C’est les vacances d’été, et le moment de faire le bilan d’une année marquée par une répression toujours plus forte au sein de l’Éducation Nationale et des universités. Tout le monde a condamné la censure organisée par Trump dans les écoles et les campus aux USA, mais le gouvernement Macron met en place, lui aussi, une véritable chasse aux sorcières dans les lieux d’enseignement. Tour d’horizon des affaires les plus choquantes de l’année scolaire.

Une enseignante mise à pied pour minute de silence
Fin mars 2025, dans l’Yonne, des élèves demandent à leur enseignante d’organiser une minute de silence pour les victimes des bombardements à Gaza. Le cessez-le-feu vient alors tout juste d’être brisé par l’État d’Israël, et le génocide reprend, tuant des centaines de personnes en quelques jours. L’enseignante accepte, mais uniquement pour les élèves volontaires et en-dehors du temps de classe. Une façon de se protéger en conservant son obligation de neutralité politique.
Mais c’est déjà trop pour le rectorat de Dijon : rendre hommage aux victimes civiles d’un massacre colonial, c’est sûrement une façon de soutenir le Hamas, et c’est donc antisémite. L’enseignante est mise à pied en attendant une sanction. Pourtant la ministre de l’éducation Élisabeth Borne venait tout juste de signer une réponse au sénateur Roger Karoutchi indiquant que « les enseignants ont […] la liberté pédagogique d’aborder le sort des victimes du conflit israélo-palestinien […] pour leur rendre hommage afin d’entretenir leur mémoire. » Il semblerait toutefois que toutes les victimes ne se valent pas.
Un débat entre élèves interdit sur une usine de bitume
À l’école, et en particulier au lycée, des débats sont régulièrement organisés pour que les élèves apprennent à faire dialoguer des idées, à creuser des arguments, à pondérer leur point de vue. On appelle ça l’esprit critique. Mais il ne faudrait quand même pas critiquer trop près de chez soi.
Dans la Loire, la direction du lycée d’Astrée a interdit un projet mené par des élèves de première sur un sujet jugé trop sensible : l’installation contestée d’une centrale à bitume sur la commune. France 3 explique que « depuis 2016, un industriel tente de l’implanter à 300 mètres, à vol d’oiseau, d’une crèche, de l’hôpital, du collège… et du lycée. Une proximité qui alimente les tensions. »
Le débat, qui devait faire appel à des intervenants extérieurs, y compris favorables au projet, n’aura finalement pas eu lieu, et l’enseignante d’histoire-géographie qui l’avait organisé s’est pris une remontrance de la part de l’inspection académique. L’esprit critique c’est bien, mais protéger les industriels c’est mieux.
Le rectorat de Grenoble, sous-traitant de la répression
Nous avions parlé au mois de mai des profs de Grenoble interpellés pour une inscription sur une bâche en plastique : «9 mai, Paris : Retailleau ❤ les néonazis». C’est manifestement vrai, vu le pédigrée du ministre de l’Intérieur, mais il ne faudrait quand même pas le dire trop fort. La justice n’ayant aucun élément pour les poursuivre, l’affaire a été classée sans suite par le procureur de Grenoble.
Mais le ministère de l’Éducation fait le service après-vente de l’Intérieur : les deux profs ont été signalés au rectorat et risque une sanction administrative. En réalisant leur banderole, les deux enseignants auraient « outrepassé leur devoir de réserve ». Sauf que pour les enseignants, le devoir de réserve n’existe pas : il s’agit d’un devoir de neutralité qui ne s’applique que lorsqu’ils sont en contact avec les usagers du service public, pas lorsqu’ils sont dans une manifestation syndicale.
« Blanchis mais punis quand même », les deux militants assurent qu’ils continueront la bataille contre cette répression syndicale méprisable.
Une lycéenne bâillonnée par le rectorat après avoir tourné Parcoursup en ridicule
Parcoursup, c’est le logiciel de sélection des candidat-es à l’entrée dans le supérieur. Brutalement imposé par Jean-Michel Blanquer en 2018, il avait été moqué dès sa mise en place par des élèves racontant n’importe quoi dans leurs lettres de motivation. Personne n’est dupe : on fait croire aux élèves que leur motivation ou que leur projet compte, alors que l’algorithme de Parcoursup ce sont surtout des points pondérés en fonction des demandes du supérieur et du patronat.
Cette année Morgane, une lycéenne de Toulouse, a proposé une recette de brownie en guise de lettre de motivation pour la fac de psychologie. Sans surprise, sa lettre n’a même pas été lue puisque ses notes lui permettait d’office d’être acceptée dans la filière. Morgane fait alors une vidéo sur TikTok, tournant en dérision le fonctionnement de Parcoursup, totalement hypocrite, faisant croire au mérite alors qu’il renforce les inégalités sociales.
La blague n’a pas du tout été du goût du rectorat de Toulouse, qui a menacé la lycéenne et l’a obligée à supprimer sa vidéo. L’abus de pouvoir est manifeste, même si le coup de pression ressemble plus à un coup de bluff. On voit mal comment Morgane pourrait subir une sanction officielle, mais cela en dit long sur le rectorat de Toulouse, qui s’inquiète plus de la réputation d’un logiciel que de l’avenir des lycéen-nes.
Un article de France 3 sur le sujet ici.
