Lorenzo 15 ans, Matis 19 ans, Arthur 14 ans, Tom 18 ans… victimes de la dérégulation du travail des plus jeunes sous l’ère Macron

Samedi 13 septembre en Vendée, dans la petite commune de Sainte-Flaive-des-Loups. Une marche blanche réunit plus de 120 personnes pour rendre hommage à Matis Dugast, mort au travail à 19 ans seulement. Sur les T-shirts, la photo du défunt et la phrase : «Il n’y a pas de mot». Mathis avait la vie devant lui, et il est décédé dans des conditions indicibles le 15 juillet dernier. Le jeune homme a été enseveli sous du goudron brûlant, sur un chantier, et s’est éteint quelques heures plus tard au CHU de Nantes. Son histoire n’est malheureusement pas isolée.
Les jeunes de moins de 20 ans meurent 3 fois plus au travail que leurs aînés
Depuis 15 ans, la France caracole dans le trio de tête des pays européens où l’on meurt le plus au travail. Chaque année, environ 750 personnes décèdent sur leur lieu de travail, soit plus de 2 par jour. Et ce nombre est largement sous-estimé, puisqu’il ne comprend pas par exemple les morts lors du trajet depuis ou vers le lieu de travail (332 décès), et les morts liées à des maladies professionnelles (196). Le nombre réel est donc au-delà du millier. C’est plus que le nombre d’homicides par an, ou de victimes d’attentats, mais on ne parle jamais de ces victimes.
Les accidents de travail sont encore plus fréquents chez les plus jeunes, suite à des dérégulations tous azimuts ces dernières années : les moins de 20 ans, moins expérimentés et mal encadrés, ont 3 fois plus d’accidents que leurs aîné·es. En juin dernier sortait le bilan 2024 de la campagne de prévention des accidents de travail par l’inspection du travail. Et le constat est sans appel : les entreprises ne sont guère pressées de protéger leurs salarié·es. Sur les 1149 entreprises contrôlées après des accidents de travail, seules 50,6% ont pris des mesures de prévention, et près de 30% n’ont même pas réévalué les risques à l’origine de l’accident. Le monde de l’entreprise ne s’embarrasse pas de remords.
L’hécatombe s’accélère
Le bilan révèle également qu’en 2023, 33 jeunes de moins de 25 ans sont morts au travail. Depuis le mois d’avril 2025, on assiste à une macabre litanie de jeunes morts au travail. Dernier exemple en date : un jeune élagueur de 22 ans est mort à Saint-Gildas-des-Bois, en Loire-Atlantique, le 9 septembre dernier. Il a été écrasé par un arbre tombé au sol.
Le plus jeune des morts au travail avait 14 ans. Il s’appelait Alex Rineau, il a été écrasé par un mur en démolition pendant son stage d’observation de 3e. Le 30 avril, à Saint Martin du Var dans les Alpes-Maritimes, Lorenzo, un apprenti de 15 ans, meurt percuté par un engin de chantier. Le 18 mai, à Semur-en-Brionnais, en Saône-et-Loire, Lucas, 17 ans, meurt écrasé par une poutre dans son usine. Le 17 juin en Normandie, un lycéen de 16 ans meurt dans un magasin Gifi, après être tombé sous le poids d’une palette chargée qu’on lui avait demandé de rééquilibrer. Le 26 juin, à Masseret en Corrèze, un stagiaire de 19 ans meurt percuté par un taureau sur une exploitation agricole. Le 4 juillet, un stagiaire de 16 ans meurt après avoir été entraîné par un engin agricole au fond d’une mare. Le 15 juillet, c’est donc Matis, 19 ans, qui mourait à Saint-Flaive-des-Loups sur un chantier de réfection de voirie, noyé sous du goudron à 200°C.
