Otage de la raison d’État, «il mourra libre à Beyrouth en tant que résistant»

On n’osait plus y croire, pourtant la décision est tombée ce jeudi 17 juillet. Georges Abdallah va sortir de prison. Le révolutionnaire marxiste libanais est enfermé depuis plus de 40 ans dans les geôles de l’État français. Aujourd’hui, après la libération de Leonard Peltier aux USA, il est l’un des plus anciens prisonniers politiques du monde, condamné à un purgatoire infini par les autorités françaises.
Le 25 juillet prochain, il sera emmené à l’aéroport de Tarbes, puis prendra un vol de Roissy jusqu’à Beyrouth. Le Liban a confirmé à la cour d’appel qu’il prendrait en charge l’organisation du retour. Même si la décision peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation, il ne sera pas suspensif, ce qui veut dire qu’il pourra bien rentrer au Liban même si le pourvoi est engagé. Il était libérable depuis 1999, mais toutes ses demandes avaient été refusées. L’avocat de Georges Abdallah, Jean-Louis Chalanset, craint qu’il ne soit assassiné par drone israélien à son retour au Liban. En tout cas, «il mourra libre à Beyrouth en tant que résistant» ajoute-t-il. Retour sur une affaire d’État.
Georges Ibrahim Abdallah, otage de l’impérialisme
Georges Abdallah est un militant communiste libanais pro-palestinien. Dans les années 1980, il participe à la création de la FARL – Fraction Armée Révolutionnaire Libanaise – qui va pratiquer des actions de guérilla au Moyen-Orient et en Europe, notamment en France. La FARL est une organisation marxiste et anti-impérialiste engagée dans la libération de la Palestine.
En 1982, le groupe révolutionnaire armé libanais revendique les assassinats du lieutenant-colonel Charles R. Ray en janvier, un attaché militaire américain, et de Yacov Bar Simantov en avril, conseiller à l’ambassade d’Israël à Paris. Ces opérations armées contre les deux diplomates font rentrer la FARL dans le paysage médiatique français. Elles s’inscrivent dans le cadre de la résistance à l’invasion du Sud Liban par l’armée israélienne.
Georges Abdallah est arrêté à Lyon le 24 octobre 1984 pour possession de faux passeports et port illégal d’armes. Jusqu’ici, rien ne le destine à passer le reste de sa vie en prison. Son premier procès se tient en juillet 1986, et Georges Abdallah est condamné à quatre ans de détention pour «association de malfaiteurs», «détention d’armes et d’explosifs» et «usage de faux documents».
Mais les USA s’emparent de l’affaire et veulent faire du détenu un exemple. L’ambassade américaine à Paris se dit «surprise» par la «légèreté» de la peine. Un second procès a lieu en 1987, pour «complicité d’assassinats», dans un climat d’extrême tension. Les médias et les autorités attribuent aux FARL une série d’attentats ayant eu lieu en France en 1986, tuant 13 personnes. Donc quand Georges Abdallah était déjà en prison.
C’est une façon de diaboliser le détenu, alors que les autorités françaises n’ont aucun élément à charge contre lui. Il s’avère qu’en réalité, ces attentats meurtriers ont été commis par l’Iran. Mais à l’époque, la France négocie de juteux contrats avec la dictature des Mollah et il est plus pratique de rejeter la faute sur un petit groupe marxiste. Une campagne d’intoxication est organisée dans la presse. Abdallah est décrit comme l’ennemi public numéro un.
Le procès a lieu directement sous la surveillance des USA, qui se constituent partie civile et envoient un avocat et font pression pour alourdir la peine. Le 28 février 1987, le militant libanais est condamné à la réclusion à perpétuité. Une décision qui va beaucoup plus loin que les réquisitions du procureur, qui n’avait demandé qu’un maximum de dix ans de prison. Et tout cela alors que le dossier est quasiment vide. Durant la procédure, Abdallah a été trahi par son avocat Jean-Paul Mazurier qui s’avérera être un agent de la DGSE.
Lors du procès, la ligne de défense d’Abdallah est claire : ce n’est pas lui qui a commis les actes qui lui sont reprochés, mais il ne s’en désolidarise pas pour autant. Il explique calmement que s’il avait pu porter un coup aux intérêts israéliens et étasuniens, il l’aurait fait : «Si le peuple ne m’a pas confié l’honneur de participer à ces actions anti-impérialistes que vous m’attribuez, au moins j’ai l’honneur d’en être accusé par votre cour et de défendre leur légitimité face à la criminelle légitimité des bourreaux». Seulement voilà, on ne peut pas enfermer quelqu’un à vie pour des idées, et sans la moindre preuve.
«Il est désormais évident qu’Abdallah fut en partie condamné pour ce qu’il n’avait pas fait», reconnaîtra des années plus tard l’ex-juge antiterroriste Alain Marsaud.
Depuis 1999, une liberté refusée
Georges Abdallah devient otage de la raison d’État et du soutien français aux USA. Il croupit dans une prison à Lannemezan depuis les années 1980, alors qu’il est libérable depuis 1999. Une liberté qui lui est refusée pour des raisons politiques : Georges Abdallah a toujours été ferme sur ses positions anti-impérialistes et a refusé toute sa vie de les renier, malgré l’enfermement.
En 2013, déjà, il aurait dû sortir. Suite à sa huitième demande de remise en liberté, la justice estimait qu’il était enfin libérable, il ne manquait plus qu’un petit morceau de papier pour qu’il rentre chez lui, au Liban. La France devait simplement signer un arrêté d’expulsion, de la main du Ministre de l’Intérieur de l’époque : Manuel Valls.
Mais Hillary Clinton, alors secrétaire d’État de l’administration Obama, téléphone à Laurent Fabius, Ministre des affaires étrangères français pour lui mettre un coup de pression. «Bien que le gouvernement français ne soit pas légalement autorisé à annuler la décision de la cour d’appel, nous espérons que les autorités françaises pourront trouver une autre base pour contester la légalité de la décision» écrit Clinton. Un message révélé des années plus tard par WikiLeaks. L’arrêté d’expulsion ne sera jamais signé par Manuel Valls, qui reconnaîtra : «Il y a eu incontestablement une intervention américaine». Ses proches se préparaient déjà à l’accueillir. C’était il y a 12 ans.
En novembre 2024, coup de théâtre : «Par décision en date du jour, le tribunal d’application des peines a admis Georges Ibrahim Abdallah au bénéfice de la libération conditionnelle à compter du 6 décembre prochain, subordonnée à la condition de quitter le territoire national et de ne plus y paraître». Mais le tribunal antiterroriste de Paris fait immédiatement appel, douchant les espoirs de ses proches.
En février 2025, la Cour se redit favorable à sa libération, mais exigeant un “effort conséquent” pour l’indemnisation des victimes. Georges Abdallah refuse, tenant la ligne de sa position de prisonnier politique. Le 19 juin, l’avocat avait néanmoins fait savoir que 16.000€ étaient disponibles pour les parties civiles. Le parquet général – ainsi que les États-Unis – avaient fait savoir que ce n’était pas suffisant, et réclamé une “forme de repentir”.
Sauf que nous ne sommes pas aux États-Unis. Le repentir n’existe pas en droit français. Son frère s’est dit « heureux de la décision française, nous n’aurions jamais imaginé qu’il serait enfin libéré ». Nous n’osions plus l’espérer non plus.
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