Une famille de patron veut interdire un spectacle sur une grève, il se transforme en manifestation !


Une belle (leçon d’)histoire


Avez-vous entendu parler de la grève de Bretoncelles, en Normandie ? Probablement pas. C’est pourtant un événement important de la mémoire des luttes. Dans cette commune du Perche qui compte aujourd’hui 1500 habitants, une grève historique avait eu lieu dans les années 1970.

À Bretoncelles, l’usine de la famille Piron fabrique alors des équipements automobiles pour Renault et Citroën. En 1974, les ouvriers apprennent la fermeture de l’entreprise, ce qui menace 86 emplois. La nouvelle déclenche un mouvement ouvrier qui dure deux ans ! Mais les grévistes ne se contentent pas d’arrêter de travailler : la mairie est occupée et ils licencient leur patron. Mieux, ils prennent le contrôle de l’entreprise. Pendant 6 semaines, c’est l’autogestion.

En 1976, une firme rachète finalement l’usine et ne maintient que 20 emplois. Les meneurs de la grève sont mis sur liste noire par les patrons, pour qu’ils ne puissent pas retrouver de travail. La presse nationale couvre alors l’évènement, les ouvriers licenciés font une grève de la faim en 1979.

Ce mouvement social héroïque marque durablement le territoire. Et fait écho à une autre grève mythique : celle, plus connue, de l’usine LIP, qui fabrique des montres et qui avait aussi été mise en autogestion par ses ouvriers et ouvrières !

50 ans ont passé. Et la bataille pour maintenir la mémoire de cette lutte faire rage à Bretoncelles. Un ancien ouvrier et syndicaliste, accompagné d’amis, a décidé de créer un spectacle vivant pour commémorer et fêter la grève de l’usine Piron. Une animation de rue, populaire et joyeuse.

Mais les descendants du patron, le clan Piron, ont tout fait pour faire interdire le spectacle. Les créateurs de l’évènement avaient demandé au patron de l’actuelle usine de jouer une partie des scènes dans les locaux, sur les lieux de la grève. Il avait accepté. Sous la pression des Piron, il a ensuite renié son accord. Mais ce n’est pas tout. Le clan d’héritiers du patron met la pression sur la mairie. L’élu, qui avait prêté la salle des fête, annule finalement son autorisation. Et il va même jusqu’à interdire toute présence dans les rues du bourg, invoquant des risques de «troubles à l’ordre public».

Un individu envoyé par les Piron ira jusqu’à se rendre devant la maison d’un des auteurs, alors absent : «Il a commencé à mettre la terreur chez mes voisins, en disant qu’il allait me torturer, me casser la gueule, incendier mon domicile. Les gens étaient terrifiés.» L’affaire prend des proportions hallucinantes. Les Piron sont tellement sûrs d’eux qu’ils réclament une interdiction au préfet.

Mais le dimanche 18 septembre, le spectacle a bien eu lieu. Les auteurs se sont adaptés : il a été joué dans un champ privé, donc une zone échappant aux interdictions stupides des autorités. Le clan patronal a complètement perdu la partie : au moins 300 personnes ont participé à l’évènement, ce qui est considérable par rapport à la population de la commune.

Un cortège s’est élancé dans les rues pour rejoindre le champ, avec une fanfare et beaucoup de bonne humeur. Devant la mairie, Antoine Rubinat, l’un des grévistes de 1974 a déclaré : «Pourquoi la mairie ? Parce que c’était la maison de tous et qu’il fallait qu’on garde le rapport de force.»

Se comportant jusqu’au bout comme des bolosses, les héritiers du patron ont garé une voiture au milieu de la rue, klaxonné pour empêcher le cortège de passer et ont amené une sono et une corne de brume pour couvrir le spectacle. Ils ont aussi menacé les participants. Ils n’ont bien entendu pas été inquiétés par les gendarmes présents sur place. Voyant qu’ils avaient perdu la bataille, ils ont fini par quitter les lieux.

Cette affaire prouve que les possédants ne lâchent jamais. Ils répriment les luttes sociales lorsqu’elles ont lieu, tentent de les invisibiliser, et vont jusqu’à effacer, des décennies après, la mémoire de ces moments de courage et de dignité. Ce qui défie leur pouvoir ne doit pas exister, ni au présent, ni au passé. L’histoire de nos combats doit donc être écrite, transmise, commémorée pour ne pas tomber dans l’oubli. Comme à Bretoncelles, où le patronat a été mis en PLS.


La documentation sur cette grève est à retrouver ici.


Images : Ensemble 28

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