Marseille : de la prison ferme pour des CRS ? Quelques remarques


Derrière une peine spectaculaire et médiatique, l’impunité reste la règle


C’est une peine inédite contre des agents assermentés. Lundi, trois policiers sont été placés en garde à vue à Marseille, après le contrôle d’un jeune réfugié afghan dans le cadre du confinement. Les CRS ont frappé le jeune homme, appelé Jamshed, après l’avoir embarqué dans leur camion, et relâché à 30 kilomètres de Marseille, dans un terrain isolé. Ils ont été condamnés pour cet enlèvement suivi de violences, mais aussi pour «faux», puisqu’ils ont rédigé des PV mensongers.

Jugés en comparution immédiate, ces CRS ont pris des peines très lourdes : quatre ans et 18 mois de prison ferme, et ont été incarcérés immédiatement. Un troisième membre de cet équipage, une jeune femme adjointe de sécurité, a écopé d’un an de prison avec sursis.

Mais cette histoire très médiatisée cache des réalités quotidiennes. Quelques remarques :

UNE PRATIQUE COURANTE

Le fait d’arrêter une personne sans papier en-dehors du cadre légal et de la relâcher dans un coin isolé pour l’humilier est une pratique courante à Calais. Les associations qui aident les réfugiés sur place dénoncent depuis des années le fait que des exilés soient frappés, puis abandonnés sans chaussures à plus d’une dizaine de kilomètres, parfois après leur avoir volé ou détruit leurs affaire. Pour le dire autrement, ce qu’ont fait les CRS à Marseille, aussi grave soit-il, s’inscrit dans une pratique «normale», c’est-à-dire pas extraordinaire, du maintien de l’ordre raciste en France.

DES VIOLENCES POLICIÈRES ORDINAIREMENT IMPUNIES

On ne peut que s’étonner de la lourdeur de ces peines, comparé à l’impunité généralisée dont bénéficie d’ordinaire la police. Depuis le début du confinement, des dizaines et des dizaines de vidéos de violences policières accablantes, de personnes frappées à terre, molestées, gravement blessées circulent sans la moindre réaction judiciaire. Ces dernières années, ce sont des milliers d’images d’exactions indéfendables, de tirs dans la tête, de piétinements, de coups, qui ont été mises en ligne, toujours dans l’impunité. Alors pourquoi maintenant ?

LES VIDÉOS À CHARGE QUI QUESTIONNENT

Ces CRS ont été jugés en comparution immédiate – ce qui n’arrive tout simplement jamais – et avec une enquête à charge, puisque des images de vidéosurveillance ont été retrouvées et utilisées en un temps record pour les inculper. La vidéosurveillance est réclamée dans des dizaines d’affaires de violences policières, et il est presque toujours impossible d’obtenir les images. Pourquoi cela a-t-il été possible cette fois ?

UN PROCÈS POUR L’EXEMPLE ?

Alors pourquoi une procédure aussi inhabituelle ? La première hypothèse est celle d’un procès «pour l’exemple», d’une peine médiatique. Alors que les violences policières sont sur le devant de la scène, ces CRS auraient pris une peine spectaculaire pour tenter de contredire les accusations de plus en plus partagées sur l’impunité des agents. Si tel est le cas, la peine sera probablement très affaiblie en appel et ces CRS seront vite sortis.

UN CONFLIT INTERNE ?

Autre hypothèse, ces agents ont été lâchés par le corps policier. Les syndicats de police qui arpentent les plateaux télé ne sont pas montés au créneau pour défendre les CRS impliqués. Il n’y a pas eu de communiqué menaçant ni de polémique médiatique. La hiérarchie n’a pas défendu ses hommes comme elle le fait d’ordinaire, même quand les faits sont accablants. Cela n’arrive quasiment jamais. Comme si les condamnés avaient perdu le soutien de l’appareil policier. Ont-ils été abandonnés ? Et pourquoi ?


Cette condamnation soulève bien des questions. N’oublions pas que la décision répond à la demande du procureur qui est la courroie de transmission du ministère de la justice. Les procureurs, d’habitude, réclament toujours l’abandon des poursuites contre les forces de l’ordre. N’oublions pas non plus qu’il y a un an, un adjoint du procureur de Marseille était directement impliqué dans l’opération de police ayant conduit à la mort de Zineb Redouane, et que le parquet avait tout fait pour enterrer l’affaire.


Ne soyons pas dupes. Les violences d’État sont systémiques et doivent être dénoncées comme telles.


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