Le tueur de Nahel muté au Pays Basque


La suite logique d’une longue série de privilèges pour les policiers violents.


Un motard de la police comme l'était Florian Menesplier, le tueur de Nahel.

Salaire maintenu, cagnotte à 1,6 million d’euros, soutien total de l’institution policière, interventions personnelles de Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, réintégration malgré un rapport négatif de l’IGPN et mutation au soleil du Pays basque : le meurtrier de Nahel bénéficie de toutes les faveurs, mais se présente en victime.

Il y a quelques jours à peine, nous commémorions le deuxième anniversaire du meurtre de Nahel, 17 ans, par le policier Florian Menesplier. Les images de la mort de Nahel ont fait le tour des réseaux sociaux et provoqué une onde de révolte dans tout le pays. À l’époque, un véritable déchaînement répressif s’est abattu sur les quartiers. La police et les unités anti-terroristes sont lâchées, avec un déferlement de violence qui mutile des dizaines de jeunes hommes : au moins huit éborgnés sont recensés à Nanterre, Saint-Denis, Montreuil, Angers ou Marseille. Dans cette ville, Hedi était laissé pour mort, à Villejuif, des morceaux de main sont retrouvés dans la rue.

Pendant ces 4 nuits, la police a procédé à pas moins de 3400 arrestations. Les semaines suivantes, une justice d’abattage en règle était mise en marche : 95% de condamnations en comparution immédiate, dont 63% à de la prison ferme. 1180 mineurs ont été interpellés et traumatisés.

Pour le brigadier Menesplier, l’histoire est toute autre. On apprend le 1er juillet dans Libération que ce dernier a été muté au Pays Basque, selon les “souhaits de l’agent”. Il y occupera un poste de bureau. C’est donc un cadeau de l’administration à un homme qui va être jugé pour meurtre. Cela n’est que la suite d’une longue liste de privilèges dont il bénéficie depuis 2 ans. Pourtant, ce dernier pense être une victime du système.

Florian Menesplier, victime de la vindicte populaire, ou criminel outrageusement favorisé ?

Le quotidien Libération a révélé le 29 juin dernier le contenu d’une trentaine de pages écrites par le policier lors de ses 4 premiers jours en détention provisoire. Ce document a été versé au dossier d’instruction, à la surprise du policier.

Il révèle l’inversion du réel dans laquelle vit le tireur, persuadé d’être un bouc émissaire. Quand on lit les mots du brigadier, une chose saute aux yeux : il n’a aucun remord. Florian est le pur produit de cette police persuadée d’être en guerre civilisationnelle, un rempart contre “l’ensauvagement de la société”. Pour lui, il n’a commis aucune faute, il a au contraire sauvé des vies. Il se pose en victime : “Je suis en détention pour avoir voulu faire mon travail… J’ai pourtant sacrifié une partie de ces dernières années à protéger ses institutions, lors des mouvements sociaux mais malgré ça ils ont préféré prendre position en faveur d’un jeune délinquant multirécidiviste”, alors même que le casier judiciaire de Nahel était vierge.

Il est persuadé d’être abandonné par le gouvernement : “Le président de la République E. Macron s’est positionné, il a choisi de me sacrifier et donner raison aux émeutiers, en qualifiant mon geste d’inexcusable”.

Salaire et avocat payés par le contribuable

La réalité est littéralement inverse. Depuis le début, il a bénéficié d’un traitement de faveur évident. En 2023, il est soutenu immédiatement par ses collègues, qui n’hésitent pas à mentir pour lui. Ainsi, l’agent présent à ses côtés lors du meurtre affirmera que le véhicule leur «fonçait dessus» au moment du tir et qu’ils avaient donc défendu leur vie.

48h après le meurtre, c’est le ministre de l’intérieur de l’époque, Gérald Darmanin, qui entre en scène et prend une décision administrative de «suspension». Concrètement, cet arrêté permet à l’agent de continuer à toucher son salaire malgré sa mise en examen pour «homicide volontaire» et son placement en détention provisoire.

