«Il y a aujourd’hui deux meurtriers. Celui qui est en fuite mais aussi le système policier et judiciaire». Ces mots, ce sont ceux de Mehdi Mecellem, le frère d’Inès. Elle avait 25 ans. Elle est morte le 8 septembre à Poitiers, assassinée par son ex-conjoint, alors qu’elle avait porté plainte contre lui pas moins de 5 fois en un mois.

Le jour du drame, c’est sa voisine qui, alertée par un cri, va tambouriner à la porte de la jeune femme. Un homme sort, un couteau à la main, la bouscule, et part en courant. L’individu, âgé de 35 ans, n’a même jamais été placé en garde à vue. Il est à l’heure actuelle toujours en fuite.
Chronique d’un meurtre annoncé et évitable
Malheureusement, les histoires s’enchaînent et les mécanismes sont les mêmes. Inès se sépare de son conjoint et ce dernier, refusant de l’accepter, commence à la harceler. Il passe devant chez elle tous les jours, lui envoie des messages constamment.
Le 10 juillet, Inès porte plainte une première fois pour harcèlement, violences volontaires et agression sexuelle. Son ex-conjoint est venu chez elle la menacer de mort. Elle explique dans sa plainte : «Il m’a serré la gorge il y a un mois, j’ai saigné de la langue, il m’a violée plusieurs fois». Le policier lui pose alors une question d’une ignominie crasse, révélatrice de l’incompétence totale et criminelle de la police : «Avez-vous eu peur ? Vous sentez-vous en sécurité ?» Non, bien sûr, lorsqu’on se fait violer et étrangler, pourquoi aurait-on peur ? Inès répond «Oui, j’ai peur qu’il revienne. J’ai peur de mourir». Difficile d’être plus explicite. Pourtant, aucune mesure de protection n‘est prise pour assurer sa sécurité.
Une semaine plus tard, le 17 juillet, elle se rend de nouveau au commissariat pour signaler le harcèlement. L’agresseur l’appelle constamment, jusqu’à 17 fois par jour, allant jusqu’à contacter ses proches, la menace de mort. Le 23 juillet, on lui fournit un téléphone grave danger (TGD), un dispositif censé protéger les victimes de violences conjugales ou viol. Il s’agit d’un téléphone avec une touche qui permet de joindre directement le service de téléassistance 24h/24 7j/7. Les téléopérateurs et téléopératrices sont ensuite censés évaluer la situation et contacter la police ou gendarmerie en cas de nécessité.
Le 13 août, elle retourne au commissariat pour signaler la dégradation de sa voiture. Le 18 août, l’ex-conjoint lui envoie le message suivant : «Je vais te donner une mort qui choquera le monde entier très bientôt». Elle presse la touche d’appel de son TGD. Que lui conseillent les gendarmes ? D’aller porter plainte. Alors même qu’elle l’a déjà fait à plusieurs reprises, elle retourne donc au commissariat le lendemain, 19 août. Rien ne se passe. Le 28 août, elle se rend de nouveau au commissariat après avoir découvert des inscriptions sur des murs : son numéro de téléphone, assorti de «elle veut des relations sexuelles».
Il la suit en voiture, la forçant à se cacher dans un parking. Le cercle infernal continue : le 6 septembre, alors qu’il la poursuit, elle utilise de nouveau son TGD, qui ne fonctionne pas. Elle appelle le 17, et l’homme est interpelé puis relâché le soir-même. Selon un voisin, il est aperçu rôdant devant chez elle tout de suite après. Elle part s’installer chez sa mère. Enfin, le 8 septembre, elle retourne chez elle prendre son courrier. Son ex-conjoint s’est introduit chez elle, en cassant une fenêtre. Il l’attend avec un couteau, et la poignarde à son arrivée. Inès est la 109è victime de féminicide cette année. Malgré les promesses d’Emmanuel Macron (mais qui a jamais cru un seul mot sorti de sa bouche ?), la «grande cause du quinquennat» n’a jamais eu lieu.
Pourtant, Inès est la «victime parfaite». Rien à lui reprocher. Elle a quitté l’homme qui la violentait, s’est rendue au commissariat de police, a utilisé son TGD, a porté plainte à de multiples reprises. «Il faut que les femmes portent plainte» serine-ton. C’est vite oublier que, même lorsqu’elles portent plainte, rien ne se passe. En 2018, sur les 120 victimes de féminicide, un tiers avait déjà déposé plainte. Cela ne les a pas sauvées. Les histoires se répètent encore et encore, année après année. L’histoire d’un policier qui répond au téléphone : «On ne se déplace pas pour ça».
