«Menace d’ultra-gauche» : histoire d’une intoxication médiatique et politique


«À une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire»
Georges Orwell


Macron a évoqué récemment, dans un discours très officiel une terrifiante “mouvance organisée, structurée et engagée dans une démarche insurrectionnelle”. Pas un jour ne passe sans qu’un reportage anxiogène sur «la menace d’ultra-gauche» ou un article à charge sur les mouvements sociaux ne soit diffusé. Ces dernières années, pourtant, nous avons surtout assisté à un durcissement considérable des répressions. Des dizaines de mutilations, voire de morts, causés par les armes de la police. Des assignations à résidence d’écologistes. Des procès de militants accusés sans preuve de «tentatives d’homicide» voir de «terrorisme». Finalement, en agitant le spectre d’une «menace d’ultra-gauche», le gouvernement justifie et légitime à posteriori les attaques qu’il porte à celles et ceux qui lui résistent. Pas l’inverse.

Venons en aux faits. Pour justifier la fuite en avant sécuritaire actuelle, les médias nous répètent à longueur de journée qu’il y aurait une «montée de la radicalité» de la contestation, une «augmentation des violences en manifestation» voire même «une intention de tuer» de la part des manifestants. Bigre. Un tableau effrayant. Mais, même s’ils sont répétés mille fois, ces mensonges ne constitueront jamais des vérités.


Alors, augmentation de la violence ou pas ? Rapide retour historique sur quelques épisodes de luttes en France contemporaine :


  • À la fin du 19ème siècle des mouvements insurrectionnels émergent partout en France alors que les premiers syndicats, fondés par les anarchistes, prônent l’abolition du capitalisme. Dans la première décennie du 20ème siècle, des affrontements très durs ont lieu un peu partout, notamment à Paris, Limoge, Lille ou Nantes, avec des barricades, échanges de coups de feu et incendies de maisons patronales. Quelques années plus tôt, une partie du mouvement anarchiste s’illustrait par des actions particulièrement déterminées, avec des attaques armées contre le Parlement, la police et les patrons. Les émeutes et les attentats font alors la une de l’actualité de l’époque.
  • Dans l’entre-deux guerres, le mouvement social se restructure, galvanisé par la Révolution russe. La solidarité internationale est forte. En 1925 par exemple, deux anarchistes américains, Sacco et Vanzetti, sont condamnés à mort. Des manifestations de soutien réunissent des dizaines de milliers de personnes en France. Des émeutes éclatent dans plusieurs villes, dont Nantes, où la préfecture reçoit des tirs d’armes à feu. En 1936, un mouvement de grève puissant arrache de nouveaux droits en France, alors que des groupes de militants de toute l’Europe partent en Espagne lutter les armes aux poings contre le fascisme.
  • Après guerre. Dès la Libération, des conflits sociaux extrêmement déterminés éclatent pour réclamer de meilleures conditions pour les travailleurs. En 1947, des grèves insurrectionnelles partent de Paris et du Nord de la France pour s’étendre à tout le pays. Entre autres exemples, un avocat est défenestré du tribunal de Marseille par les grévistes qui réclament la libération de manifestants arrêtés. A Saint-Étienne, 30 000 mineurs affrontent les CRS – qui viennent d’être créés par le gouvernement – et les mettent en déroute. Ils vont jusqu’à capturer certaines compagnies et voler leurs armes ! Dans le Nord, les grévistes font dérailler un train et sabotent des machines, l’armée est envoyée. En 1955, d’autres grèves insurrectionnelles éclatent à Nantes et Saint-Nazaire, avec des affrontements particulièrement violents entre ouvriers métallos et CRS, et l’attaque de la prison et du tribunal de Nantes.
  • Est-il utile de revenir sur Mai 68 ? Des millions de grévistes, une pénurie d’essence et de matières premières, des centaines de barricades, des véhicules incendiés, des milliers de policiers blessés. A Nantes, la préfecture est prise d’assaut, à Lyon, un policier trouve la mort. Partout, des usines et des bâtiments publics sont occupés. Une secousse sociale considérable.
  • Dans les années 1970 et 1980, les luttes anti-nucléaires s’illustrent par leur détermination particulièrement élevée. Des chantiers de centrales nucléaires sont attaqués à l’explosif. En Bretagne, le projet de centrale de Plogoff est abandonné après des années d’affrontements quasi-militaires. Des équipements d’EDF sont sabotés ou incendiés dans toute la France. Une péniche accueillant une exposition pro-nucléaire est coulée à Toulouse par une charge explosive. Des manifestations réunissant des dizaines de milliers de personnes se transforment en émeutes géantes.
  • À la même époque, plusieurs manifestations marquent les esprits. Par exemple l’attaque d’un meeting d’extrême droite à coups de cocktails molotov par une manifestation antifasciste – en 1973 – et une manifestation nationale de sidérurgistes lorrains à Paris marquée par des affrontements très durs et même des braquages, en 1979 !
  • Dans les années 1990, la conflictualité de faiblit pas. En 1994, un mouvement spontané part de la jeunesse. Blocus lycéens et manifestations sauvages. Des émeutes éclatent dans plusieurs métropoles, notamment Lyon, Paris et Nantes, où une armurerie est pillée et des barricades allumées sur le cours des 50 Otages. Les syndicats soutiennent les lycéens inculpés jusque devant les tribunaux. L’année suivante, les grèves de 1995 réunissent des millions de personnes. La gare routière de Nantes est incendiée. À chaque fois, le gouvernement doit reculer et retirer ses projets de lois sous la pression de la rue !

Ces quelques exemples ne sont qu’un court aperçu – très incomplet – de la constellation d’agitations diverses de ces dernières décennies. Comme vous pourrez le constater, en réalité, le mouvement social n’a jamais été aussi faible que ces dernières années. Les médias, qui décrivent une «montée de la violence» mentent sciemment, et fabriquent un discours parfaitement inverse à la réalité. À la lumière du passé récent, faire croire qu’une poignée d’affrontements ritualisés pendant la Loi Travail et quelques voitures brûlées représenteraient une «nouvelle menace d’ultra-gauche» est une vaste blague.

Ce qui est une réalité de l’époque actuelle, en revanche, c’est la remilitarisation du maintien de l’ordre. Avec ses nouvelles armes, la police tire à nouveau dans la foule. L’état d’urgence permet à présent aux forces de l’ordre de garder leurs armes à feu en permanence, des manifestants sont très gravement mutilés voire tués, des peines de prison exorbitantes sont distribuées.

Ce qui est tout aussi réel, ce sont les attaques sans précédent du gouvernement Macron, avec une gouvernance ultra-libérale et violente qui ponctionne directement l’argent public pour le redistribuer aux riches, et qui met méthodiquement à sac l’intégralité des conquêtes sociales.

Ce qui est réel enfin, c’est la destruction généralisée de la nature et la catastrophe qui arrive, avec l’extinction des espèces, l’empoisonnement des mers et le bétonnage des terres.

Mais évidemment, le vrai danger semble venir de «l’ultra-gauche».

«À une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire». Georges Orwell

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