Nantes, les comblements de la Loire et l’Erdre


Un «archipel» défiguré par les aménageurs


Si vous longez le tramway place du Commerce, si vous vous promenez le long du château des Ducs, Cours des 50 Otages, ou que vous traversez le triste parking Gloriette, imaginez-vous au milieu de l’eau. Il y a 100 ans, Nantes était un archipel, une ville traversée de cours d’eau et de navires, une ville constellée de ponts.

La ville de Nantes s’est développée autour de la Loire et de son affluent : l’Erdre. À l’époque, c’est un port de l’estuaire qui vit au rythme des marées. Une ville où l’eau est omniprésente. Il faut imaginer le fleuve qui passe au niveau de l’actuel CHU et devant la Place du Commerce. Le quartier Feydeau, en face de la Place du Bouffay, est une île. Il faut imaginer que ce que l’on appelle «île de Nantes» est en fait un archipel, couvert de végétation et d’industries, traversé par des cours d’eaux surmontés de ponts. Le village de Trentemoult n’appartient pas à Rezé, c’est une petite île de pêcheurs. Les bateaux sont partout, en provenance du large ou sillonnant le fleuve et ses affluents. Le voyageur qui arrive de l’Ouest peut apercevoir une ville posée sur l’eau. Des maisons descendent jusqu’aux rives aujourd’hui transformées en béton. Un visage de la ville totalement différent de celui que nous connaissons.

Au début du 20ème siècle, cette omniprésence de l’eau devient un problème pour le développement urbain, pour la circulation de plus en plus dense avec l’apparition de la voiture. L’eau déborde fréquemment, il y a des inondations en 1904, en 1910 et en mars 1919. Les autorités considèrent que la présence du fleuve dans la ville est un problème, en terme d’hygiène et d’aménagement. Combler le fleuve est considéré comme un progrès, une prouesse technique : une domestication de la nature, qui permettra de gagner de la place. À partir de1926 les pouvoirs publics lancent un grand programme de comblement. Les bras de la Loire qui passent devant l’actuelle Place du Commerce et autour de l’île Feydeau sont bouchés. À partir de 1933 on détourne l’Erdre pour créer un grand axe routier artificiel qui deviendra plus tard le Cours des 50 Otages.

Ces immenses travaux sont dirigés par un ingénieur allemand, Karl Hotz. En 1940, quand la France est occupée par l’armée Allemande, c’est ce même Karl Hotz, qui connaît bien la ville, qui sera nommé lieutenant-colonel à Nantes. Le 20 octobre 1941, il est abattu par des Résistants communistes dans le centre-ville. Sa mort provoque des représailles terribles. Les nazis exigent l’exécution de 100 otages, le chiffre est finalement ramené à 50. Il y aura 48 exécutions. Le cours comblé par l’Allemand Karl Hotz sera rebaptisé Cours des 50 Otages, symbole de la violence des occupants nazis, après la Libération.

En résumé, cette vaste opération de travaux est une entreprise de domestication de l’espace au profit de la circulation. Là où passaient le fleuve et la rivière, on trouve à présent de grands axes de circulations, on installe des parkings, à l’époque où la voiture devient reine. On imaginera même plus tard faire passer une autoroute dans le centre-ville, projet heureusement abandonné. Quoiqu’il en soit, en 1946, le visage de la ville est définitivement transformé. Certains journaux et politiciens nantais parlent alors de «vandalisme», on se plaint de la disparition d’une «Venise de l’Ouest», mais il est trop tard. Ces comblements visant à «rationaliser» l’espace de façon expéditive étaient une erreur irréparable. Récemment, la mairie a tenté de rappeler la présence de l’eau en installant un «miroir d’eau» devant le château, à l’endroit où coulait la Loire. Maigre consolation.


Peu de villes en France ont été autant défigurées délibérément.


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