Décryptage d’une manipulation de masse

Depuis l’accord de cessez-le-feu et la libération de captifs, la propagande médiatique bat de nouveau des records. Humanisation et empathie du côté israélien, déshumanisation des palestiniens, usage manipulateur des mots «otages» et «prisonniers», utilisation persistante du mot «guerre» pour minimiser le génocide à Gaza. On vous explique.
Depuis deux jours les médias français, à l’unisson, célèbrent la libération de 20 prisonniers israéliens, comme si leur vie comptait plus que les centaines de milliers de victimes à Gaza. Le quotidien Sud Ouest titre : «Otages à Gaza : Matan, Gali, Elkana… voici le portrait des 20 Israéliens libérés ce lundi 13 octobre». Libération écrit : «Libération des 20 otages israéliens encore vivants : découvrez leurs portraits». Le Monde publie un article intitulé : «Libération des otages israéliens : les images des scènes de liesse à Tel-Aviv». Le Figaro imprime : «Désorientés, souriants, soulagés… Les premières images des otages israéliens du Hamas libérés ce lundi».
Vous avez remarqué ? On suit l’événement au plus proche, les prénoms de chacun des israéliens est martelé dans nos médias pour susciter un sentiment de proximité et d’affection, leurs photos sont diffusées en boucle de même que les scènes de retrouvailles. Et en parallèle, les portraits et l’histoire des centaines de palestiniens libérés sont passés sous silence, ignorée. Leur parcours n’existent pas. Leurs vies n’ont aucune valeur. C’est une forme de suprémacisme. D’ailleurs, Israël a forcé les palestiniens libérés à ne pas parler à la presse ni à faire aucune démonstration publique.
Plus grave, pour qualifier les israéliens tous les médias parlent «d’otages» et non de prisonniers de guerre. Pourtant, quand on regarde leurs profils, ce sont tous des hommes, et en se penchant aléatoirement sur quelques profils, par exemple ceux détaillés avec bienveillance dans les colonnes de Libération, on apprend que le dénommé Matan Angrest est soldat, de même que Nimrod Cohen, ou encore Rom Braslavski, qui est à la fois agent de sécurité armé et soldat.
Si les mots ont un sens, ces hommes ont été capturés les armes à la main dans une situation de combat. Ce sont des prisonniers de guerre, y compris selon le droit, et non des otages. Il n’y a pas de raison de les célébrer comme d’innocentes victimes. A fortiori, ces soldats font partie d’une armée coloniale et criminelle dont les exactions étaient dénoncées bien avant le 7 octobre 2023 par l’ONU et les instances garantes du droit international. Des médias honnêtes auraient dû se contenter de dire que des militaires ont été libérés, comme ils le font quand des soldats russes ou ukrainiens sont échangés par exemple.
Dans leur propagande destinées à victimiser à tout prix les israéliens, les médias français sont d’ailleurs un peu gênés. France Info reconnaît ce lundi 13 octobre que «les autorités israéliennes s’attendaient à voir des otages très mal en point, les premières images des 7 otages sont plutôt encourageantes». Vous avez déjà vu France Info produire le moindre sujet sur l’état psychique des palestiniens libérés des prisons israéliennes après des mois ou années de torture ? Évidemment pas. Alors que de nombreux détenus palestiniens sont morts en détention, ont été violés et détruits physiquement ou psychiquement. Ici encore, c’est du suprémacisme : la vie d’un israélien vaut infiniment plus que celle d’un palestinien selon nos médias. Cela n’est même pas questionné, c’est visiblement une évidence pour les journalistes français.
Ce suprémacisme est répandu jusqu’au sommet de l’État. Macron écrit ce lundi : «Je partage la joie des familles et du peuple israélien alors que sept otages viennent d’être remis à la Croix-Rouge. Mon équipe et moi-même avions encore vu récemment leurs parents […] place à la joie». Il n’a pas un mot pour les captifs de l’autre côté !
Alors qu’en est-il des otages palestiniens ? Plus de 1700 gazaouis arrêtés durant les deux dernières années de guerre dans l’enclave palestinienne ont été relâchés lundi. Le plus jeune n’a que 16 ans, et le plus âgé a 76 ans. Ils ont été capturés et enfermés en-dehors de tout cadre légal, en vertu de lois d’exception adoptées fin 2023, autorisant la détention de «combattants illégaux» de façon prolongée, sans aucun contrôle judiciaire ni accès à un avocat. Or, les civils constituent la grande majorité des «combattants illégaux» selon une enquête du magazine israélo-palestinien +972.
