«Je trouve que la police, le système judiciaro-carcéral, et plus globalement l’État, ne se font pas respecter. Les jeunes n’ont pas peur de la police, l’État est beaucoup trop mou et faible. Les peines de prison sont trop légères et surtout rarement appliquées, les policiers sont discrédités».
Qui a fait cette déclaration ? Eric Zemmour ? Le syndicat policier Alliance ? Non, c’est le rappeur Booba.
Il commentait par ces mots, qui semblent sortis de la bouche de l’extrême droite, la révolte des banlieues française après la mort de Nahel. Une sortie totalement obscène alors que la police a exécuté l’adolescent de Nanterre puis Mohammed à Marseille, éborgné au moins huit personnes, mis dans le coma deux hommes, blessé et arrêté des milliers de jeunes en l’espace de quatre nuits seulement… Et que la justice a jeté en prison des centaines de personnes lors de procès expéditifs. Les prisons françaises battent leur record du nombre de détenus cet été. C’est probablement l’épisode de répression le plus sanglant depuis des décennies en France.
Mais est-ce vraiment étonnant ? Le modèle du rappeur millionnaire, qui vit à Miami, c’est la police des USA, où «c’est loin d’être parfait mais tu ne défies pas la police à la bagarre».
En 2018 déjà, il défendait les forces de l’ordre ultra-violente des Etats-Unis : «c’est difficile d’être flic […] Alors, je cautionne pas, hein, mais les flics doivent être terrorisés». Booba avait aussi pris un selfie avec le militant néofasciste Jean Messiha ou encore tweeté : «bravo Monsieur Zemmour» juste avant les élections présidentielles en 2022. Le candidat d’extrême droite avait déclaré que les associations LGBT et anti-racistes «endoctrinent les enfants». Bref, Booba assume ouvertement une ligne politique trumpiste : pro-flics, ultra-libérale, homophobe, réactionnaire et mensongère.
La dernière intervention du rappeur sur les émeutes françaises a d’ailleurs été félicitée par le porte-parole du RN, qui a même surnommé Booba le «duc de Beauvau».
Dire qu’au début de sa carrière, le rappeur chantait «je suis bon qu’à causer du tort au Code Pénal», que «le système développe trop de pièges, Les gars racistes occupent trop de sièges» ou encore «moi j’ai le sourire comme à l’enterrement d’un flic». Celui qui trouve aujourd’hui la justice laxiste rappait aussi «La taule c’est la pression, nourrit l’instinct de révolution. Donc nique sa mère la réinsertion». C’était en 2000. Aujourd’hui , c’est un influenceur à la voix trafiquée au vocodeur et au cerveau embrumé par le néoconservatisme.
Booba suit les pas d’un autre chanteur populaire : Renaud. Cet artiste a toujours suivi le sens du vent : anarchiste après Mai 68, quand l’air du temps était à la révolte. Supporter de Mitterrand dans les années 1980, de centre-gauche mièvre dans les années 2000 avant carrément de chanter «j’ai embrassé un flic» en plein état d’urgence, en 2015. Toujours du bon côté, jamais une position courageuse.
Renaud est tellement clairvoyant politiquement qu’il déclarait en 2017 son souhait de voter pour Fillon, «un mec bien, honnête». C’était quelques jours seulement avant le scandale sur les escroqueries en série du candidat…
Rappelons que Renaud diffusait dans les années 1970 des paroles qui seraient aujourd’hui censurée et qui provoqueraient des hurlements indignés sur Cnews et BFM : «J’crie bien haut, Qu’le bleu marine me fait gerber, Qu’j’aime pas l’travail, la justice et l’armée» ou encore «J’fous plus les pieds dans une manif, Sans un nunchaku, un cocktail» et même «À Longwy comme à Saint-Lazare, Plus de slogans face aux flicards, Mais les fusils, des pavés, des grenades !» Une apologie de la lutte armée bien plus hardcore que tous les textes de rap. Une de ses chansons les plus connues disait : «J’ai chanté dix fois, cent fois, J’ai hurlé pendant des mois, J’ai crié sur tous les toits, Ce que je pensais de toi, Société, société, Tu m’auras pas». Raté.
La vieillesse est décidément un naufrage. Mais Renaud a mis 40 ans à se droitiser, Booba est allé bien plus loin en quelques années seulement. On continuera quand même à écouter les chansons des deux artistes, celle écrites lorsqu’ils étaient encore révoltés, avant que la société ne les ait récupérés.