5 personnes dont deux hommes exilés ont été assassinées dans le cadre d’une tuerie de masse. Le traitement médiatique, d’une grande légèreté, évite délibérément d’enquêter sur les motivations et d’évoquer le contexte d’augmentation des agressions racistes.

L’épisode qui a eu lieu samedi 14 décembre est sanglant et terrifiant. Ce jour là, Paul, habitant de Dunkerque âgé de 22 ans, démarre sa voiture, lourdement armé, pour aller commettre une série d’assassinats. À 15h15, un premier homme de 29 ans est tué devant son domicile, dans la commune de Wormhout. La victime dirigeait une société de transport routier, et était l’ancien patron du tueur.
Une heure plus tard, 30 kilomètres plus au Nord. À Loon-Plage, une zone industrielle et portuaire en banlieue de Dunkerque, deux autres hommes sont abattus « froidement » selon les images de vidéosurveillance. Deux pères de familles trentenaires, agents de sécurité, qui faisaient une ronde. Selon l’enquête, le tueur «connaissait une des victimes de vue».
Paul ne s’arrête pas là. Il redémarre sa voiture, et se rend 5 kilomètres plus loin, devant un campement d’exilés. Il assassine deux hommes de nationalité iranienne, âgés de 19 et 30 ans, qui se nomment Mustafa et Ahmid. Il ne les connaissait pas. C’est ici qu’il termine son escapade meurtrière. Le tueur en série se rend à 17H20 dans une gendarmerie.
Un traitement médiatique biaisé
Depuis deux jours, le traitement médiatique et judiciaire est d’une légèreté surprenante. Surtout quand on sait que les médias dominants, en particulier ceux rachetés par Bolloré, sont capables d’organiser une semaine de polémique nationale sur le keffieh de Rima Hassan ou sur le moindre fait divers impliquant un immigré. Il s’agit ici d’une série d’exécutions par balles, ce que la police appelle aux USA une « tuerie de masse ». Mais le responsable s’appelle Paul.
Le quotidien Le Monde titre : « La piste d’une vengeance professionnelle privilégiée ». Le Parisien publie un article qui commence ainsi : « Paul, Marc, Aurélien… Qui sont les cinq victimes ? ». Notez les trois petits points, qui n’ont rien d’anodins. Les noms de Mustafa et Ahmid n’existent pas, il ne faudrait surtout pas suggérer un crime raciste. Sur France Info, une connaissance du tueur explique que Paul, qui vient donc de tuer cinq personnes, « est un très bon garçon, sans histoire, très poli, très serviable ».
Les médias répètent que le tueur est l’employé de la première victime et qu’il a été salarié par l’entreprise de sécurité des deux suivantes, pour insister sur un différend professionnel. Mais ils ne posent aucune question ni ne mènent d’enquête sur l’attaque du campement d’exilés.
Pourquoi l’assassin aurait-il fait 5 kilomètres de plus pour se rendre devant ce camp si ce n’est par racisme ? Pourquoi a-t-il tué deux exilés qu’il n’avait jamais vu auparavant si ce n’est par racisme ? Comment et par quels réseaux s’est-il procuré ses armes ?
Toutes ces zones d’ombre restent sous un voile pudique, pour ne pas dire volontairement dissimulé. Quand une tuerie ne sert pas l’agenda réactionnaire, parce que le tueur n’est ni musulman, ni sous OQTF, la couverture est totalement différente.
Le parquet, de son côté déclare à la presse, qu’il n’y a pour l’heure « pas d’explication au meurtre de deux migrants ». Certains articles évoquent des « dommages collatéraux ». La faute à pas de chance. L’hypothèse d’un acte raciste n’est même pas envisagée.
Le mot « terroriste », quant à lui, n’est évidemment jamais utilisé. Il est réservé aux écologistes ou au manifestants qui soutiennent la Palestine, pas à Paul, qui tue 5 personnes par balles en deux heures dans les rues.
Un contexte ignoré
Si la grande presse faisait son travail, il y aurait pourtant un lien à faire entre ces meurtres et le contexte de forte augmentation des violences raciste et d’armement de l’extrême droite.