Autrement dit, Israël a enfermé dans des conditions inhumaines des enfants, soignants, journalistes… Et à leur sortie, plusieurs palestiniens ont monté des signes de blessures et de brutalisation. Qui osera rappeler cette vérité : le Hamas semble avoir mieux traité ses otages, y compris militaires, qu’Israël les otages palestiniens ?
À cette liste s’ajoutent 250 prisonniers qui purgeaient une peine depuis de nombreuses années pour des faits violents, par exemple des meurtres ou tentatives de meurtres. Dans ces cas-ci, Israël a fait des choix pour le moins troublants. Des meurtriers du Hamas ont été libérés, mais des leaders palestiniens dont la libération était réclamée dans la liste qui leur était envoyée sont gardés derrières les barreaux.
Par exemple Ahmed Saadat, ancien secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine, un mouvement de gauche anti-colonialiste, reste enfermé. De même que Marwan Barghouti, ancien militant du Fatah, personnalité palestinienne de premier plan, emprisonné depuis 23 ans. Surnommé le «Mandela palestinien», il est une figure centrale de la résistance palestinienne, très populaire, interlocuteur reconnu et figure plutôt respectée. Cet homme est l’un des seuls à pouvoir assurer un rôle politique de premier plan en cas de reconnaissance réelle d’un État palestinien. Pour Israël, il faut absolument priver les palestiniens de toute figure de référence, capable de négocier et d’être audible sur la scène internationale. Il vaut mieux libérer des tueurs que des personnalités arrêtées pour leurs idées et ce qu’ils représentent.
Enfin, et c’est l’une des manipulations les plus graves : la quasi-totalité des médias, y compris «de gauche», continue à parler de «guerre Israël-Hamas». Les mensonges les plus gros sont parfois ceux qu’on ne remarque même pas tant ils sont sous notre nez. Cette expression est un cas d’école de propagande de guerre, un élément de langage de l’armée israélienne, qui est repris sans recul par tous les médias. La «guerre» opposerait donc «Israël», un pays, un peuple, un État, au «Hamas», une faction armée, un «groupe terroriste».
Cette expression transforme totalement la situation, elle renverse le rapport de force. Ce serait juste une opération militaire contre un groupe présenté comme criminel et isolé. C’est comme si on avait renommé la guerre d’Algérie en «guerre France-FLN» ou la guerre du Vietnam «USA-Vietcong». Or, plus personne ne peut le nier, c’est un peuple entier qui est visé. Gaza a été anéantie à 90%, sa population affamée, privée de soin et d’eau courante. Quand l’armée israélienne détruit méthodiquement tous les établissements de santé, tue plus de 300 journalistes, plus de 200 humanitaires et le plus grand nombre d’enfants de toutes les guerres depuis des décennies : ce n’est pas une guerre entre «Israël et le Hamas».
Une guerre oppose des armées. Ici, une puissance coloniale équipée des engins de mort les plus sophistiqués éradique méthodiquement une population civile et ses lieux de vie. Et cette opération ne se limite pas à Gaza car la Cisjordanie est aussi attaquée par Israël.
De même, le Hamas n’est pas seul. Aucun média ne le rappelle, mais le 7 octobre 2023, l’attaque a été menée non pas par le Hamas mais par 10 groupes palestiniens, dont le Jihad islamique palestinien (islamiste) ou le FPLP (communiste). Il faudrait expliquer les raisons d’une telle coalition, et dire que cette attaque qui a mis d’accord de nombreux groupes armés n’aurait pas eu lieu sans un contexte insoutenable pour les palestiniens. Mais cela compliquerait le scénario simpliste et binaire d’une guerre de la grand démocratie israélienne «contre des terroristes » qui n’auraient aucun but sinon la violence.
L’expression persistante de «guerre Israël-Hamas» est criminelle. Elle dissimule l’asymétrie absolue qui existe entre les colonisateurs et les colonisés. Elle masque les propos génocidaires parfaitement assumés et répétés depuis deux ans par les dirigeants israéliens. Si la justice punissait enfin les responsables de la tragédie en cours, les médias français, qui continuent de fabriquer le consentement à l’une des pages les plus noires de l’histoire comparaîtraient devant un tribunal international.
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