Procès du chirurgien pédocriminel Le Scouarnec : « Viols sur ordonnance, encore combien ? »


La toute puissance de la blouse blanche. Plus grande affaire de pédocriminalité jamais jugée en France : quand écoutera-t-on enfin la voix des enfants ?


Joël Le Scouarnec a 74 ans. Il est père de 3 enfants, grand-père, le visage de Monsieur Tout le Monde. C'est un pédocriminel.

Joël Le Scouarnec a 74 ans. Il est père de 3 enfants, grand-père, le visage de Monsieur Tout le Monde. Il est décrit comme “falot” et “passe-muraille”. Un type banal, mais chirurgien dans différentes institutions, dont l’hôpital de Jonzac dans les Charentes-Maritimes ou celui de Quimperlé en Bretagne, un statut élevé dans la société. Il fait partie de cette catégorie d’hommes qu’on dit bien sous tout rapport. Il porte un nom “bien de chez nous”, un nom “bien breton”. Il n’a rien d’un monstre. Oui mais voilà : la fable des monstres n’est qu’une fable. Et Joël est un pédocriminel.

Arrêté en 2017, il a déjà été condamné en 2020 à 15 ans de réclusion pour le viol de sa voisine de 6 ans, d’une patiente de 4 ans, ainsi que de ses nièces. C’est lors de la perquisition que sont retrouvés les journaux intimes du chirurgien, qui dévoilent l’ampleur des crimes. On y trouve par exemple la phrase : “J’ai 48 ans et je suis pédophile”, comme à chacun de ses anniversaires. Il retranscrit pendant 30 ans des milliers de viols et d’agressions sexuelles sur ses patient-es. Un second procès s’est ouvert cette semaine à Vannes.

299 victimes sont connues à ce jour, 158 hommes et 141 femmes, âgé-es de 11 ans en moyenne au moment des faits commis entre 1989 et 2014. “Un viol est une tragédie ; 300, c’est une statistique” déplore l’une des victimes, qui craint que l’ampleur des crimes n’en masque le drame individuel.

La culpabilité de l’Ordre des médecins

“Aucune autorité n’a jamais semblé voir en lui un potentiel danger, pas même lorsque l’hôpital, l’État et l’ordre des médecins ont appris sa condamnation, en 2005, pour détention d’images pédopornographiques” rappelle Médiapart. En effet, en 2004, le FBI alerte les autorités françaises sur les paiements du pédocriminel sur un site pédopornographique russe. Il est entendu à peine 25 minutes par la police, évoque des déboires conjugaux, et ni son domicile ni son bureau ne sont perquisitionnés. Il écope de 4 mois de prison avec sursis sans obligation de soin. Et l’Ordre des médecins ne prononce pas d’interdiction d’exercer.

En d’autres termes : l’Ordre a délibérément choisi de laisser un pédocriminel exercer sa profession, livrant ainsi des dizaines d’enfants au prédateur sexuel. Un acte qu’il est impératif de questionner. Pour comprendre, revenons à la genèse de sa création.

Qu’est-ce que l’Ordre des médecins ? Organisme privé qui a en charge une mission de service public, il a été créé sous Vichy par une loi de 1940. L’Ordre est chargé d’assurer la discipline de la profession, c’est-à-dire le maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie. Avec ses 85 millions d’euros de budget annuel, les détournements de fonds sont fréquents – parmi les affaires connues, l’achat d’une villa avec piscine, notamment.

Il s’agit surtout d’une institution violemment réactionnaire qui, au cours de son histoire, s’est prononcée contre la contraception puis contre l’IVG. En 2018, seuls 9 membres sur 54 étaient des femmes. De nombreux médecins plaident pour sa dissolution, comme en 2022 lors du procès de médecins refusant de payer leur cotisation en Loire-Atlantique. Ils et elles indiquaient : “Le fonctionnement de l’Ordre est opaque, il prend des positions politiques sur le système de santé, avec lesquelles nous sommes en désaccord, alors que ce n’est pas son rôle. Il ne défend pas les patients et ses jugements sont en contradiction avec la juridiction ordinaire […] Ils sont complices d’actes criminels, beaucoup de scandales ont émaillé l’Ordre. Il n’enregistre pas les plaintes des patients abusés sexuellement ou les classe sans suite et n’interdit pas aux médecins d’exercer”.

