Jusqu’à 14 ans de prison encourus pour un soutien à la Palestine : le tournant vers l’autoritarisme se confirme outre-Manche après le classement du collectif Palestine Action comme organisation terroriste et l’interpellation de militant-es propalestien-nes

Samedi 5 juillet entrait en vigueur une mesure répressive prise par le gouvernement britannique : le mouvement Palestine Action est désormais classé comme «organisation terroriste». Crée il y a 5 ans, Palestine Action est un collectif de désobéissance civile qui prône l’action directe contre des entreprises et des institutions complices de l’apartheid, l’occupation, la colonisation et le génocide en Palestine.
Ses activistes ont notamment pénétré la base aérienne militaire de Brize Norton le 20 juin dernier. Deux avions militaires avaient été recouverts de peinture rouge, et des actions de désarmement réalisées. Palestine Action rappelait dans un communiqué la complicité du gouvernement anglais : «Le Royaume-Uni est un acteur direct du génocide à Gaza. L’armée britannique collecte des renseignements, ravitaille des avions de chasse et fournit des armes utilisées contre les Palestiniens». Quatre personnes avaient été placées en détention provisoire, en attendant leur jugement le 18 juillet prochain.
Un précédent inquiétant
L’ordonnance prise par le juge Chamberlain à la Haute Cour de Londres confirme le tournant autoritaire pris par le pays et la criminalisation inédite du soutien à la Palestine qui fera date. Le pays est d’ailleurs reconnu comme le pire en matière de répression judiciaire au niveau européen pour les militants et militantes écologistes, selon le rapporteur spécial de l’ONU Michel Forst. Des peines de prison ferme ont déjà été prononcées pour de simples jets de soupe ou blocages de route. À l’heure actuelle, 56 membres de Palestine Action sont d’ors et déjà jugés pour des manifestations devant des usines d’armement et installations militaires. En janvier dernier, 77 personnes étaient arrêtées à Londres lors d’une manifestation pacifique contre lé génocide à Gaza.
Il est à craindre que cette qualification de Palestine Action comme «organisation terroriste» ouvre la voie à d’autres. En effet, l’ordonnance du gouvernement pointe du doigt la perte de revenus des entreprises pour qualifier le collectif de terroriste. Ainsi, n’importe quel collectif appelant à une action de désobéissance civile – comme un simple blocage d’une entreprise – faisant perdre de l’argent à une entreprise ou au gouvernement pourrait être qualifié à son tour d’organisation terroriste, comme les groupes écologistes par exemple. Le Socialist Equality Party alerte : «Si le sabotage non violent par des manifestants individuels est qualifié de terroriste, alors qu’en est-il des grèves des marins et des travailleurs du secteur portuaire, ou des ouvriers d’usine et de logistique qui boycottent la fourniture d’armes et d’autres équipements à la machine de guerre israélienne, comme l’ont fait les dockers français, grecs et italiens ?»
Ces atteintes graves à la liberté d’expression et d’action étaient également visibles il y a une semaine, lorsque la BBC a été sommée par le gouvernement de s’expliquer sur la diffusion en direct du concert du duo de rap Bob Vylan, lors du festival de Glastonbury, plus gros festival du pays. «Death, death to the I.D.F» – «Mort aux forces de défense israéliennes» – avait entonné le duo, repris par les dizaines de milliers de festivaliers brandissant des drapeaux palestiniens. Une enquête a été ouverte contre eux. La chaîne de télé anglaise avait choisi de diffuser ce concert en lieu et place de celui de Kneecap – groupe irlandais connu pour ses prises de position pour une Palestine libre, dont le chanteur Mo Chara est également visé par une enquête, espérant ainsi silencier les voix pro-palestiniennes. C’est loupé.
Une offensive gravissime
Les conséquences de cette ordonnance sont énormes pour Palestine Action. Le Terrorism Act 2000 prévoit jusqu’à 14 ans de prison pour ses membres, toutes les listes de diffusion et réseaux sociaux sont détruits, et ce même si l’ordonnance était finalement rejetée en appel le 21 juillet prochain. Le simple fait d’arborer un symbole sur un vêtement, un drapeau est également passible de 6 mois de prison. Ainsi, des centaines de milliers de Britanniques ont affiché le slogan «Nous sommes tous Palestine Action!» sur leur compte X. C’est désormais illégal.
Le simple fait pour un journaliste de couvrir des campagnes pourra être passible de poursuites. L’ONU estime qu’il s’agit d’une décision gravissime et a publié un communiqué le 1er juillet dernier appelant à ne pas «mal utiliser les lois antiterroristes contre Palestine Action». Elle rappelle que «les actes de protestation qui s’en prennent à des biens, mais dont l’objectif n’est pas de tuer ou blesser des personnes ne doivent pas être traités comme du terrorisme». L’ONU rappelle que le problème est que le terrorisme n’a pas de définition précise en droit international. De ce fait, on peut y mettre tout et n’importe quoi, comme le fait l’Angleterre aujourd’hui en criminalisant la lutte pour la Palestine ou les luttes écologistes.
La riposte s’organise
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme, le Conseil national pour les libertés civiles (Liberty) et Amnesty International UK se sont également élevés contre cette décision.
La société civile se mobilise pour soutenir Palestine Action. Le 5 juillet, des centaines de militants et militantes du collectif «Defend our Juries» étaient présent-es à Londres pour contester cette décision. 29 d’entre elles et eux ont été arrêtés. Leur crime ? Tenir des pancartes. Parmi les dangereux terroristes, une révérende de 83 ans, Sue Parfitt, qui tenait une pancarte sur laquelle on pouvait lire «Je m’oppose au génocide. Je soutiens Palestine Action». Son arrestation a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux, les Anglais dénonçant «la marche vers l’autoritarisme et les mesures contre la liberté d’expression», se demandant «s’il était légal de l’appeler une héroïne ?» Le musicien Roger Waters a également publié une vidéo de soutien : «Je soutiens Palestine Action. C’est une organisation formidable. Elle est non violente et absolument pas terroriste». En réalité, des millions de Britanniques soutiennent la cause palestinienne. Seront-ils tous considérés comme des terroristes ?
Partout dans le monde les gouvernements occidentaux complices du génocide tentent de criminaliser le soutien à la Palestine. Rappelons qu’en France Bruno Retailleau a également demandé la dissolution d’Urgence Palestine, que l’on a vu des policiers confisquer un drapeau palestinien sur une plage française, qu’une énorme enquête pour «association de malfaiteurs» vise la mobilisation qui dénonçait le Salon de l’armement du Bourget, que des manifestant-es sont sous contrôle judiciaire pour avoir mis un drapeau palestinien place de la République pendant que l’avion du génocidaire Netanyahou survolait de nouveau l’espace aérien français sans être inquiété.
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