«En blesser un pour en terroriser mille, c’est la devise du LBD»

Ce policier avait tiré 55 balles en caoutchouc en quelques heures seulement contre des Gilets jaunes. Le 14 octobre, au tribunal correctionnel de Paris, était rendu le délibéré contre Romain P., accusé d’avoir fracassé le visage d’un Gilet jaune en 2018. 7 ans de procédure judiciaire pour arriver à un verdict. Streetpress s’est rendu à l’audience.
Une mâchoire et une justice fracassées
David a 38 ans, il est tailleur de pierre pour les monuments historiques. En décembre 2018, il se rend sur les Champs-Élysées avec sa compagne pour l’acte III des Gilets jaunes. Prenant peur devant la violence de la police, ils décident de retourner à leur véhicule vers 16h, rue Paul Valery. Ils se retrouvent en face d’une Compagnie d’Intervention qui bloque la rue. «On s’est approché d’eux tranquillement, main dans la main, les bras en l’air» explique-t-il dans une lettre lue par la présidente. David, traumatisé, n’a en effet pas eu la force de venir au tribunal et de se retrouver face à son agresseur.
«Arrivés à environ 10 mètres, [un policier] nous tire dessus avec un LBD, sans aucune sommation ni cri de leur part. Ma mâchoire explose sous la puissance du tir». Un street médic présent sur place le voit s’effondrer au sol, face contre terre. Il est conduit à l’hôpital Pompidou. Streetpress évoque «plusieurs fractures à la mâchoire et au palais, avec la perte de substance osseuse, de quatre dents et de 2,5 cm de lèvre supérieure». Ces blessures gravissimes lui valent 90 jours d’ITT, auxquelles s’ajoutent 30 jours pour «le choc sur l’état de son visage, des troubles du sommeil persistants, une hyper-vigilance, un sentiment d’insécurité ‘dès qu’il voit un policier’ et des ruminations anxieuses». Deux ans de reconstruction faciale suivront. Un visage et une vie fracassés, pour rien.
Le tribunal le confirme, «la menace représentée par David D. [n’a pas été] démontrée». Et pourtant. Pourtant le policier n’est condamné qu’à 6 mois de prison avec sursis. La raison invoquée par le tribunal ? «Ne pas entraver la poursuite de sa carrière». Le tribunal évoque «l’insuffisance d’effectifs» et le «manque de munitions» pour se justifier. Un crachat à la figure de David.
L’avocate du policier tireur ne se contente pas de cette peine pourtant d’une infinie mansuétude, et va faire appel de la décision. Ces gens ne veulent que le permis de tuer, et donc l’acquittement pur et simple. Le tribunal parle d’une décision «très mûrement réfléchie et débattue». C’est d’autant plus inquiétant qu’après 7 ans de réflexion, il soit admis qu’on puisse fracasser le visage et la vie d’un homme pour sa simple présence à une manifestation. Cela dit beaucoup de la vision de la justice de l’État de droit.
Un mutileur protégé envers et contre tout
Romain P. est aujourd’hui brigadier-chef dans une brigade territoriale de contact des Hauts-de-Seine. Sa version n’a fait que changer d’année en année. La présidente le reconnaît, parle d’explications «sinon confuses, peut-être contradictoires». Rien ne va dans la version du policier. 6 mois après la mutilation, il invente que David aurait «armé son bras» pour lancer un projectile, alors qu’il n’en avait jamais parlé. Il n’y en a aucune mention dans sa première déposition après les faits. Quelques temps plus tard, nouvelle version : il aurait bien vu David lancer des projectiles.
La défense de l’avocate, Maître Anne-Laure Compoint, est abjecte. Elle enchaîne les propos violents et méprisants. «100% des gens blessés vous disent qu’ils sont innocents. Soit pas de bol, soit [les policiers] ne visent pas bien». Non madame, la réponse est la troisième : les policiers visent dans le but précis de blesser des manifestants.
Au procès, l’avocate va plus loin dans l’ignominie, imite David en marchant en canard, parle de «pauvre victime», se tient la mâchoire quand elle dit «je ne dis pas qu’il n’a pas pu s’alimenter. Je ne dis pas qu’il n’a pas un truc en moins mais ça ne veut pas dire qu’il ne dit pas des mensonges». À vomir. N’importe quelle personne jugée dont la défense serait aussi scandaleuse et odieuse avec une victime prendrait une peine très lourde. Mais ces humiliations servent à démontrer, au cœur même d’un tribunal, la suprématie de la police, sa toute puissance sur la vie et le corps du commun des mortels.
L’impunité règne parmi les mutileurs
La liberté de manifester est, en principe, une liberté constitutionnelle, allègrement foulée au pied par la macronie depuis trop longtemps. La répression féroce qui s’abat sur quiconque ose manifester son désaccord avec le régime autoritaire n’est pas une exception, elle est devenue la norme.
Il s’agit de créer un climat de terreur, et cela fonctionne : de nombreuses personnes admettent ne plus venir en manifestation de peur d’être blessées. «En blesser un pour en terroriser mille, c’est la devise du LBD» expliquent depuis des années les associations de blessé·es avec justesse. «J’ai décidé d’impacter l’un d’entre eux afin de les stopper. Le LBD a un impact psychologique important qui permet de faire reculer un groupe que rien d’autre n’arrête» explique d’ailleurs le policier Romain P. C’est la première fois qu’il utilisait l’arme en situation ce 1er décembre 2018. Il en fera usage pas moins de 55 fois dans la journée. Combien d’autres personnes a-t-il gravement blessées ? Combien ne se sont jamais manifestées ?
Ce jugement fait système, l’impunité des policiers est organisée. Un exemple parmi d’autres. Au moins 23 éborgné·es ont été recensé·es par l’AFP pendant le mouvement des Gilets jaunes. 23 vies brisées. Aucun·e de ces mutilé·es n’aura obtenu la condamnation de son agresseur.
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