«Pour moi c’étaient deux voyous qui venaient soit voler ce jeune, soit lui régler son compte [ …] , lorsque d’autres hommes sont arrivés avec un brassard orange autour du bras, que j’ai compris que ce n’étaient pas des voyous mais des policiers»
Ce sont des actes dignes de la police des pires régimes de la planète, ou ceux d’une mafia. Un jeune de 15 ans arrêté, frappé, et embarqué avec un sac sur la tête. Comme pour une exécution. Les syndicats policiers défendent le procédé.
L’adolescent a été arrêté « par erreur » le 9 mars, et relâché. La police française est en roue libre totale, et le durcissement en cours peut mener vers la pire obscurité.
«Des policiers recouvrent d’un sac en tissu la tête d’un mineur
8 mai 2019 Par Pascale Pascariello
Le 9 mars, à Paris, lors d’une interpellation, des policiers ont recouvert la tête d’un mineur de 15 ans d’un sac en tissu, avant de se rendre compte qu’il n’avait aucun lien avec leurs investigations. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique ».
Un jeune homme, la tête recouverte d’un sac de tissu blanc, menotté et plaqué contre la devanture d’un restaurant par un policier. Cette interpellation sidérante a été enregistrée par une passante, le 9 mars, dans le XXe arrondissement, à Paris. Choquée et redoutant d’éventuelles représailles des forces de l’ordre, elle n’a pas souhaité s’exprimer mais a tenu à transmettre cet enregistrement que Mediapart diffuse.
Un mineur de 15 ans avec la tête recouverte d’un sac par un policier, 9 mars 2019, Paris. © Document Mediapart.
Au-delà de l’effroi qu’elles provoquent, les images de cette
arrestation révèlent une nouvelle escalade en matière de violences
policières.
À la suite de la plainte déposée par Alexandre-M. Braun, l’avocat de la famille du mineur, le parquet de Paris a ouvert une enquête le 26 mars pour « violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique ».
Le samedi 9 mars, alors qu’il rejoint des amis dans un fast-food, Khaïs*, 15 ans, est accosté par un inconnu qui lui propose un billet de 50 euros en échange d’un sac à récupérer auprès d’un autre individu. Effrayé, le lycéen refuse cette proposition et rentre dans le restaurant.
Devant la caisse, il s’apprête à passer commande lorsque deux hommes le contraignent à les suivre au fond de l’établissement. « Un des deux, qui était assez sportif, m’a pris par le bras et m’a dit qu’il m’expliquerait, témoigne le lycéen auprès de Mediapart. Arrivés à l’arrière du McDo, ils m’ont menotté et lorsque j’ai protesté, l’un d’entre eux m’a dit “Ferme ta gueule. On va te mettre dans une cave. On va niquer ta race.” J’ai pensé que c’étaient des braqueurs ou des dealers. »
Cette impression, il n’est pas le seul à la partager. Au même moment, un témoin observe terrifié ce qu’il décrit comme « un braquage. Pour moi, c’étaient deux voyous qui venaient soit voler ce jeune, soit lui régler son compte pour une histoire de drogue. Ils l’ont conduit à l’abri des regards. Ce n’est que bien après, à la sortie du McDo, lorsque d’autres hommes sont arrivés avec un brassard orange autour du bras, que j’ai compris que ce n’étaient pas des voyous mais des policiers ».
Ce témoin nous a également montré une photo prise ce soir-là, confirmant la violence des faits, et nous a lui aussi demandé de préserver son anonymat. « Vu les pratiques étranges de ces hommes, je ne sais pas ce qu’ils pourraient me faire si je les dénonce. C’est incroyable que ce soient des policiers. »
À l’extérieur, l’impensable se produit. Après l’avoir violemment plaqué au sol, frappé au visage, l’un des policiers lui recouvre la tête d’un sac en tissu. « J’ai eu peur de ne plus pouvoir respirer. Je leur ai dit “arrêtez, enlevez-le-moi !”. Mais ils ont laissé le sac sur ma tête. J’étais sous le choc », se souvient Khaïs.
À aucun moment les policiers n’ont décliné leur identité auprès du lycéen, situation pour lui « très angoissante », raconte-t-il. Coupé de l’extérieur, il n’a pu se repérer qu’aux sons. Une fois la sirène du gyrophare déclenchée, il comprend donc qu’il s’agit de la police. « Dans leur voiture, je leur ai expliqué que j’avais 15 ans, mais ils ne m’écoutaient pas. »
Khaïs sera ensuite auditionné au commissariat de Bobigny, puis reconduit à son domicile.
