Dans la Meuse, laboratoire répressif du monde qui vient

Ce sont des révélations vertigineuses issues d’une longue enquête de journalistes. Depuis des années, une mobilisation a lieu dans l’Est de la France, près de Bure, contre un gigantesque projet d’enfouissement de déchets nucléaires dans le sol de la Meuse.
Pour tuer cette mobilisation, l’État français mobilise des moyens qu’il faut bien qualifier de totalitaires :
• Des dizaines de personnes placées sur écoute, un millier de discussions retranscrites
• Des «diagrammes» et des fichages d’envergure criminelle
• 85.000 conversations interceptées
• Des journalistes et des avocats surveillés
• Plus de 16 ans d’écoute téléphonique cumulée
• Des empreintes ADN volés sur les sous-vêtements
• Des perquisitions incessantes
• Des procès par dizaines
• Les données de plus de 1000 téléphones aspirés en cachette par des «IMSI catcher»
Cette répression et cette surveillance sont gravissimes. Pas seulement pour le mouvement anti-nucléaire. Pas seulement pour les vies détruites, les intimités fouillées, les personnes emprisonnées. Elles sont gravissimes car Bure est un laboratoire. Une expérimentation. L’État s’entraîne à écraser une lutte écologiste avec des moyens que même Orwell n’aurait pas imaginé. Et demain, cela peut frapper n’importe qui.
Voici des extraits, à lire et faire lire, de l’enquête de Reporterre :
« Des visages pris dans une toile de flèches et de diagrammes. Sous chaque photo : date et lieu de naissance, surnom, organisation. Les individus sont regroupés en « clans », reliés à des lieux et à des cotes du dossier d’instruction.Ce schéma a été réalisé par la cellule d’analyse criminelle Anacrim de la gendarmerie nationale. Cette technique est habituellement utilisée pour résoudre des crimes particulièrement graves.[…] Des dizaines de personnes placées sur écoute, plus d’un millier de discussions retranscrites, des dizaines de milliers de conversations et messages interceptés, plus de quinze ans de temps cumulé d’interception téléphonique : l’information judiciaire ouverte en juillet 2017 ressemble à une véritable machine de renseignement sur le mouvement antinucléaire
[…]
Une partie des scellés est transmise au Bureau de lutte anti-terroriste, une unité de la gendarmerie chargée de la prévention et de la répression des actes de terrorisme. […] Près de 765 numéros de téléphone ont fait l’objet de demandes de vérification d’identité auprès des opérateurs de téléphonie. Au moins 200 autres requêtes ont été faites pour connaître les historiques d’appels, leurs lieux d’émission, les coordonnées bancaires des titulaires d’abonnement, les codes PUK permettant de débloquer un téléphone quand on ne connaît pas son PIN.Au total, 29 personnes et lieux ont été placés sur écoute. Deux militants ont été visés par ces interceptions pendant 330 jours, soit presque un an. […] Plusieurs personnes, finalement non poursuivies, ont eu leurs conversations interceptées pendant au moins quatre mois et pour l’un d’entre eux sur plusieurs appareils. Pour l’association Bure Zone Libre, les écoutes ont duré au moins un an. Si l’on additionne toutes ces séquences, on obtient une durée cumulée de temps passé à écouter les activistes équivalente à plus de seize années !
[…]
D’après les procès-verbaux, la plupart de ces personnes ont été écoutées en permanence par une équipe de gendarmes se relayant derrière leurs écrans. Au total, plus de 85.000 conversations et messages ont été interceptés, selon nos estimations. Et pas moins de 337 conversations ont été retranscrites sur procès-verbal, auxquelles s’ajoutent quelque 800 messages reproduits. […] À plusieurs reprises, les conversations de militants avec des journalistes sont retranscrites et considérées comme des éléments à charge. une journaliste japonaise appelle la Maison de la résistance, un militant lui raconte les faits de destruction par incendie du restaurant. Et les gendarmes de noter : M. « revendique les faits commis le 21 juin 2017 à l’Hôtel du Bindeuil ». Il sera mis en examen.
Au moins neuf lignes téléphoniques, dont celle de l’avocat des antiCigéo, Étienne Ambroselli, depuis lui aussi mis en examen, font l’objet d’une demande de géolocalisation. Deux voitures de militants sont discrètement équipées d’une balise permettant de suivre leurs trajets en temps réel.
[Lors d’un procès] 977 IMSI sont secrètement happés par la gendarmerie. Près d’un millier de personnes viennent sans le savoir d’entrer dans « une base de données » de la gendarmerie.
[…]
La vie quotidienne de dizaines de personnes est scrutée dans ses moindres détails. Les gendarmes interrogent les responsables des grandes surfaces environnantes pour savoir « dans quels commerces les opposants se fournissent ».Un pharmacien reçoit une réquisition pour fournir l’ordonnance de clients ayant acheté du sérum physiologique. La Maison de la résistance, foyer du mouvement, est placée sur écoute téléphonique. Au total 25 perquisitions ont lieu.
[…]
La vie privée des militants est passée au tamis de la surveillance policière : commissions rogatoires à la caisse d’allocations familiales, à la direction des impôts, aux agences d’interim, aux employeurs passés et actuels, à Pôle emploi, aux banques qui gèrent leurs comptes. Les gendarmes savent tout : les prestations familiales reçu, le RSA, la situation de famille, la situation fiscale, le revenu, les virements bancaires, les achats personnels.
[…]
La justice envahit leur intimité la plus physique : trois mis en examen refusent le prélèvement de leur ADN ? Leurs sous-vêtements sont saisis pour en extraire leur empreinte génétique. Un caleçon, des culottes et des serviettes hygiéniques sont photographiées et envoyées aux experts […] Alors qu’il est interrogé depuis quatre heures en garde-à-vue et a spécifié qu’il n’accepte pas de donner son ADN, un mis en examen voit huit gendarmes débarquer dans sa cellule pour lui intimer l’ordre de donner…. sa chaussette, afin d’y prélever ses informations génétiques. C’est donc pied nu dans sa chaussure qu’il sera conduit l’après-midi même devant le juge pour son interrogatoire de première comparution. »
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