Comme tout bon boys club bourgeois, l’Ordre des médecins pratique donc l’omertà pour les médecins criminels, comme le révélait un rapport de la cour des comptes de 2019 : «Au cours des dernières années, plusieurs affaires médiatisées relatives à des viols et agressions sexuelles sur patients ayant conduit à la condamnation pénale de médecins, n’ont pas été traitées, sur le plan ordinal, avec la rigueur nécessaire. Les poursuites et sanctions disciplinaires interviennent souvent bien après des sanctions pénales». Le cas Joël Le Scouarnec, évidemment marquant par l’ampleur et le nombre de ses victimes, est pourtant loin d’être une exception, il serait plutôt la règle. «Médecins agresseurs, violeurs : ordre des médecins complice» peut-on d’ailleurs lire sur une banderole déployée devant le tribunal.

58 médecins ont en outre signé une lettre ouverte dénonçant la présence de l’Ordre sur le banc des parties civiles, au côté des victimes. En effet, il doit être sur le banc des accusés.

“Il ne s’est pas posé de question, j’avais la blouse blanche”

Les médecins bénéficient d’un blanc-seing. La toute puissance de la blouse blanche, qu’on retrouve dans les affaires de violences gynécologiques. Au sein de l’institution médicale, ils sont intouchables, comme le révèle une infirmière : “aucune infirmière n’aurait pris le soin de faire remarquer à un chirurgien qu’il ne devait pas examiner un patient seul”.

Le viol est une arme de domination dont les enfants sont les victimes qu’on n’entend pas. Trois associations de protection de l’enfance sont présentes au procès : La Voix de l’enfant, Innocence en danger, Face à l’inceste. Elles sonnent de nouveau l’alarme face à l’ampleur d’un phénomène que personne n’ose regarder en face. Les chiffres sont pourtant connus : on estime que 160.000 enfants sont victimes d’actes pédocriminels chaque année.

Le viol et l’inceste sont une affaire de domination et de pouvoir. Joël Le Scouarnec révèle d’ailleurs dans ses journaux à quel point il se délecte de sa toute-puissance sur ces enfants. Le mode opératoire du chirurgien en est l’exemple : il guette les enfants seuls dans leur chambre, en situation de vulnérabilité. Lorsqu’ils et elles deviennent plus agé-es, il attend d’être au bloc opératoire pour que l’anesthésie les laisse à sa merci.

Beaucoup de ses victimes ne se souviennent pas des faits. En cause, le fait qu’elles aient assimilé les viols à des examens médicaux. L’alibi parfait. Joël Le Scouarnec explique à propos de l’une de ses victimes : “Il est tout à fait possible, voire probable, que pour prétexter cette pénétration anale, je lui ai dit que j’allais l’examiner. C’était un jeune adolescent, il ne s’est pas posé de question, j’avais la blouse blanche”.

Lorsque la victime est adulte, se faire entendre est déjà très compliqué. Lorsque la victime est un-e enfant, c’est mission impossible. Car que vaut la voix d’un-e enfant face à celle d’un adulte ? Encore pire, lorsque celui-ci est une figure d’autorité comme un médecin… un prêtre, ou un directeur d’école. En effet, difficile de ne pas penser à l’affaire Bétharram qui éclabousse jusqu’aux portes du pouvoir à l’heure actuelle.

Les enfants sont toujours les victimes qu’on n’écoute pas. Médiapart révèle les propos tenus par un jeune garçon au moment des faits : “Non ! Pas ce médecin-là ! Il va encore me toucher la quéquette !” Et la mère de répondre «T’en fais pas, c’est normal». Tant qu’on ne se saisira pas collectivement de ces impensés, on est condamné à contempler des affaires de ce genre éclater sur la scène publique.

Dans cette affaire, il faut mettre sur le banc des accusés tous les coupables : Joël Le Scouarnec certes, mais aussi l’hôpital de Quimperlé et tous les hôpitaux qui avaient eu l’information de la condamnation de 2005, l’Ordre des médecins qui a voté pour la non sanction, la police qui n’a pas fait son travail d’enquête, la justice enfin qui n’a pas protégé les enfants lors de la condamnation de 2005. La société, enfin, qui perpétue ces schémas de domination et protège toujours les forts contre les faibles.

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Une réflexion au sujet de « Procès du chirurgien pédocriminel Le Scouarnec : « Viols sur ordonnance, encore combien ? » »

  1. Ce qui est vraiment inquiétant, c’est que le viol d’enfants semble inscrit au patrimoine culturel national. Tout le monde sait, mais personne ne dit rien car « c’est normal » (nos politiciens, les réalisateurs, les présentateurs télé… en savent quelque chose).
    Sans les derniers journalistes d’investigations, sans la presse indépendante, tout cela continuerait sans faire de vague…

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