«Police partout, contre-sommet nulle part» ?
Dimanche 25 août, au milieu de rues désertes du pays Basque.
Dans un paysage de mort, un petit cortège avance à travers la ville d’Hendaye et le Centre de Rétention, transformé pour l’occasion en centre de garde à vue géant où sont enfermés les opposants au G7. Le cortège est encerclé, étouffé même, par des centaines et des centaines de policiers de toutes les unités imaginables. Il y a même deux hélicoptère et un drone survolant les quelques dizaines de personnes qui improvisent cette marche, pour demander la libération de manifestants arrêtés la veille. Auparavant toute personne sortant du campement des opposants dans le but de se rendre à cette marche a été contrôlée et minutieusement fouillée. Une participante, l’air triste, souffle : «c’est le pire contre-sommet de l’histoire».
Retour sur ces dernières journées aux alentours de Biarritz :
ÉTAT POLICIER
Le dispositif répressif est, comme annoncé depuis des jours dans les médias, complètement délirant. Les mots manquent pour le décrire. Pourtant, la France est déjà un laboratoire du maintien de l’ordre depuis des années. Il y a eu les manifestations interdites. Les dizaines de mutilés. Les morts. Il y a eu ce 1er mai, empêché par un déluge de gaz, et des charges contre les syndicalistes. Du jamais vu. Il y a eu les peines de prison, l’antiterrorisme contre des opposants. Les dizaines de milliers de munitions tirées. Il y a déjà eu tout cela.
Mais ce G7 dépasse l’entendement. 20 000 policiers. Des centaines de voltigeurs : ces policiers à moto, qui chassent littéralement les opposants. 5, 6, 10 contrôles simplement pour avancer entre deux rues. Les journalistes retenus, et parfois mis en garde à vue. Le matériel confisqué. Des manifestants en cellule pour des lunettes ou un foulard. Les observateurs de la LDH ou d’Amnesty International arrêtés. Trois jeunes allemands emprisonnés car fichés comme «militants». Les avocats menacés. Les hélicoptères, les drones, les espions… Les précédents sommets – Hambourg, Gênes, Seattle … – étaient évidemment déjà des démonstrations sécuritaires. Mais il était encore possible de défiler dans la ville concernée, ou aux abords immédiats. Dans la France de 2019, c’est littéralement impensable. Toute une région sous cloche. Notre pays est arrivée aux confins de ce qu’un régime « démocratique » peut déployer en terme d’État policier. Quelle sera la suite ?
VILLES FANTOMATIQUES.
Jusqu’à présent, les puissants se contentaient de boucler quelques quartiers d’une grande ville pour se réunir.
Ce G7 en France les surpasse :
Macron privatise non pas une, ni deux, mais bien trois villes. Biarritz, Bayonne, Anglet sont totalement militarisées. Trois villes où les libertés fondamentales sont suspendues. Les alentours le sont presque autant. Le paysage y est post-apocalyptique. Les rues sont désertes, les quartiers fantomatiques. Seulement peuplés d’uniformes divers. Et, parfois, quelques opposants apeurés. Presque surpris d’être là, qui se croisent du regard en cherchant un point de rassemblement. Les commerces sont fermés. Recouverts de plaques. Ambiance de désastre sur des kilomètres.
Du jamais vu.
IMPUISSANCE
Face à cet état de siège, cette violence d’État brute, ces libertés ouvertement bafouées, quelle est la réaction des organisateurs du «contre-sommet» ? L’annulation des actions prévues le dimanche. Un communiqué tombe le samedi soir, se félicitant de la « réussite » de la mobilisation, et annonce la «suspension» des prochains rendez-vous. Plus tôt, ces «organisateurs» avaient mis un service d’ordre pour protéger les banques, les policiers et le commissariat. La «plateforme» a préféré défendre les vitrines que les libertés fondamentales.
La planète brûle, les États se militarisent, le désastre est partout. Mais les modes d’actions altermondialistes n’auront jamais été aussi ridicules, inoffensifs, dérisoires. Si décalés vis à vis de la situation. Malgré tout, des portraits de Macron, pris dans des mairies, seront exhibés devant des dizaines de journalistes le dimanche matin. Beaucoup ne comprennent pas. Le «consensus non violent» prôné par les organisateurs n’aura finalement été ni consensuel, ni même «non violent», puisqu’il a laissé libre court à la violence d’État sans réagir. En organisant un défilé parfaitement inoffensif concerté avec les autorités à plusieurs dizaines de kilomètres du sommet, en ne réagissant pas à l’attaque policière injustifiable du campement anti-G7, en annulant les actions prévues, la «plateforme anti-G7» aura assuré une part du maintien de l’ordre. Le plus grave ? Face aux capitulations répétées, le gouvernement peut se féliciter. Prétendre que son dispositif a fonctionné. Qu’il peut être réutilisé pour mater d’autres contestations. Ces reniements n’ont n’a pas seulement organisé l’impuissance, ils auront légitimé la répression.
IMAGINATION
Qu’est-ce qui a fait défaut ? Sans doute le manque d’imagination. Foncer dans les pièges tendus par les autorités a-t-il encore un sens vu la force de la répression ? Les contre-G7, surtout quand ils n’ont aucune ambition de déranger les puissants, ont-ils un intérêt ? Le triomphe de la force brute lors de ce G7 ne doit pas nourrir d’amertume, mais amener à réinventer d’autres formes de lutte. Les structures classiques n’ont plus d’imagination depuis longtemps, mais les Gilets Jaunes ont montré que l’intelligence collective pouvait tout changer.
Soyons créatifs, insaisissables, réactifs, joyeux, malins.
Soyons là où personne ne s’y attend.
Tout le monde s’accorde à dire que les organisateurs ont offert un triomphe à Macron. C’est catastrophique.
Un tel niveau de compromission, c’est du jamais vu dans l’histoire des contre-sommets. Parfois il vaut mieux ne rien faire qu’une telle démonstration de faiblesse, qui aura des conséquences bien au delà du Pays Basque.
Photos : Pierre Olivier, Rouen dans la rue, Expansive.info, Estelle Ruiz, Stéphane Burlot, Cerveaux non disponibles…