Les policiers, qui n’étaient pas ceux qui l’avaient précédemment interpellé, expliquent alors à sa grande sœur Samia* qu’« une erreur a été commise. Mon frère, qui n’a pas d’antécédent avec la police ou la justice, a juste été accosté dans la rue par une personne recherchée. Les policiers l’arrêtent sans même vérifier son identité, sans même lui dire qui ils sont. Et ils se rendent compte bien trop tard que mon frère n’a rien à voir avec leur enquête. Aucune excuse n’a été faite et encore moins d’allusion au sac qu’on lui a mis sur la tête », regrette-t-elle.
Examiné le soir même aux urgences, pour des hématomes au visage et des douleurs au thorax, Khaïs écope d’une incapacité totale de travail (ITT) de 5 jours.
Mais le traumatisme le plus important reste le moins visible. Près de deux mois plus tard, le lycéen dort très peu et vérifie « tous les soirs que la porte est bien fermée. Je tourne moi-même le verrou. J’ai peur qu’ils reviennent. Je n’aime pas trop en parler parce que ça me rappelle le sac sur la tête et c’est très humiliant pour moi. J’ai pensé que j’allais mourir ».
Contactée par Mediapart, la préfecture de police de Paris précise qu’il s’agissait d’une opération conjointe de la police judiciaire de Seine-Saint-Denis et de la Brigade de recherche et d’intervention en vue de « procéder à l’interpellation en flagrant délit des auteurs d’un enlèvement-séquestration, suivi d’une tentative d’extorsion de fonds ».
Mais la nature de l’enquête ne minimise en rien la violence et la dangerosité du mode opératoire de ces policiers. Pour ces faits, la préfecture signale que « l’IGPN est chargée d’une enquête judiciaire suite à une plainte de la famille du mineur ».
Sollicité, le ministère de l’intérieur confirme que le code de déontologie de la police n’autorise absolument pas ces pratiques.
Les syndicats font preuve de davantage de corporatisme. Le secrétaire général d’Alliance Frédéric Lagache assure que « mettre un sac sur la tête d’un mineur n’est pas problématique, c’est pour le protéger ». Cet étrange argument est également soutenu par Philippe Capon, de l’Unsa Police.
Moins catégorique, Yves Lefebvre de SGP-FO rappelle que cette pratique peut être employée lors de l’arrestation de terroristes, tout en précisant qu’« il ne s’agit pas forcément de sacs, mais plutôt de cagoules ou de pardessus pour cacher le visage. Ces méthodes ne sont pas dans les manuels. Mais qu’est-ce qui est dans les manuels aujourd’hui ? ». Question qui peut se poser au regard de la récurrence et de la banalisation des violences policières. « On est toujours borderline », conclut le délégué syndical.
L’avocat Slim Ben Achour, membre du Syndicat des avocats de France, qui a fait condamner l’État pour des contrôles au faciès, estime que cette pratique, en rien protectrice pour un mineur, est dangereuse et porte atteinte à son intégrité physique et à sa dignité.
Il rappelle que « le sac sur la tête est une méthode classique de torture créant une sensation d’asphyxie allant jusqu’à l’évanouissement de la victime. Cette pratique a été dénoncée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme [CEDH] ».
L’avocat ajoute que « dans le prolongement de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, la CEDH fait peser sur les forces de l’ordre un devoir de vigilance et de maîtrise renforcées eu égard à la vulnérabilité des mineurs ».
Par ailleurs, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, stipule « qu’une intervention de police, lorsqu’elle concerne un mineur, obéit certes à la nécessité de faire respecter la loi […], mais elle a surtout pour objectif de protéger contre lui-même tout mineur engagé dans un parcours délinquant ».
Ce qui veut dire, précise Me Ben Achour, que « l’interpellation d’un mineur ne doit pas être menée de manière vexatoire, humiliante ou avec l’usage abusif de la force ».
« J’ai proposé à l’IGPN et au parquet de Paris de visionner la vidéo des faits subis par Khaïs. Ma suggestion est restée lettre morte », déplore maître Alexandre-M. Braun, avocat du lycéen.
« Il ne faudrait pas qu’après que des services de police ont mis un sac sur la tête d’un jeune homme, la justice se bande les yeux. Mon client n’est pas dans une démarche vindicative, mais il demande que justice soit faite et que la vérité émerge dans ce dossier. Le fait que ses agresseurs sont des policiers aggrave son traumatisme : à qui ce jeune homme sans histoire, bon élève, peut-il faire confiance, si des représentants des forces de l’ordre se comportent comme des gangsters ? »
Samia, la sœur de Khaïs, ne parvient pas à regarder cette vidéo : « Voir ainsi mon frère, c’est le voir comme une personne qu’on va exécuter. Je ne me fais pas beaucoup d’illusions sur l’IGPN mais je ferai tout pour que l’enquête aille jusqu’au bout. Ils n’auront aucun moyen de l’enterrer, puisque nous avons les images avec le visage des policiers. »