Kneecap : un groupe de rap de Belfast ciblé par la police anti-terroriste pour son soutien à la Palestine


Mo Chara, membre du trio irlandais Kneecap, est inculpé pour «offense terroriste» et doit comparaître le 18 juin devant le tribunal de Westminster.


Kneecap en concert et devant une fresque pour la libération de l'Irlande.

Avec cet énième exemple de répression envers les artistes s’engageant contre le génocide en cours à Gaza, c’est aussi l’illustration du lobbyisme conservateur pour faire taire les voix discordantes.

Kneecap est un groupe de rap originaire de Falls et de Creggan, des quartiers populaires et républicains de Belfast et Derry. Les trois membres qui le composent – Móglaí Bap, Mo Chara et DJ Próvaí – sont en pleine ascension, après un second album salué par le public et un biopic ayant raflé de nombreux prix.

En haut : Kneecap affirme son soutien à la Palestine occupée.
En bas : Mo Chara apparaît la bouche scotchée.

Mélangeant l’anglais et l’irlandais, ils racontent souvent avec humour le quotidien des «enfants du cessez-le-feu» suite au sanglant conflit colonial en Irlande du Nord, entre précarité, drogues et soirées sans fin. Affirmant leur culture et leur langue, ils entendent s’adresser aux classes populaires des deux communautés déchirées du Nord de l’Irlande sans reculer un instant sur leurs engagements. En faveur d’une île réunifiée, pour les langues autochtones, contre le racisme et la domination britannique. Et bien sûr, comme de nombreux irlandais, avec une solidarité envers le peuple palestinien chevillée au corps.

Mais depuis quelques semaines, les voilà ciblés par la police anglaise, et en particulier sa branche dite «anti-terroriste». Et ces investigations viennent de déboucher sur l’inculpation du rappeur Mo Chara pour un prétendu soutien à une organisation terroriste : l’artiste avait agité sur scène un drapeau du Hezbollah lors des attaques israéliennes sur le Liban.

On pourrait longtemps disserter sur la raison de ce geste, sur le degré de provocation, sur l’urgence de la solidarité envers un peuple victime de bombardements, sur le rapport à la violence et aux groupes armés d’un jeune issu d’un quartier républicain dont l’histoire résulte directement de la domination coloniale.

Mais cela serait déjà s’orienter dans une direction biaisée. La question n’est pas de savoir le degré de légalité des actes dénoncés, mais bien de savoir pourquoi ce traitement est réservé à ce groupe. N’importe qui d’honnête ayant sillonné, même brièvement, les comptés occupés de l’Ulster, peut en témoigner : par quartiers, parfois par villages entiers, flottent régulièrement des drapeaux de paramilitaires loyalistes – favorables à la domination britanniques – des groupes terroristes parfaitement identifiés et responsables de nombreux morts. Ces symboles font l’apologie de la violence, exaltent des armes de guerre, mais ne donnent lieu à aucune poursuite. Ils peuvent même s’inviter dans les parades annuelles commémorant la conquête de l’Irlande, organisées par la droite réactionnaire.

Le harcèlement judiciaire visant Kneecap est en fait l’aboutissement d’une opération de déstabilisation, menée conjointement par les conservateurs d’Angleterre et des USA. L’affaire commence en avril dernier, par la prestation du groupe au festival de Coachella, en Californie. Devant une large foule, le trio a joyeusement fait référence à la mort de Margaret Thatcher, l’ancienne Première Ministre réactionnaire du Royaume-Uni, avant d’exprimer son soutien entier au peuple palestinien qui subit un nettoyage ethnique mené par Israël. Immédiatement, et ce n’est guère surprenant, les trumpistes sont montés au créneau, espérant bannir le groupe des festivals aux USA, et réclamant l’annulation de leur visa. La cancel culture, la vraie.

En revanche, ce qui va suivre déborde de la secte à la casquette rouge : ce sont désormais les réactionnaires britanniques qui s’invitent dans la surenchère, publiant des vidéos tirées d’anciens concerts du groupe : ils ont été vexés par des paroles telles que «a good tory is a dead tory» – «un bon tory est un tory mort», les torries étant l’aile droite de l’échiquier politique britannique – et autres provocations scéniques de ce groupe de rap à l’esprit très punk. Les réacs anglais font tout pour nuire aux trois artistes, appelant à des poursuites judiciaires et annuler leurs concerts. Comme en France, où une chasse aux sorcières vise les artistes «islamo-gauchistes» et tous les soutiens de la cause palestinienne.

La polémique a donc enflé jusqu’à cette fameuse inculpation du groupe irlandais. Ironiquement, cette convocation anti-terroriste aura eu lieu le jour même où, en France, le film sur Kneecap sortira au cinéma. La convocation a été médiatisée dans de nombreux journaux britanniques qui n’ont même pas utilisé le vrai nom de Mo Chara, Liam Óg Ó hAnnaidh, mais l’ont désigné par son patronyme anglicisé. Un indice du traitement volontairement méprisant et colonial d’artistes irlandais par les médias anglais.

Passée le choc de l’offensive visant à le faire taire, le groupe est désormais en pleine contre-attaque. Aux accusations et annulations répondent désormais de nombreux soutiens du monde de la musique. Une autre arme du crew s’affirme : les concerts improvisés. Après l’annonce de la convocation judiciaire, le groupe a indiqué jouer un concert surprise le soir même au mythique Club 100 de Londres. La totalité des places se sont arrachées en 90 secondes. Cette soirée a été perturbée par une brève incursion de la police londonienne, prétextant une vague question de «sécurité», avant de déguerpir, ce qui a permis au concert de se tenir sans accroc. Pour l’occasion, Mo Chara est apparu sur scène avec un scotch sur la bouche.

Au-delà de leur situation personnelle et des tentatives de dépolitisation de l’art auxquelles on assiste dans beaucoup de pays, le groupe a tenu à rappeler, et ses soutiens avec lui, que «le sujet n’est pas Kneecap, le sujet est ce qui se passe à Gaza». Où les atrocités continuent, soutenues par les mêmes puissances occidentales, bien plus courageuse lorsqu’il faut s’attaquer à des artistes qu’à un régime d’occupation.


Pour en savoir plus :


Crédits photo :

  • Kevin Scott pour le Belfast Telegraph, août 2023
  • Mouvement «Irish Unity», non datée
  • Shannon Shumaker Photography, avril 2025
  • Chaine whatsapp de Kneecap, 23 mai 2025

AIDEZ CONTRE ATTAQUE

Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.

Faites un don à Contre Attaque, chaque euro compte.