Un pistolet contre des ados
En juin 2024, le génocide est déjà bien en place à Gaza et la jeunesse se mobilise contre les crimes coloniaux de l’État d’Israël. Le 6 juin, 48 élèves sont arrêtés pour avoir tenté d’occuper le lycée Hélène Boucher, dans le 20ème arrondissement de Paris. Un an plus tard, des téléphones jusqu’ici scellés ont été rendus aux jeunes et des images de l’intervention ont été rendues publiques. Le journal Le Monde raconte qu’on peut y voir « un policier de la brigade anticriminalité (BAC) entrer dans la pièce à la suite de ses collègues, arme à feu au poing ». C’était à l’intérieur de la salle occupée, juste après qu’un autre policier ait aspergé des lycéen-nes de gel lacrymogène, et alors que la panique submerge les jeunes.
Le Monde poursuit : « Sur la même vidéo, les fonctionnaires ordonnent aux occupants de se réunir contre un mur. «Les policiers criaient un peu tous en même temps, on ne comprenait rien», se souvient Inès. Alors qu’un lycéen s’exécute et rejoint ses camarades, un autre agent de la BAC le balaye brusquement, et tombe à la renverse avec lui. » Les jeunes font aussi état de propos sexistes et dégradants, considérant par exemple qu’une lycéenne est habillée « comme une pute » parce qu’elle ne peut pas rabaisser son haut avec les menottes.
Le Monde raconte que « À un élève expliquant avoir été «très choqué» par le comportement des forces de l’ordre, Virginie Schachtel, la proviseure, répond que les équipes sont également «très choquées» par l’intrusion. » Des élèves qui tentent désespérément d’alerter contre un génocide de façon non-violente mis au même niveau que des milices qui braquent des ados avec des armes à feu : la décomposition morale des gens à la tête de l’éducation est totale.
Suite à la révélation de ces images, un collectif de parents a porté plainte pour violences aggravées. La Défenseure des Droits a également été saisie par la LDH, qui pointe le recul de la démocratie dans les établissements scolaires. « Sois jeune et tais-toi » disait le slogan de Mai 68 : un adage plus que jamais d’actualité en 2025.
Un chercheur chez les Frères Musulmans ?
C’est une polémique dont la fachosphère a le secret. D’abord lancée par la galaxie Bollorée, puis reprise par des parlementaires RN et LR et alimentée par tout ce que la France compte de médias réacs. La cible : John Tolan, historien professeur à l’Université de Nantes, et ses trois collègues Jan Loop, Mercedes García-Arenal et Roberto Tottoli. La raison : détourner l’argent de nos impôts au profit d’un projet d’islamisation de la société.
En réalité, les travaux de John Tolan portent sur la traduction et la diffusion du Coran dans le monde méditerranéen et en Europe, dans un projet de recherche intitulé « Le Coran européen ». Le professeur a été soutenu dans une tribune signée par une large partie de ses collègues, mais le mal est fait : l’étiquette « islamo-gauchiste à la solde des Frères Musulmans » risque de lui coller à la peau encore longtemps. Une ancienne étudiante indique pourtant à Contre Attaque que John Tolan, c’est un prof « passionné par son sujet, ses cours étaient géniaux, même si politiquement il est plutôt de droite un peu réac ». Mais dans le monde simpliste des racistes islamophobe, même un chercheur un peu réac, pour peu qu’il fasse preuve d’honnêteté intellectuelle, peut devenir une cible. L’obscurantisme trumpiste est déjà bien installé en France.
Pour 2 millions d’euros, le Collège de France perd le droit de critiquer Total
C’est un exemple particulièrement frappant de greenwashing. L’entreprise TotalÉnergie, l’un des plus gros pétrolier de la planète, a offert deux millions d’euros à la chair Avenir Commun durable du Collège de France. Un mécénat particulièrement intéressé, puisqu’en échange l’institution scientifique devra s’abstenir de « porter atteinte à l’image ou à la notoriété » de l’entreprise.
Si le Collège de France revendique la liberté académique de ses chercheurs et banalise la pratique, on peut tout de même s’interroger sur l’honnêteté d’un tel deal. TotalÉnergie, qui distribue des profits records ces dernières années et va à l’encontre des préconisations du GIEC, n’est pas vraiment connue pour distribuer de l’argent de façon désintéressée, encore moins pour financer celles et ceux qui combattent son action écocidaire.
L’Université Paris-Dauphine fait le tri entre les bons et les mauvais marxistes
À la fin de ce mois de juin devait se tenir une conférence autour du matérialisme historique à l’Université Paris-Dauphine. Chaque année à travers le monde, des intellectuel-les marxistes se regroupent et discutent, confrontent leurs travaux et résultats de recherches. La définition même du débat universitaire.
Accueillie pour la première fois en France, la conférence n’a pas pu se dérouler comme prévu : l’université a indiqué qu’un certain nombre d’intervenant-es ne seraient pas les bienvenu-es. L’AFA Paris-Banlieue, les Soulèvements de la Terre et Houria Bouteldja se sont vu-es refuser l’entrée, et deux conférences ont dû être délocalisées à la Bourse du Travail de Paris. Quoiqu’on pense des positionnements politiques des uns et des autres, l’intérêt d’une telle invitation était justement de pouvoir se confronter à leurs argumentaires, et d’aiguiser ses propres idées y compris lorsqu’on pose un désaccord. Alors de quoi a peur l’Université Paris-Dauphine ? De voir des idées légitimes infuser dans le débat universitaire ou de la polémique qu’aurait pu créer la présence de ces indésirables au sein d’un campus universitaire ?
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