«Je n’ai jamais vu autant de cas se multiplier en si peu de temps chez les jeunes. Au fil de l’été 2025, le nombre d’accidents et de décès chez les jeunes travailleurs et travailleuses est devenu affolant» s’inquiète Matthieu Lépine, enseignant en Seine-Saint-Denis et auteur d’un ouvrage recensant les morts au travail, «L’Hécatombe silencieuse».
Le résultat de choix politiques
Les accidents chez les mineurs ont explosé depuis 2015 et le décret Rebsamen. Ce dernier, ministre socialiste, avait assoupli les règles du travail des mineurs. Ainsi, la visite d’un inspecteur du travail n’est plus nécessaire pour l’octroi d’une dérogation pour certains travaux comme la manipulation de machines ou le travail en hauteur. Il n’y a qu’un simple devoir de l’employeur d’informer les jeunes des risques et des conditions d’utilisation de certaines machines. Il doit également se tenir à la disposition de l’inspection du travail pour tout contrôle inopiné.
Sauf qu’en 2025, on compte un·e inspecteur·ice du travail pour… 11.000 salarié·es. En 2025, austérité budgétaire oblige, seuls 45 postes ont été ouverts, au lieu de 200 les années précédentes. Le rapport 2024 de l’inspection du travail en Pays-de-la-Loire a également montré la situation préoccupante des jeunes travailleurs et travailleuses. Selon ce document, plus d’un tiers des entreprises présentaient des irrégularités sur la durée du travail – horaires incomplets, absence de pauses, heures supplémentaires non payées – 43% ne respectaient pas les règles d’hygiène et de sécurité, et près d’un tiers des situations faisaient état d’un suivi médical défaillant, voire inexistant dans 15% des cas.
Non seulement ces jeunes sont exploité·es de plus en plus tôt, mais ils et elles se retrouvent mal protégé·es des risques chimiques. Zoé Rollin, maîtresse de conférence à l’université Paris Cité explique que “plus les personnes évoluant en entreprise sont jeunes, plus les conséquences sur la santé peuvent être importantes”. Et de ce fait, leur protection devrait être accrue : il n’en est rien. 1500 toxiques sont autorisés dans le monde du travail. Ce sont les métiers exercés majoritairement par les enfants de classes populaires qui sont en première ligne : le BTP, l’agriculture, la mécanique, les métiers de l’esthétique et de la coiffure.
Suite à cette série de décès à l’été, le ministère du travail a fait savoir qu’il ne comptait pas revenir sur les décrets Rebsamen. Pourquoi s’en faire ? Après tout, ce ne sont que des jeunes des classes populaires : leur vie ne compte pas, et les médias n’en parlent quasiment jamais. Le 8 avril, la Ministre de l’Éducation Élisabeth Borne estimait sur le plateau de la chaîne LCP : «Il faut se préparer très jeune, dès le départ, presque depuis la maternelle, à réfléchir de la façon dont on se projette dans un métier». En ligne de mire, une énième réforme destructrice de l’Éducation Nationale pour «orienter» toujours plus tôt certains jeunes vers le «marché du travail».
Avec sa déclaration, Borne résumait toute la philosophie des néolibéraux : mettre les enfants des classes populaires au travail dès le plus jeune âge, sans pouvoir faire d’études. Dès 2009, les gouvernements successifs ont organisé la professionnalisation des mineurs, avec la signature de contrat pour les jeunes de 16 ans, afin de les orienter vers les métiers «en tension» comme le bâtiment, le nettoyage, les métiers de l’accompagnement, la restauration… Bref, des métiers difficiles et mal payés.
Autant les envoyer le plus tôt possible, avant qu’ils et elles n’aient eu le temps de se former, d’accéder à des connaissances et acquérir de l’esprit critique. Ces jeunes, corvéables à merci, sont une main d’œuvre bon marché, de la chair à patron. «On va atteindre le million de contrats d’apprentissage signés par an» s’exclamait Emmanuel Macron, en 2024. Un rétablissement à bas bruit du travail des enfants, afin de continuer à baisser le coût du travail et engraisser les actionnaires.
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