Le 20 novembre, il y a moins d’un mois, trois individus ont été arrêtés dans les départements du Rhône et de la Loire, dans le cadre d’une enquête sur un trafic d’armes de guerre. Des dizaines d’armes ont été saisies au domicile d’un père de 59 ans et son fils de 29 ans, membre de la section locale d’Égalité et Réconciliation, le groupuscule antisémite d’Alain Soral. Comme dans la plupart des coups de filet qui visent l’extrême droite, les médias sont beaucoup moins bavards que quand il s’agit d’évoquer une poubelle brulée en manifestation.
Le même jour, Rochdi Lakhsassi, commercial d’une trentaine d’années, était froidement abattu de deux balles dans le dos par un habitant à Chavelot dans les Vosges, alors qu’il faisait du démarchage pour son entreprise. Le meurtrier, Noël Richard, 71 ans, a délibérément visé la victime. À nouveau : sobriété hallucinante des médias. L’affaire n’a fait que quelques lignes dans la presse locale.
Le 3 décembre, à Marignane, une femme musulmane de 42 ans, par ailleurs handicapée et sortant d’une chimiothérapie, était agressée dans un supermarché LIDL par une responsable du magasin. Cette dernière lui a arraché son voile devant témoins, a cassé son téléphone et lancé : « Qu’est-ce que tu as, Belphégo ? » La victime s’en est sortie avec une plaie au visage et s’est vue notifier 2 jours d’ITT. La justice n’a pas retenu la dimension raciste de cet acte, et la police parle d’une simple altercation. L’avocat de la victime maintient qu’il s’agit d’un acte islamophobe, et souligne que la qualification retenue ne reflète pas les faits.
À Amiens dans la Somme, un incendie a visé une mosquée le 29 octobre. Les fidèles qui ont été alertés par une odeur de brûlé en allant faire leur prière. À proximité de l’édifice, ils ont retrouvé des allumettes et des allume-feu, confirmant la nature intentionnelle de l’acte. Trois jours plus tôt, une association franco-turque de Côte-d’Or qui gère une mosquée découvrait devant ses locaux le cadavre d’un marcassin.
Le 11 octobre, à Lyon, une jeune femme qui portait une casquette du club de football allemand Sankt Pauli, connu pour son engagement contre l’extrême droite, était passée à tabac par des fascistes. Alors qu’elle buvait un verre dans un bar, un homme au visage masqué s’est approché et lui a arraché sa casquette. La jeune femme l’a poursuivi, et est tombée sur une quinzaine d’individus, au visage dissimulé qui l’ont fait tomber au sol et l’ont frappée en hurlant «ici c’est Lyon, dehors les gauchos». Elle a fait constater une «contusion cervicale», «des ecchymoses supérieures à 10 cm», des écorchures et un «hématome à la main droite».
Parmi d’autres cas, le 31 aout, c’était déjà près de Dunkerque que Djamel, père de famille maghrébin, était assassiné par un militant d’extrême droite nommé Jérôme Decofour. Ce dernier avait écrasé Djamel volontairement. Le tueur était membre d’une milice raciste nommée «Brigade Française Patriote», et avait harcelé la victime par le passé. En toile de fond de ce crime raciste, la compagne de la victime était l’ex du tueur. Mais Djamel avait déposé plusieurs plaintes restées sans suite contre Jérôme, qui le qualifiait régulièrement de « bougnoule » et de « Sarrasin ». La justice n’avait pas réagi, jusqu’à sa mort qui n’a pas non plus suscité de couverture médiatique nationale. Depuis, sa famille se bat pour que la qualification raciste de ces faits soit retenue. Le meurtre de Djamel intervient dans la même ville que le quintuple crime commis ce week-end.
Des exilés abandonnés
À Dunkerque, après la série d’assassinats du 14 décembre, les habitants du campement d’exilés où a eu lieu la double exécution sont en danger, et abandonnés par les autorités.
Alors que l’entourage des victimes françaises est soutenu, la responsable de l’association d’aide aux migrants Utopia 56 à Grande-Synthe déplore que « rien n’ait été prévu » pour les occupants du campement : « ni soutien psychologique ni mise à l’abri ». Une autre militante associative explique que sur le campement, des exilés « ont demandé de la protection, un hébergement » et que « la peur, le stress et la précarité sont au maximum ».
Après une attaque à l’arme à feu à proximité de leurs tentes, qui ne serait pas terrorisé ? Pourtant, l’État n’a pas fait le moindre geste en leur direction.
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