Lalla Fatma N’Soumer : une cheffe de guerre kabyle contre l’armée coloniale


Lalla Fatma N’Soumer, de son vrai nom Fadhma Sid Ahmed Ou Méziane, est née en 1830 à Ouerdja, en Kabylie. Elle est la descendante d’une dynastie de marabouts lettrés, les Aït-Sidi Ahmad. Certain·es la considèrent comme la réincarnation de la Kahina – «la prophétesse» – reine guerrière berbère qui combattait l’invasion arabe du Maghreb au VIIe siècle.


Femme kabyle au combat, dessinée par F. Philippoteaux.

Elle voit le jour dans les montagnes, au cœur d’une région où cohabitent des tribus guerrières, dans une famille aisée et cultivée. Ironie de l’Histoire ? La même année, le roi Charles X ordonne le début de la colonisation française. 37.000 hommes débarquent sur la côte, la ville d’Alger est prise le 5 juillet. C’est le début de plus d’un siècle d’occupation dont la violence et les crimes contre l’humanité restent largement niés par la France. La récente polémique liée aux déclarations de Jean-Michel Aphatie sur «les centaines d’Oradour sur Glane» commis par les Français en Algérie en est l’illustration la plus récente. Lalla Fatma N’Soumer est l’une des figures de la résistance à l’envahisseur français.

Féministe avant l’heure

Le premier combat d’une femme est le combat qu’elle mène contre le patriarcat. Dans l’Algérie conservatrice de 1830, ce dernier est pourtant implacable. Dès son plus jeune âge, elle convainc son père, qui dirige une école coranique, de lui permettre de s’instruire. Après la mort de son père, l’un de ses frères veut lui imposer un mariage forcé. Elle a 20 ans, mais fait déjà montre d’un caractère intraitable : obligée d’accepter le mariage, elle s’enferme afin d’empêcher la consommation de l’union, qui est ainsi déclarée caduque. Elle ne sera d’ailleurs jamais mère.

Dans un pays où les traditions placent la femme en dehors de la vie publique, réservée aux hommes, elle s’y impose. On la surnomme Fatma N’Ouerdja – en kabyle : celle qui refuse de se plier aux coutumes. Très érudite et très pieuse, elle passe beaucoup de temps à étudier, prier et méditer.

Cette aura quasi mystique ajoute à sa légende, et beaucoup la considèrent comme une prophétesse, d’autant plus que ses analyses tactiques militaires mènent à d’éclatantes victoires contre l’envahisseur. Elle organise de nombreux guet-apens et embuscades contre l’occupant français. Son prestige est si grand qu’on lui attribue le titre de “Lalla”- un titre honorifique signifiant Madame en langue amazhigue.

Lalla Fatma, une femme guerrière contre l’armée française

En 1848, la France crée officiellement les départements français d’Algérie. La Kabylie est une région montagneuse et peu praticable pour une armée régulière. La région devient une poche de résistance contre les Français, qui ne contrôlent en réalité que les régions d’Alger, Constantine et Oran. Ils ne tentent d’ailleurs guère de s’aventurer dans les montagnes, jusqu’en 1854 lorsque le général Randon lance la campagne de Kabylie.

En 1849, Fatma rejoint la rébellion avec son frère Sidi Tahar. Elle se rallie au marabout Si Mohammed El-Hachemi, à N’Soumer, le village dont elle prendra le nom. Elle enseigne aux enfants, organise des œuvres de charité, récolte de la nourriture pour les insurgés. Mais rapidement, elle s’impose surtout comme une véritable cheffe de guerre.

En 1850, elle rejoint Cherif Boubaghla, un proche de l’émir Abdelkader. En 1854, à la mort de Chérif Boubaghla, Lalla Fatma prend la tête de la résistance. En juin, à la tête de 5.000 moudjahidins, elle remporte après deux mois de combats la victoire du Haut Sebaou à Tazrouk, face à 8.000 soldats français. L’humiliation est totale pour l’armée coloniale menée par Charles Wolff, battue alors qu’elle est en supériorité numérique et bien mieux armée. Battue par une femme qui plus est !

Malheureusement la France finit par vouloir mater la résistance kabyle pour asseoir son autorité sur toute l’Algérie. En 1857, 35.000 hommes sont envoyés, et les combattants kabyles, malgré une défense acharnée, perdent le combat. La résistante Lalla Fatma, à la tête des Imsemblen – les volontaires de la mort – est capturée sur le champ de bataille d’Icheriden, surnommée “l’Alesia kabyle”. Elle est envoyée dans les prisons de la zaouia d’el-Aissaouia à Tablat.

La combattante meurt en 1863, à seulement 33 ans. Les terribles conditions de détention qu’elle subit pendant 6 ans, ainsi que le décès de son frère en prison en 1861, auront eu raison de sa détermination.

Redécouvrir Lalla Fatma N’Soumer

La guerrière kabyle tombe rapidement dans l’oubli. Mais depuis quelques années, les féministes algériennes ont redécouvert son combat, et s’en revendiquent. En 1995, ses restes sont mêmes transférés à El Alia, le cimetière des héros et héroïnes nationales.

Le 5 juillet 2020, le collectif Lalla Fatma N’Soumer renomme l’avenue Bugeaud – un militaire colonialiste sanguinaire – avenue Lalla Fatma N’Soumer dans le XVIe arrondissement de Paris. Le collectif explique : «C’est aux figures ayant lutté pour la liberté, l’égalité, la solidarité et l’émancipation de toutes et tous que doivent aller nos honneurs. Leurs combats nous inspirent».

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Une réflexion au sujet de « Lalla Fatma N’Soumer : une cheffe de guerre kabyle contre l’armée coloniale »

  1. Openstreetmap dit que l’avenue Bugeaud a été renommée « avenue Hubert Germain »…

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