les barreaux.

Un homme de 58 ans est jugé pour «recel» pour avoir ramassé des objets au sol trois heures après un pillage. Il est jugé coupable et condamné à une peine d’un an de prison ferme. «Du jamais vu» écrit l’avocat.

Trois hommes qui ne se connaissent pas, mais qui ont été arrêtés ensemble, selon les policiers, dans un magasin Monoprix, sont jugés ensemble. Ils n’ont rien volé. Il n’y a pas de témoins ni de vidéos. Seuls les procès verbaux de la police font foi. Prison ferme.

Deux trentenaires et un cinquantenaire ont été arrêtés par la BAC dans un magasin Auchan. Ils ont été frappés, l’un d’eux a la mâchoire et la main cassée. Un autre est blessé à la jambe. Un policier accuse un prévenu d’un coup à la tête, mais son certificat médical n’indique aucune blessure au visage. C’est parole contre parole. Il dit avoir perdu une chaîne en or d’une valeur de 500€ et réclame un remboursement. «Tentative de vol» pour les trois, «rébellion» pour deux d’entre eux. L’un d’eux voulait «prendre des fruits, car il n’en mange plus à cause de l’inflation». Ils n’ont pas de casier. 6 mois de sursis pour le premier, 12 mois de prison dont 10 de sursis pour le deuxième, 18 mois ferme et une lourde somme à verser au policier pour «préjudice moral» pour le dernier.

Quelques centaines de kilomètres au nord, les mêmes scènes ont lieu au tribunal de Nanterre. «De très jeunes hommes, issus des quartiers populaire des Hauts-de-Seine, français, et en majorité noirs ou maghrébins» comparaissent à la chaîne, explique Médiapart.

Yamadou, 21 ans a été arrêté avec un feu d’artifice. Il est ouvrier, il rentrait du travail. Il a été attrapé par la police après avoir fait tomber son téléphone. «Ma grosse erreur, c’est d’avoir pris le feu d’artifice. Il était par terre, à côté de la mairie», il dit avoir tiré «vers le ciel». Deux membres de sa famille ont subi de graves violences policières. Quand il avait 17 ans, son cousin a pris six balles par des policiers, et a été indemnisé. Les tireurs n’ont jamais été condamnés. Selon les magistrats, c’est un indice de culpabilité : il aurait «voulu se venger». Yamadou n’a pas de casier. «C’est dur de s’en sortir de là d’où je viens» dit-il. «Au vu du contexte», le procureur demande de la prison ferme. Il part le soir même en détention.

Yvan, 18 ans, est accusé d’avoir brûlé une poubelle. Il dit qu’il se baladait dans le quartier. Il a été arrêté à côté d’un mineur qui avait un briquet. Une «destruction en réunion, une circonstance aggravante» pour le procureur, qui réclame une peine de huit mois de prison, avec mandat de dépôt.

Un autre, accusé de tir de mortier, se voit sermonner : «Il faut avoir confiance dans les institutions !» par le procureur, qui réclame deux ans de prison, dont un an ferme avec mandat de dépôt. Voilà pour la confiance. Il part en prison dès la fin de l’audience.

Et ce ne sont que quelques exemples, parmi des centaines d’autres, de la violence inouïe qui se joue dans le calme des salles d’audience. Des juges, tranquillement installés dans leurs fauteuils, détruisent des vies de jeunes hommes accusés d’avoir réagi à l’exécution d’un adolescent par un policier. L’écrasement est total : humiliations, racisme, violences policières, et peines extrême pour ceux qui osent relever la tête. Pendant que les criminels en col blanc ou en uniforme sont systématiquement impunis et protégés.

À celles et ceux qui nous lisent : ne déclarez rien en garde à vue. Refusez les comparutions immédiates. Exigez un avocat. Essayez d’échapper aux griffes de la justice. Les mauvais jours finiront, protégez-vous avant que la révolution ne balaie enfin leur monde odieux et finissant.


Pour soutenir financièrement la défense juridique des inculpés, une caisse de soutien antiraciste est en ligne.

Le compte rendu de Rafik Chekkat.

L’article de Médiapart.

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