Acte XVII – Viser le capitalisme


Alors que le ministère de l’intérieur annonce une participation faible à ce nouvel acte des gilets jaunes, à Nantes, environ 800 personnes se sont déplacées en périphérie de la ville pour une action inédite de blocage d’une zone commerciale.


Le rendez-vous est donné à midi au rond point d’Armor, à Saint Herblain. Un autre rendez-vous a lieu à Pôle sud, à Basse-Goulaine.

Au rond-point l’ambiance est chaleureuse. On retrouve les habitudes des première semaines du mouvement. Qui pensait aux premiers blocage de rond point le 17 novembre, qu’il y aurait encore des centaines de personnes dix-sept actes plus tard ? Certainement pas le gouvernement. C’est donc sous un temps grisâtre que de nombreux gilets jaunes déterminés à poursuivre la lutte viennent prendre des forces avec une soupe populaire servie par le réseau de ravitaillement des luttes du pays nantais et leur zbeulinette mobile.

Rapidement, un barrage filtrant se met en place : les automobilistes sont sensibilisés, des tracts distribués. De nombreuses voitures klaxonnent en guise de soutien, gilets jaune sur le tableau de bord. Acclamations, applaudissements. L’ambiance est joyeuse, la fraternité robuste.

Les forces de l’ordre, elles, se sont rassemblées en nombre aux abords du centre commercial. Même en-dehors de la ville, le dispositif policier est démesuré : CRS, GM, BAC et CDI et BRI ont pris position dans toute la zone et entendent bien ne pas laisser la fête continuer. Quelques minutes seulement après le début du barrage filtrant, une compagnie de CRS charge, jette au sol une femme âgée, envoie des grenades lacrymogènes et même une grenade de désencerclement au milieu de la foule. Cris de fureur et d’incompréhension. Ce qui était toléré au mois de novembre, à savoir un simple blocage de rond-point, est désormais soumis à une violente répression. Envoyer des grenades de toutes sortes sur des manifestants est devenu banal.

Un cortège se forme néanmoins et entre sur le périphérique, avec en tête une banderole de circonstance : « Le capitalisme tue ».

Après un peu de confusion, tout le monde parvient à se rassembler en un seul morceau et vient manifester sur le parking extérieur de la zone commerciale. Direction la galerie commerciale Atlantis, symbole de l’ultra consommation. Les tentatives d’entrer dans la galerie échouent à ce moment, les entrées étant bien gardées par une meute de bacqueux. Le cortège poursuit son chemin sur le parking, où des amas de caddies font office de petites barricades. Plusieurs tentatives d’avancer vers IKEA ou les souterrains de la galerie marchande sont avortées : tirs de grenades lacrymogènes, dispersion. La banderole sera volée par la BAC, à grand renfort de «sale pute» lancé en direction d’une femme qui ne se démonte pas et reste face à eux. «J’ai pas peur de vous les gars», leur lance-t-elle calmement. Le cortège repart dans la zone, repoussé par les lacrymo. Globalement, la police ne sait pas trop comment faire pour expulser la manifestation en-dehors de la zone commerciale et procédera à plusieurs manœuvres hasardeuses et contradictoires, allant jusqu’à noyer de gaz le champ devant le Zénith. La scène rappelle un peu les expulsions sur la zad.

La 4 voies est de nouveau investie par la foule, le rond-point d’Armor également, qui sera le théâtre d’une scène absolument inédite : la CDI qui envoie des grenades lacrymogènes sur… les CRS ! Ceux-ci, furieux, reculent en toussant et crachant, sous les éclats de rire des gilets jaunes.

Il devient impossible de rester en un seul cortège, la division est forcée. Plusieurs dizaines de personnes parviennent à investir le centre commercial. Elles sont expulsées par la police en un temps record : pas question de bloquer l’économie, laissez les français consommer. Les gilets jaunes ressortent, un « cacatov », ce projectile devenue arme d’humiliation massive, est lancé en direction des CRS. Pour autant, la plupart des boutiques du centre commercial baissent le rideau et l’activité de l’après-midi sera bien perturbée. Le Mc Donald se résout également à fermer ses portes.

Globalement, le pari de sortir du centre-ville n’a pas produit de situation à la hauteur des attentes. Si le nombre de participants n’était pas ridicule, il faut toutefois reconnaître qu’il n’y avait pas autant de monde que les samedis en centre-ville. Même dans les luttes, un fossé regrettable demeure entre le monde du centre-ville et celui des périphéries. Par ailleurs, la police a tout simplement déplacé son dispositif, toujours aussi massif et offensif. Néanmoins, il est vrai qu’elle ne pouvait canarder au LBD et à la grenade au beau milieu du parking, ce qui a permis une certaine mobilité du cortège et a empêché les charges extrêmement violentes qu’on peut voir en centre-ville. Les forces de l’ordre semblaient un peu mal à l’aise dans ce décors. Enfin, l’objectif de bloquer l’économie de cette zone a été partiellement atteint, et de ce point de vue c’est une réussite. Il importe de transformer l’essai et de se préparer davantage pour la prochaine mobilisation, afin de mieux développer une intelligence collective à même de nous amener vers des victoires, même petites, même ponctuelles.

La fin de journée est marquée par une chasse à l’homme aussi inutile que dangereuse avec la BAC qui ne trouve rien de mieux à faire qu’à chasser en camion. Douze interpellations sont à déplorer.

Cela n’empêchera pas ce mouvement de perdurer : la prochaine date, c’est le samedi 16 mars à Paris.


Crédit photo : Jeremie Lusseau, Suvann, James, Pressse Océan, Ouest France

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