Conseil lecture : Chroniques de l’injustice ordinaire


Chroniques de l’injustice ordinaire, récits de procès illustrés, Ana Pich’, éditions Massot.


Ana Pich’, dessinatrice nantaise publiée dans plusieurs médias indépendants locaux, dont Contre Attaque, s’assoit quotidiennement sur les bancs du tribunal de la ville. Elle témoigne ainsi des violences ordinaires qui se déroulent entre les murs confinés d’une institution qui a le pouvoir de broyer des vies et d’en épargner d’autres, selon des motifs qui relèvent de choix politiques et sociaux. La bande dessinée qui vient de paraître rassemble des dessins de procès réalisés ces deux dernières années, et l’autrice n’en est pas à son coup d’essai.

Ana Pich’ a étudié le droit pendant cinq années durant lesquelles elle oriente déjà ses recherches sur les différents facteurs d’influence qui pèsent sur les processus décisionnels des juges. Autrement dit, elle démontre que la neutralité n’existe pas et que les magistrat·es sont nécessairement influencé·es par la position sociale du prévenu, les éléments de sa vie personnelle, son langage, son origine et son genre. Comme le dit un magistrat : “On juge nos semblables mais il y a des gens plus semblables que d’autres.” En résumé, une personne considérée comme étant en bas de l’échelle sociale aux yeux de l’institution judiciaire subira une punition bien plus lourde que les autres.

Les résultats de ses recherches n’ont fait que renforcer cette vérité, elle-même confirmée par son expérience professionnelle : Ana Pich’ a travaillé en tant qu’enquêtrice au sein du tribunal de Bobigny. Un poste qu’elle a quitté quelques mois plus tard, refusant de participer aux injustices dont elle était témoin. Pour autant, elle n’a pas déserté les salles sombres et froides des tribunaux. Et il faut du courage pour s’y rendre chaque jour et dénoncer avec opiniâtreté les différents degrés d’application de la loi, selon qu’on soit français·e, étranger·ère, militant·e, riche ou pauvre, etc.

Cet engagement dans son travail est aussi perceptible dans ses dessins, qui rendent compte des vies derrière l’étiquette, déjà souvent condamnable, de “prévenu”. Toujours avec pudeur et respect de l’intimité, l’autrice retranscrit quelques éléments d’une vie frappée de discriminations. Pour preuve, le nombre de procès pour vol à l’étalage en raison de difficultés financières. En exergue de ses dessins, l’autrice nous présente le fonctionnement de l’institution judiciaire, des audiences correctionnelles, ainsi qu’une partie immergée de cet iceberg : la répression policière. Un fait très simple, les contrôles policiers dirigés systématiquement contre les personnes racisées entraînent automatiquement un plus grand nombre de procès à leur encontre. Il en va de même de la répression des opposant·es politique qui, depuis quelques années, subissent des peines de plus en plus lourdes. Au contraire, les violences policières n’entraînent, elles, jamais de condamnation. La séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire (comme le prévoit normalement la Constitution) n’est bien qu’un leurre.

Cette intensification de la répression est favorisée par le système des comparutions immédiates, qu’Ana Pich’ dénonce largement : ces procès expéditifs sont une entrave à l’équité et au droit à se défendre. Les condamnations sont quasiment systématiques. Le nombre de personnes enfermé·es est estimé aujourd’hui à plus de 72.000, contre 20.000 en 1955 ! Et ce chiffre ne tient pas compte des personnes assignées à résidence. Les procédures expéditives qui mènent à cette situation sont parfaitement retranscrites dans le livre : audiences à la chaîne, “affaire bouclée en 10 minutes… plus que 16 dossiers à juger dans l’aprem…”, questions des prévenu·es laissées sans réponses, postures et haussements de sourcil de juges toujours incrédules, etc.

On se délecte des portraits moqueurs de procureurs autoritaires à la solde du gouvernement, mais on est surtout révolté·e par le traitement inhumain réservé aux personnes stigmatisées en raison de leur appartenance sociale ou de leurs engagements. Et finalement, à la lecture de cette bande dessinée, on ne peut qu’être convaincu·e des incohérences et failles d’une justice punitive.

Si vous voulez comprendre le fonctionnement judiciaire, si vous vous intéressez au droit, si vous êtes inquiété·e par la justice ou tout simplement curieux·se d’un système qui décide de la vie et de la liberté des individus : un beau livre bien illustré, à lire de toute urgence.

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