Des milliers de personnes ont fêté la musique malgré une féroce répression
«Qu’est-ce qui se serait passé si on avait laissé les gens danser ? Rien. Qu’est-ce qui s’est passé avec une stratégie de la tension par la police ? Le chaos.»
Une personne venue danser.
On se demande parfois par quel prodige la population nantaise parvient à rester aussi calme et raisonnable. Depuis trois jours, la ville est mise en état de siège, des fourgons bleus sillonnent les rues, des blocs de béton ceinturent l’île de Nantes, et le préfet interdit la fête de la musique. Tout ça pour quoi ? Parce que, l’an dernier, un jeune homme est mort à cause de la police et que les autorités font tout pour que personne n’en parle.
Ce 21 juin devait commémorer la triste nuit, il y a un an, durant laquelle plusieurs personnes sont tombées dans la Loire. Des charges et des dizaines de munitions tirées sur des danseurs avaient précipité les personnes présentes directement vers le fleuve. Steve n’est jamais rentré chez lui.
La marche prévue l’après-midi par les proches du défunt est massive. Une déferlante qui avance à pas lents, fortement escortée. Plus de 5000 personnes sont présentes, presque en silence, sur une île déserte. Au moment de la dispersion, devant la fresque sur le quai Wilson, la police a déjà bloqué les ponts qui permettent de retourner vers le centre. Première provocation d’une longue série. Le quai de la Fosse, où un rassemblement festif était annoncé, est entièrement inaccessible, bloqué par des centaines de gendarmes. Grotesque et inquiétant. Déjà, il y a des contrôles et des arrestations. Le préfet est décidé à faire la guerre à la fête. La possibilité même de se réunir est empêchée.
Aux alentours de 20h, c’est sur les pelouses de Bouffay que les premières notes de musique sont jouées. Depuis deux balcons, une fanfare puis une sono mettent l’ambiance. Les terrasses se remplissent. Mais des centaines de forces de l’ordre viennent électriser l’ambiance alors que tout se passe bien. Première charge Place du Bouffay, sans raison. Pour faire peur. Des cagoules et les armes face aux passants et à un couple qui danse la valse. Encore une fois, face aux provocations, le sens des responsabilités de la population est hors du commun : des chants résonnent, des confettis sont lancés. Personne ne veut laisser ces gens armés et dangereux gâcher la fête. Des bars ferment à cause de la police.
Une sono mobile apparaît. Moment de liesse. Elle se met en route, entourée par plusieurs centaines de personnes qui bougent au rythme des chansons. Démarrer un cortège festif dans cette configuration relève de l’exploit. Des gendarmes gazent des gens à l’entrée du Cours des 50 Otages. Mais à Gloriette, c’est un camion sono qui déboule sur un rond-point. La joie redouble, et la foule grossit. Premières salves de grenades lacrymogènes sur des danseurs. Peu importe. C’est à présent une free party mobile qui se déplace dans la ville !
Le long de la Loire, plusieurs milliers de personnes suivent le camion, talonnés par des policiers. La marche est rapide. L’ambiance est excellente, ponctuée de slogans, d’acclamations, et du rythme des enceintes. La rue est à nous ! Quelques tags apparaissent, des feux d’artifice éloignent des ombres malfaisantes. Sous un pont, l’écho des cris de joie se répandent au loin. Il faut à présent retourner vers le centre-ville.
Habilement, cette «fête de rue mobile» entre dans le quartier des Olivettes. Les forces de l’ordre sont extrêmement nombreuses. La nuit est tombée. Dans ces ruelles, la foule est compacte. Des salves de lacrymogènes s’abattent sans s’arrêter sur les fêtards qui s’asphyxient en rangs serrés. La police veut isoler le camion pour le kidnapper. Le cortège se reforme, le camion est toujours là, et la musique aussi ! Nouveau départ. La police charge devant le CHU. Elle est devant, derrière, désorganisée par la situation mais dangereuse. Le camion sono s’échappe, poursuivi par de nombreux véhicules de police. Un feu d’artifice crépite dans la nuit.
Une partie des fêtards retourne à Bouffay. Quelques flammes, des grenades. Le reste de la foule est parti en courant vers le quai de la Fosse. On entend des détonations à Chantiers Navals. Le camion a été rattrapé et ses occupants embarqués. Il flotte une odeur de conflit. Un bouclier et une matraque de la gendarmerie circulent dans la foule, avant de finir dans un feu.
Du gaz partout, encore. Sur le pont Anne de Bretagne, des plots sont mis en travers de la route. Tirs de lacrymogènes au-dessus de la Loire, en pleine nuit. Triste rappel. Les gendarmes avancent sur le pont. Des feux sont allumés sur l’île de Nantes. Un homme reçoit un tir de LBD dans le dos. La fumée flotte au-dessus de l’eau. Chasse à l’homme dans les rues. Sans cette répression aussi ignoble qu’inutile, la fête aurait duré des heures, réuni des dizaines de milliers de personnes dans la bonne humeur et le cortège aurait apporté la musique dans tout le centre-ville. La présence de la police n’a servi qu’à terroriser. À mettre sous tension.
Le préfet a perdu. Ses centaines de flics n’ont pas réussi à empêcher la fête. Cette free party mobile incroyable est la plus belle résistance qui pouvait être opposée à l’arbitraire. Le meilleur hommage qui pouvait être rendu aux victimes de la répression du 21 juin dernier.
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