Enfer carcéral en France : un rapport accablant sur les mitards


L’Observatoire International des Prisons (OIP) publie ce mardi 6 février un rapport d’enquête sur «la machine disciplinaire» afin de dénoncer la réalité des sanctions infligées aux prisonnier-es dans ces espaces d’enfermement où l’autorité, bien souvent hors de tout contrôle et de respect des principes fondamentaux, fait régner la terreur et la violence en toute impunité.


L’OIP nous livre un travail d’enquête approfondi et documenté mené entre octobre 2022 et décembre 2023 afin de «rendre compte de la réalité de la discipline en prison», en s’appuyant sur de nombreuses ressources (témoignages, questionnaires, dossiers disciplinaires, entretiens, textes juridiques et autres rapports…).

Le mitard est une minuscule cellule isolée, encore plus dure que les cellules classiques, dans laquelle un détenu est placé pour le punir. «Le constat est lourd et édifiant, témoignant des conséquences dramatiques d’une vision quasi exclusivement répressive, faisant de la discipline en prison une punition dans la punition» explique le rapport.

Ce sont tout d’abord des sanctions disciplinaires qui s’appliquent sur des infractions floues et absolument pas définies. «En prison, la liste des fautes passibles de sanctions disciplinaires est potentiellement infinie» souligne l’OIP. Un-e détenu-e peut être amené-e à être sanctionné-e pour une «tenue vestimentaire jugée non appropriée, un œilleton bouché, une radio dont on refuserait de baisser le volume». C’est le régime de l’arbitraire qui y est instauré. Si les prisonnier-es ne peuvent savoir précisément les infractions qu’on peut leur reprocher, tout devient permis pour les surveillant-es, qui peuvent asseoir leur autorité hors de toute légalité, pour des raisons de vengeance personnelle notamment.

Les quelques avancées législatives en matière de contrôle des décisions pénitentiaires sont loin de suffire. Les comptes rendus écrits exigés sur les faits donnant lieu à une sanction, ne garantissent aucunement un traitement équitable de la procédure disciplinaire, puisque ceux-ci restent cloîtrés derrière les murs des prisons. Le droit à l’assistance d’un avocat instauré depuis 2000 est rarement utilisé et, malgré l’obligation de fournir le dossier au moins 24h avant la commission de discipline, il est extrêmement courant que les avocat-es ne puissent le consulter qu’une heure avant.

Peu importe les lois qui encadrent cette procédure, il en reste que l’administration pénitentiaire se trouve être juge et partie. Et qui irait se plaindre de ses geôliers alors que ceux-ci pourront par la suite se venger en toute impunité ? C’est aussi la question de l’impunité des violences carcérales et policières dont il est question.

L’administration pénitentiaire est à la fois juge et partie, aussi dans la mesure où le chef d’établissement a une place prédominante dans la commission de discipline. Ce conflit d’intérêt est une atteinte gravissime aux droits au procès équitable. Car si il ne s’agit pas d’un procès pénal, la commission de discipline met bien en œuvre des sanctions, qui conduisent dans la majorité des cas au quartier disciplinaire, relève l’enquête de l’OIP.

Le placement en quartier disciplinaire peut atteindre jusqu’à 30 jours. Il s’agit de cellules similaires à celles de garde à vue, plaçant donc les prisonniers dans des conditions d’une violence inouïe : il y a l’isolement total, mais également bien souvent l’absence d’hygiène, des «fenêtres laissant à peine passer la lumière», une sortie quotidienne d’une heure dans une «cour de promenade» qui n’est rien d’autre qu’une autre pièce fermée, «sans compter les nombreux cas de violences et de brimades par des surveillant-es pénitentiaires»… Le mitard atteint la dignité humaine, il s’agit de traitements dégradants et violents. C’est un lieu où la violence des matons s’exerce en toute impunité, loin des regards. Le risque de suicide y est alors extrêmement élevé, 15 fois plus qu’en détention ordinaire.

«On vous condamne à un moment de solitude, d’abandon, de déshonneur complet» témoigne un-e prisonnier-e à l’OIP.

Et la sanction disciplinaire n’empêche pas en parallèle des sanctions pénales. Les prisonnier-es subissent alors une double peine. Le rapport d’enquête publie ainsi un exemple de témoignage anonymisé d’un détenu condamné à 26 jours de mitard pour la détention d’un téléphone et la prétendue agression d’un surveillant. Il dénonce les fausses déclarations des deux agents, contredites d’ailleurs par le témoignage d’un autre surveillant présent. Il raconte que devant la commission de discipline, l’avocat de permanence n’a pas pu se présenter et qu’on lui a refusé l’accès à la vidéosurveillance alors que celle-ci aurait pu corroborer sa version des faits.

Condamné sans aucun droit à une défense, sans aucun procès contradictoire… Le surveillant a parallèlement déposé plainte, une procédure judiciaire est donc également en cours. Ce prisonnier est donc susceptible de comparaître et d’être condamné en plus devant le tribunal judiciaire. Et son histoire n’est malheureusement pas anecdotique. Il est courant de voir des prisonnier-es jugé-es devant le tribunal et y dénoncer les violences carcérales qu’ils subissent, mais la justice reste sourde et refuse d’entendre leur témoignage.

Au sein de la prison, en plus de la sanction disciplinaire découle souvent des conséquences dramatiques sur les prisonnier-es : «une faute peut entraîner, outre la sanction décidée en commission de discipline, des conséquences en cascade sur le quotidien carcéral – par exemple en termes d’activité de travail ou de régime de détention –, mais également sur le parcours d’exécution de la peine – à travers notamment les décisions des juridictions d’application des peines d’accorder ou non des permissions de sortir, des aménagements de peine ou des réductions de peine» explique l’OIP. Le détenu cité précédemment raconte ainsi que son placement au mitard lui a fait perdre son emploi au sein de la prison.

Ce rapport de presque 150 pages dresse un tableau précis des sanctions infligées aux prisonnier-es et dénonce l’absence de contradictoire, de respect des principes fondamentaux liés au procès équitable et au respect de la dignité humaine. Le rapport d’enquête conclut sur des recommandations évidentes mais encore trop peu entendues : supprimer le quartier disciplinaire, limiter le champ des comportements pouvant donner lieu à des sanctions, garantir les droits de la défense, limiter le poids de la discipline dans le parcours d’exécution de la peine, ou encore garantir un recours effectif contre la sanction disciplinaire.

Les conditions carcérales en France sont insupportables dans un pays qui prétend respecter les droits humains. Bien souvent marginalisée, la voix des prisonniers est étouffée sous celle des geôliers et de l’administration pénitentiaire. Il est absolument urgent de lever le silence sur les conditions indignes dans lesquelles survivent près de 75.897 personnes au 1er janvier 2024. Un triste record qui ne cesse d’être continuellement dépassé d’années en années, avec une augmentation de 3724 prisonnier-es en 2023.


À quand de réelles réflexions sur la peine et la justice pénale ? Il est temps de mettre fin à ces lieux d’enfermement et de torture.


Le rapport d’enquête complet est à consulter sur le site de l’Observatoire Internationale des Prisons ou sur sa page Instagram.

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