«La ZAD n’est pas morte» : le confinement vu depuis Notre-Dame-des-Landes


Entretien avec des habitants de la ZAD sur le COVID-19 et les luttes qui viennent


«C’est la première fois depuis le début de l’ère industrielle que la nocivité globale des activités humaines chute de manière drastique, à un moment où tout le monde sait que la planète est au bout du rouleau, que l’on a bousillé les possibilités de continuer à l’habiter pour la majorité des être vivants. Cette suspension vertigineuse, on devrait la considérer comme une opportunité historique de décider ce qui devrait se remettre en route ou non».

Comment le confinement a-t-il été vécu dans des endroits aussi peu gouvernables que la ZAD de Notre-Dame des Landes ? Si des précautions ont été prises, le confinement n’a toutefois pas grand sens dans des communautés dont l’activité nécessite des liens et des déplacements quotidiens. Il devenait même absurde quand il exigeait la fermeture des marchés paysans au profit de la grande industrie. Comment ce qui reste une zone d’expérimentation inédite, en rupture avec le capitalisme, s’est-elle organisée en temps de COVID-19 ? Quelles formes de solidarités ont-elles été mises en place dans le sillage de celles qui existaient déjà ? Un entretien par Rouen dans la rue :

«Aujourd’hui, une soixantaine de lieux de vie collectifs sont encore debout et nous sommes plus de 150 habitants à peupler ce bocage. Nous continuons de construire des cabanes et de retaper des anciens corps de ferme. Nous continuons de réinventer des manières d’habiter en commun à milles lieues des solitudes métropolitaines et du cadre familial traditionnel. Nous continuons de nous réapproprier et de transmettre des techniques et des savoirs-faire pour l’autonomie, notamment via des chantiers-école. […]

Pour nous le confinement n’a pas produit une modification radicale du quotidien. Pourtant, on a regardé attentivement l’évolution mondiale de l’épidémie et comme tout le monde […]. Très vite nous avons ressenti le besoin de nous retrouver pour parler de la situation, essayer de faire la part des choses entre ce qui relève d’un mouvement de panique du pouvoir qui de toute évidence avait quelques trains de retard sur la situation et ce qui nous semblait indispensable à mettre en œuvre pour éviter que le virus touche les plus vulnérables d’entre nous. Faire la part des chose ça pouvait vouloir dire regarder avec autant de sérieux l’existence de l’épidémie en France d’un coté, et le développement soudain des privations sociales liées au confinement strict imposé par le gouvernement de l’autre. […]

Ici la notion de confinement ne nous est pas tout à fait étrangère. À deux reprises dans les 10 dernières années (2012 et 2018) nous avons vécu pendant plusieurs mois une forme de confinement assez particulière puisque la ZAD était encerclée par plusieurs milliers de gendarmes qui cherchaient à détruire nos maisons et cabanes. La circulation était devenue très difficile et en même temps absolument indispensable pour éviter l’isolement dans lequel l’État cherchait à nous contenir. […] Nous avons trouvé des manières de se voir pour organiser la résistance aux expulsions, et cette capacité à habiter ce territoire, à s’y déplacer discrètement à utiliser les haies les bois, à maîtriser la géographie d’un bocage ou chaque champ se ressemble et ou l’absence de relief rend très difficile l’orientation. […]

Avec les précautions que nous avons pu choisir de prendre, il était clair que les activités paysannes, le soin des bêtes et des champs n’allaient pas s’arrêter ainsi qu’un certain nombre de constructions en cours. […] Il faut préciser aussi que quand on vit dans des collectifs de 10 ou 15 personnes comme c’est le cas de beaucoup de lieux ici, on ne se retrouve pas isolé et individualisé dans une période comme celle-là. Vivre confinés pour nous c’est continuer de vivre quasi normalement sur la ZAD. […]

Le confinement débutait tout juste et là, le gouvernement appelle publiquement d’un côté à ce qu’une « armée de l’ombre » soit levée, pour soutenir les fermes industrielles dépourvues de leur main d’œuvre détachée pour les récoltes du printemps. De l’autre il ferme les marchés de plein air, dans cette situation, le gouvernement préfère encore faire un cadeau à la grande distribution, à l’agro-industrie et renforcer leur hégémonie. […]

Depuis plusieurs années nous ravitaillons les luttes sociales et écologiques avec les produits de paysans locaux solidaires : bouffes pendant les manifs, sur les blocages et les piquets de grève ; distribution de cagettes garnies aux grévistes de longue durée,etc. Or le confinement a marqué un coup d’arrêt brutal aux luttes en cours. Plus de possibilité de se réunir, de tenir assemblée pour s’organiser. Interdiction des rassemblements et des manifs. Enfermement de chacun chez soi. Abolition de tout espace public en dehors de la virtualité numérique. Constatant que nous n’avions pas les forces de fournir le boulot d’urgence et d’entraide extraordinaire déjà fourni par l’Autre Cantine à Nantes, le réseau s’est concentré sur le maintien des liens et de la composition à même d’engendrer une reprise des hostilités, un retour des luttes et des prises de rue. […]

Depuis quelques temps et malgré le confinement, des formes d’organisation et de discussions se sont trouvées avec des gilets jaunes, des syndicalistes, des étudiants, des écologistes et des paysans. Et ça fait du bien Pour l’instant, nous nous contentons de les faire exister dans le paysage, de sonder les gens un peu partout, le temps de voir ce qui résonne et de scruter les appels publics à redescendre dans la rue qui commence à émerger dans le département comme partout ailleurs. […] Avec la fin du confinement total, le gouvernement voudrait que l’on ne puisse sortir de chez nous que pour travailler et consommer. Il va devoir se faire à l’idée que nous ne nous contenterons pas des applaudissements aux balcons. »


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