Histoire : en 1891, un 1er Mai sanglant dans le nord de la France


Le 1er mai n’est pas la «fête du travail», mais la fête des travailleurs et des travailleuses. La nuance est importante. Avant d’être un jour férié, c’est une journée révolutionnaire, un jour de solidarité internationale contre la répression.


Illustration de la fusillade du 1er Mai à Fourmies en Une du Petit Parisien.

Le 1er mai 1886, 400.000 ouvriers font grève et manifestent aux USA pour la réduction de leur temps de travail. Le 4 mai à Chicago, des affrontements ont lieu, le cortège est durement réprimé, une bombe explose en faisant plusieurs morts. Huit manifestants anarchistes sont arrêtés, accusés sans preuve d’avoir fabriqué la bombe. Sept inculpés sont assassinés, pendus pour l’exemple. L’un des condamnés, August Spies, prononce cette phrase restée célèbre : «Le temps viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui !»

C’est de cette injustice extrême que naît la journée international de grève et de manifestations. En 1889, le 1er mai devient une date mondiale de lutte, en solidarité avec les «Martyrs de Chicago» et pour réduire le nombre d’heures de travail.

En France, à la même époque, le syndicalisme prend aussi son essor. Un syndicalisme combatif, révolutionnaire, qui se donne pour objectif d’organiser le prolétariat pour abattre le capitalisme. Le 1er Mai y devient une date forte, de grève générale pour exiger la journée de 8 heures de travail maximum. Cette journée agrège aussi les colères ouvrières locales.

Par exemple dans la petite ville industrielle de Fourmies, située dans le Nord de la France. La commune compte 7.000 habitants, la majorité travaille dans des usines de textiles. Les patrons veulent y baisser les salaires, inacceptable pour les ouvriers et ouvrières. Dans la région, les conférences de Paul Lafargue, gendre de Karl Marx et penseur opposé au travail – il fait la promotion du «droit à la paresse» – trouvent un écho particulier, et le Parti Ouvrier Français gagne en popularité.

Le 1er mai 1891, les revendications locales se superposent à la solidarité internationale. Les patrons ont fait placarder des affiches menaçantes dans les rues, prétendant que «nulle part les ouvriers n’ont été mieux traités ni mieux rétribués» et annoncent : «On travaillera le 1er mai comme tous les autres jours ; tout mouvement contraire sera sévèrement réprimé».

Dès l’aube, c’est la grève. Les usines sont occupées, des rassemblements ont lieu. Des gendarmes, brutaux, arrêtent des manifestants à la demande des patrons. Un cortège se forme pour exiger leur libération. Une jeune ouvrière, Maria Blondeau, prend la tête de la manifestation qui se rend devant la mairie, et tient avec d’autres femmes un bouquet d’églantines, les fleurs rouges qui symbolisaient alors le 1er mai. Son conjoint tient un drapeau rouge.

Les gendarmes sont agressifs, certains chargent à cheval. La troupe est équipée de nouveaux fusils Lebel, plus puissants, qui peuvent traverser plusieurs corps. Des tensions éclatent. Pour quelques jets de cailloux, les militaires reçoivent l’ordre de tirer sur la foule. La fusillade dure 40 secondes, et tue 9 personnes désarmées, dont deux enfants. Maria Blondeau est l’une des victimes, et devient un symbole de la répression anti-ouvrière. Le curé de Fourmies, l’abbé Margerin, se jette au secours des blessés, mais n’a pas réussi à empêcher le massacre.

Le 4 mai, les funérailles des victimes s’accompagnent d’une grande manifestation réunissant des dizaines de milliers de personnes, encadrée par un énorme dispositif militaire. La République va mettre Fourmies en état de siège, en maintenant pendant une année des soldats et des policiers dans la ville, pour empêcher toute révolte.

Le patronat, qui a du sang sur les mains, lance aussi des représailles. Les ouvriers qui avaient tenté de relancer la grève sont licenciés et exclus des usines des environs. Ils se retrouvent privés d’emploi dans toute la région. Pour survivre, les derniers opposants sont obligés de signer une lettre de soumission par laquelle «ils répudient (…) les agissements de personnalités la plupart du temps étrangères au pays». Le syndicalisme est interdit à Fourmies. Paul Lafargue, accusé d’être responsable de la grève, est condamné pour «provocation à attroupement armé».

Cette répression commise par la République contre le mouvement ouvrier naissant marque l’opinion et contribue à faire du 1er Mai une journée offensive et anti-répression. En 1941 le Maréchal Pétain va transformer cette «Fête internationale des travailleurs», un jour de grève, en «Fête du travail», un jour férié. Le sens de cette journée est totalement inversé : l’extrême droite récupère un symbole social pour en faire une journée patronale célébrant l’exploitation. À la Libération, cette date reste fériée, mais redevient un jour de manifestation.

Même si le massacre de Fourmies et les origines révolutionnaires de cette journée sont souvent oubliées, depuis plus de 120 ans, des manifestations, des actions, des réunions ont lieu chaque Premier Mai partout dans le monde, et restent parfois réprimées.

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