«La suspension intervient comme une mesure de soutien financier» déclarait même un fonctionnaire du Ministère de l’Intérieur à Libération. L’agent bénéficie également de la protection fonctionnelle, c’est-à-dire que l’État paie les meilleurs avocats aux agents qui ont tué ou mutilé. Cette protection lui a permis de payer ses 15.000€ de caution, ainsi que ses frais d’avocat. En effet, ce sont vos impôts qui paient pour la défense d’un meurtrier. Un meurtrier qui, de plus, s’est retrouvé millionnaire grâce à la cagnotte lancée par Jean Messiah quelques jours après le meurtre et qui collectera 1.636.240 d’euros. Voilà donc la situation ultra précaire dans laquelle se retrouve le pauvre homme après son crime.

Protection médiatique

Tout l’été 2023, les médias ont également affiché un soutien sans faille au policier tueur. On pouvait lire dans l’Indépendant les propos d’un policier narbonnais en Une : “C’est la mort de notre profession”. Sur Le Télégramme, c’était Yann Dupont, secrétaire départemental d’Alliance Police nationale qu’on entendait à Brest dire que «c’est bien l’ensemble de la profession qui est en danger, car plus aucun policier ne pourra intervenir sans craindre la Cour d’assises».

Le Dauphiné libéré, Le Progrès, La Nouvelle République, La Dépêche, BFM… Tous donnèrent la parole aux policiers, sans aucune contradiction en face, afin d’imposer le discours policier comme vérité unique. Tout cela donc à rebours total du sentiment d’isolement de Florian, qui assure lui dans ses écrits que “Le message est envoyé, ma tête sera servie sur un plateau aux médias pour calmer les esprits”. Une déconnexion totale du réel. En novembre 2023, il est remis en liberté sous contrôle judiciaire après seulement 5 mois de détention provisoire. Avec 1,5 millions d’euros en poche, et son maintien de salaire.

Le 6 juillet 2023, le journal local Oise Hebdo, basé à Compiègne, publiait un article qui dressait un portrait du tireur, évoquant son parcours professionnel et sa ville de résidence. On y apprenait qu’il avait fréquenté un lycée privé catholique avant d’officier dans l’armée en Afghanistan notamment, et avait fait un passage par deux unités de police connues pour leur violence.

Il est tout d’abord passé par la compagnie de sécurisation et d’intervention de Seine-Saint-Denis. La CSI 93 est connue pour avoir fait l’objet de pas moins de 17 enquêtes pour vols, rackets, trafics de drogue, violences, falsifications de PV et fausses procédures. Cette compagnie a même frôlé la dissolution tellement elle était corrompue, et n’a dû son maintien que grâce au préfet Lallement. Florian Menesplier a ensuite été recruté au sein de la BRAV-M, l’unité la plus violente du maintien de l’ordre français, créée lors des Gilets Jaunes, et recrutée sur la base du volontariat.

Le jour même de sa parution, le ministère de l’Intérieur avait tenté de faire retirer l’article en interpellant le journal. Les syndicats policiers, tout puissants, ont menacé le rédacteur en chef. Et le soir même Gérald Darmanin annonçait avoir saisi la procureure de la République de l’Oise. Le 22 août 2024, la justice condamnait le directeur de la publication de l’hebdomadaire à payer 4000 euros d’amende dont 2000 euros avec sursis, ainsi qu’à verser 1000 euros au policier au titre du préjudice moral.

Sédition policière

Cette liste à la Prévert des nombreux soutiens dont il a bénéficié ne s’arrête pas là. En mars 2025 lorsque le parquet de Nanterre demande que l’auteur soit jugé pour homicide volontaire, les polices de toute la France font bloc derrière lui. Le syndicat Alliance appelle “tous les policiers, tous grades et tous corps confondus, ainsi que toutes les organisations syndicales, à se rassembler symboliquement pour exprimer leur colère face à cette décision inacceptable” devant les commissariats de France. Cette même police qui crie au laxisme de la justice tous les quatre matins, réclame le permis de tuer pour ses agents depuis des années, alors même que les gouvernements successifs ont déjà largement assoupli les règles. Ce sont des milliers de policiers qui ont quitté le travail sans préavis de grève, donc illégalement, et se sont réunis pour soutenir un meurtrier.

