Depuis deux mois, les manifestations contre la loi travail et son monde se poursuivent inlassablement. La jeunesse de Nantes a pris conscience de sa force, et rivalise d’audace. Les résistances se généralisent, ainsi que l’habitude salutaire de tenir la rue le plus longtemps possible face à la police.

Jeudi 28 avril, il s’agit donc pour le pouvoir de frapper fort afin d’éviter que la situation ne finisse par lui échapper. Des dizaines de manifestants sont blessés dans un déchaînement policier sans précédent, même à Nantes. La situation est similaire à Paris et à Rennes, où un étudiant est mutilé à l’œil par un tir de Lanceur de Balles de Défense.
On ne joue plus. La police effectue 41 interpellations. 26 personnes sont placées en garde à vue. Le préfet veut du chiffre, mais le week-end approche. Le lendemain, le parquet, qui souhaite également afficher sa fermeté, organise donc une audience de comparution immédiate spéciale à 17h, après la séance habituelle de 14h. Justice d’exception. Les inculpés sont condamnés d’avance dans ce procès médiatique. Jusqu’à minuit, les manifestants se succèdent dans le box, épuisés après 24h de garde à vue. Les profils sont les mêmes que lors des manifestations précédentes : des jeunes majeurs, pour la plupart.
À 14h, un premier manifestant âge de 45 ans est déféré. Il est sérieusement blessé à la main, au moins un doigt est fracturé. L’homme refuse la comparution immédiate et demande l’annulation de sa garde à vue pour motif médical – demande rapidement rejetée. Ce qui est illégal. Il est placé en détention provisoire jusqu’à son procès, le 10 juin. Il sort sous escorte policière afin d’être transféré à la maison d’arrêt de Nantes. Le premier d’une longue série.
Six manifestants sont jugés dans le cadre de l’audience spéciale. Le plus âgé a 22 ans. Pour la plupart, ils n’ont pas de casier judiciaire. On leur reproche leur «participation à un attroupement armée», un chef d’inculpation dont les magistrats nantais ont fait une spécialité locale. Le spectacle commence. Les policiers nantais défilent à la barre pour se plaindre des émeutes hebdomadaires que connaît la ville depuis deux mois. Certains possèdent quelque talent de romanciers, ce qui ne déplaît guère au procureur qui saura lui aussi s’illustrer dans des diatribes grandiloquentes concernant le tour insurrectionnel que prennent les manifestations nantaises. «Les faits, rien que les faits», qu’ils disaient. Quelques BACeux biens connus viennent également toucher leurs dommages et intérêts, comme après chaque manif. La veille, ils blessaient des dizaines de personnes, hommes, femmes, enfants, en toute impunité.
Ce soir, c’est le juge Bruno Sansen qui préside l’audience. Son nom le précède : il est connu pour avoir réussi l’exploit de relaxer un flic que tout accusait, jugé pour avoir mutilé à l’œil un lycéen de 16 ans lors d’une manifestation. En mars 2012, il avait totalement blanchi le policier Mathieu Léglise, qui avait expérimenté les Lanceurs de Balles de Défense sur des mineurs qui manifestaient. Le jeune, qui a perdu l’usage de son œil, n’aura jamais obtenu la moindre réparation à cause de ce juge. Le tireur est toujours en service.
Les peines tombent les unes après les autres, implacables. Le juge s’aligne sur les réquisitions du parquet. Les mois de taule se ramassent à la pelle, systématiquement assortis d’un mandat de dépôt – les inculpés partent directement en prison – et d’une interdiction de manifester pendant au moins un an. Un jeune kabyle de 18 ans qui ne parle pas français, assisté sans que son avocat ne bronche par un interprète qui ne parle qu’arabe, prend un mois. Deux cousins, la vingtaine, prennent deux mois. Un autre tente d’assumer un peu la charge politique des faits qui lui sont reprochés, il a droit à son mois de taule et prend également 2 mois de sursis avec mise à l’épreuve. Le mot de la fin lui revient :
«Vous dites que nous sommes des casseurs. Je dirais plutôt que nous sommes des révoltés.»
Jamais la répression n’aura été aussi violente que sous ce gouvernement socialiste. Le discrédit de ceux qui nous gouvernent est tel qu’il ne leur reste que la violence pour se maintenir. À Rennes, Nantes, Paris ou ailleurs, la jeunesse est marquée dans sa chair par les violences policières, ou jetée en prison par des juges aux ordres. Et la violence des flics se perpétue dans les salles d’audience.
Mais désormais, il est impossible de baisser la tête. Ne serait-ce que par respect pour toutes les frères, toutes les sœurs blessés et inculpés depuis deux mois.
Ils ne nous feront pas taire ! Liberté pour toutes et tous !
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