Nantes : ce qu’ils ont voulu nous voler, ce qu’ils ont récolté


Des barricades pendant plus de 12 heures d’affilée et une répression féroce : récit du 10 septembre nantais


À Nantes, la police tente depuis des années de voler la joie, et c’est sans doute là sa plus grande violence. En 2019, elle tuait Steve qui dansait en bord de Loire le soir de la fête de la musique. En 2016, elle agressait les places occupées et en liesse de Nuit Debout. Après l’élection de Macron, elle chargeait les initiatives festives organisées par des habitant-es de la ZAD et des syndicalistes. «Le pouvoir exige des corps tristes. Le pouvoir a besoin de tristesse parce qu’il peut la dominer. La joie, par conséquent, est résistance, parce qu’elle n’abandonne pas» écrivait Gilles Deleuze. Ici, toutes les méthodes de répression ont déjà été expérimentées, il ne reste qu’à imposer de la résignation.

À Nantes, le mouvement du 10 septembre a pris corps très tôt. Dès le milieu du mois de juillet, les réunions se succédaient dans des bars, réunissant des dizaines de personnes. L’organisation était à pied d’œuvre, des affiches et des graffitis fleurissaient partout. À la fin du mois d’août, «Bloquons tout» était devenu incontournable, à tel point qu’une première Assemblée réunissait 600 personnes, plus que nul part ailleurs.

Tout le monde préparait le grand rendez-vous avec enthousiasme : on imaginait déjà un grand banquet sur le pont de Cheviré, avec des tracteurs paysans, de la musique et des ateliers créatifs pour les familles qui durerait toute la journée. On imaginait des occupations de périphérique en plusieurs points jusqu’au soir. Des ravitaillements amenés par des cortèges en vélo. Un réseau de cantines était en place. Toutes ces idées qui auraient pu mettre en image le mouvement populaire, le rendre désirable et rejoignable, resteront, pour l’instant, dans nos têtes. Le micro-fasciste Retailleau l’a annoncé : il faut mater les «bastions d’ultra-gauche».

Le 10 septembre, 1200 policiers ont été déployés à Nantes, ont compté certains habitués des manifestations locales : les unités les plus violentes des CRS, des hordes de BAC, les sinistres Compagnies d’intervention responsables des pires mutilations dans la ville. Le Ministère en a décidé ainsi : aucune image de joie ne doit sortir de Nantes. La première grenade lacrymogène était tirée dès 6h du matin, la dernière après 18h. Sans aucune interruption, partout dans l’agglomération, le mouvement pourtant massif et organisé a été pourchassé, empêché de se former, devant les lycées, sur les points de blocage ou en cortège. Il n’était pas question, comme on l’a vu dans d’autres villes, de laisser une foule occuper une route ni même tenir un rond-point.

Cette répression a pourtant été vaincue. À 7h du matin, après avoir été massivement gazé, le groupe chargé de bloquer le pont de Cheviré à l’ouest de la ville s’est échappé en courant. Empruntant des sentiers méconnus et passant à travers bois, il a totalement déjoué l’étau policier, a grimpé sur le périphérique et allumé en quelques minutes un mur de pneus, se repliant sous les grenades tirées par un convoi policier arrivé en trombe, énervé d’avoir été doublé. Puisqu’il n’y aura pas de banquet festif en haut du pont, il y a du feu. Ce cortège continuera de trottiner sur plusieurs kilomètres, pénétrant sur le périphérique et semant des barricades jusqu’à la zone commerciale d’Atlantis, avant de s’évaporer.

À l’Est, le cortège de Malakoff, encerclé, a réussi à briser une nasse et à partir en manifestation sauvage, talonnée par la police, en semant des barricades. Au nord, après une brève incursion sur le périphérique avec une banderole «Macron explosion», le même choix d’un départ furtif s’impose. «Be water», comme à Hong Kong.

À la mi-journée, des centaines puis des milliers de personnes affluent sur une Place du Commerce détrempée, suite à un appel lancé en dernière minute. La foule, dense, repart en manifestation, aussitôt gazée. Les cortèges épars font preuve d’une ténacité hors du commun, sèment des feux jusque dans les beaux quartiers. C’est ce qui interpelle : les barricades se comptent par dizaines, dispersées partout, sur un périmètre qui s’étend sur plusieurs quartiers. La police est sur les dents, elle se venge dès qu’elle peut. Plusieurs personnes passées à tabac sont emmenées ensanglantées en cellule.

En début de soirée, des dizaines de policiers donnent un assaut à l’endroit où l’Assemblée commence : grenades lacrymogènes et explosives sous les Nefs, à l’endroit où stationne d’ordinaire le célèbre éléphant mécanique, fleuron touristique de la ville. Nouvelles arrestations brutales. Il n’y a aucune limite à la violence d’État. Des dizaines de personnes ont été emmenées au poste dans la journée.

Contre toute attente, l’Assemblée réussit à se tenir, en extérieur, survolée par un drone. Des dizaines de fourgons de CRS continueront de stationner au cœur de la ville jusqu’à une heure tardive. Le 10 septembre, il ont voulu tuer l’enthousiasme collectif, ils ont récolté une constellation de feux, qui se rallumeront tant qu’il le faudra. La métropole n’a pas été mise à l’arrêt autant que prévu, mais c’était une journée des barricades.


Un jour, peut-être plus proche qu’on ne le croit, nous déjeunerons en haut du Pont de Cheviré.


Photos : Oli Mouazan, Estelle Ruiz, CA

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