Bruno Retailleau apporte sa pierre à l’édifice le 17 mars, en signant par délégation un arrêté de réintégration à la suite d’une demande de la Direction générale de la police nationale (DGPN). L’IGPN avait pourtant émis un avis défavorable à sa réintégration (fait assez rare pour être souligné). Le collectif Justice pour Nahel a réagi, estimant qu’il s’agissait là d’un “un acte politique fort, une décision d’exception […] le ministre a volontairement écarté la procédure disciplinaire en choisissant de ne pas suivre les conclusions de l’IGPN ”. En effet, Bruno Retailleau ne peut que soutenir le brigadier, puisque ce dernier a rempli une mission qui rentre parfaitement dans l’agenda raciste et sécuritaire du ministre.

Il bénéficie donc depuis le début du soutien plein et entier de toute la chaîne de commandement et du gouvernement. Et le voilà donc prêt à couler de beaux jours dans un bureau du Pays Basque. Une source policière le confirme : “Cette mutation n’a pas posé de problèmes”. Pourtant, mardi 3 juin les magistrats avaient ordonné un procès pour meurtre aux assises. Ainsi, entre le sentiment évoqué par l’agent d’être un “bouc émissaire” et la réalité, il y a un monde.

Une police qui s’imagine en “guerre civilisationnelle”

Cette déconnexion est partagée par l’ensemble de la police qui s’imagine que les institutions sont contre elle, alors qu’elles ne font que se plier toujours plus à leurs revendications. Ainsi, en février 2017, le gouvernement socialiste faisait passer une mesure réclamée par les syndicats policiers et l’extrême droite : la loi sur le «refus d’obtempérer». Elle assouplissait les règles du tir à balle réelle pour les forces de l’ordre.

Depuis, policiers et gendarmes peuvent ouvrir le feu sur un véhicule qui refuse un contrôle ou qu’ils considèrent comme étant en fuite. Pour comprendre l’état d’esprit du policier, il est essentiel de comprendre comment le corps policier se conçoit lui-même. Intéressons-nous au communiqué de presse publié par les syndicats de police Alliance et UNSA Police au lendemain du meurtre de Nahel. Celui-ci est révélateur. Dès le début ils identifient leurs ennemis : “les hordes de sauvages”, c’est-à-dire les jeunes non blancs des quartiers populaires . “Aujourd’hui nous sommes en guerre… Demain nous serons en résistance”. Ce vocabulaire guerrier montre que la police s’imagine comme seul rempart contre un ensauvagement fantasmé venu de l’étranger. Ils vont encore plus loin : “Alliance police nationale et UNSA Police prendront leurs responsabilités et préviennent dès à présent le gouvernement” : menace à peine voilée d’un coup d’État fasciste. Et qu’a fait le gouvernement face à cela ? Rien.

La politique du maintien de l’ordre de plus en plus violente a mis entre les mains de la police des armes toujours plus dangereuses, lui a réappris à tirer avec la mise en place du LBD, et à considérer les personnes non blanches et musulmanes comme le nouvel ennemi intérieur. Le racisme décomplexé affiché aujourd’hui par une grande partie de la classe politique conforte la police dans la justesse de sa “guerre de civilisation”. Dans son combat, elle entend s’émanciper du droit commun et bénéficier d’un régime d’exception (dont elle bénéficie déjà, de fait).

“Un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail” affirmait le préfet de police de Paris Laurent Nuñez en juillet 2023. L’État a créé une caste armée au-dessus des lois et l’assume pleinement.⁩

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