Un système féminicidaire
La sœur d’Isabelle, assassinée, qui raconte sa «haine, contre [le meurtrier] et contre la police». L’histoire du père de Julie, dont la fille avait porté plainte à de nombreuses reprises avant de mourir : «pas d’enquête, rien, alors que les gendarmes qui n’ont pas protégé ma fille devraient être virés pour faute lourde». Toutes ces «affaires où moins de témoins sont entendus» et où «les vérifications sont plus rares que dans d’autres dossiers de droit commun».
Aller porter plainte est souvent une nouvelle épreuve des plus difficiles, qui rajoute de la violence à la violence. En effet, la parole des victimes est quasi systématiquement remise en doute, voire raillée. Quand ce n’est pas pire. Une enquête de Disclose parue en juin révèle en effet un système : au moins 57 femmes ont été agressées sexuellement alors qu’elles venaient déposer plainte pour des faits de violence. Disclose révèle notamment l’histoire de Manon, jeune mère de 28 ans qui se rend au commissariat de Toulouse pour chercher de l’aide pour protéger sa fille face à son mari violent. Le policier Jean-Pierre F. l’accueille dans son bureau, la prend dans ses bras, puis «bloque la porte, lui attrape la tête, sort son sexe en érection et force la fellation». Elle porte plainte, aux côtés de 5 autres victimes du même policier.
Ou l’histoire d’Émilie, qui veut porter plainte après avoir été agressée lors d’un date Tinder, passe 3 heures au commissariat et qui, lorsqu’elle décide de partir, lassée d’attendre, se retrouve bloquée par les policier, menottée, et est placée en garde à vue, alors qu’elle venait déposer plainte ! Choquée par l’histoire, elle décide de déposer plainte contre le commissariat. Sans surprise, celle-ci est classée sans suite. Par contre, les deux policiers qui ont porté plainte contre elle verront leur histoire prise au sérieux : jugée le 10 septembre 2025 au tribunal de Nanterre, le procureur a requis contre Émilie 4 mois de prison avec sursis pour «violence contre personnes dépositaires de l’autorité publique».
Samedi 20 septembre, une marche blanche était organisée à Poitiers pour Inès, réunissant 1000 personnes. La famille de la défunte portait des t-shirts et des pancartes «justice pour Inès». Elle accuse, à raison, la police de ne pas avoir protégée la jeune femme. «Pour moi, il y a aujourd’hui deux meurtriers. Celui qui est en fuite mais aussi le système policier et judiciaire, avec toutes ses défaillances. Sa mort aurait totalement pu être évitée» expliquait à l’AFP son frère Mehdi. Le parquet a saisi l’IGPN.
L’hypocrisie au pouvoir
Les institutions policières et judiciaires ne sont bonnes qu’à enfermer les pauvres et les étrangers, pas à protéger celles et ceux qui en ont besoin. Inès en est morte. Aujourd’hui, l’institution judiciaire joue l’étonnement, parle de «dysfonctionnements». «Soit le danger a été sous-estimé, soit la transmission des informations au service qui suit la procédure n’a pas été correctement faite» explique une source proche du dossier. Qui croient-ils berner ? L’impunité des agresseurs est organisée. Nous avons pour ministre de la justice démissionnaire Gérald Darmanin, un homme lui-même accusé de viols et d’agressions sexuelles. Comment peut-on croire en la justice ?
«Toute la lumière doit être faite sur cette horrible affaire, c’est pourquoi j’ai demandé l’ouverture d’une inspection de fonctionnement à l’inspection générale de la justice» a d’ailleurs déclaré le ministre. Des mots qui résonnent amèrement, venant d’un homme qui lui-même agresse les femmes. «Les victimes doivent être au centre des préoccupations de la justice. À chaque fois que l’une d’entre elles demande protection aux forces de l’ordre et à la justice, et que nous n’avons pas réussi à la protéger, c’est un profond et terrible échec». Intolérable de cynisme.
Et pendant ce temps, les femmes continuent de mourir sous les coups de leurs conjoints. Justice pour Inès.
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