Terrorisme, antiterrorisme, fascismes, instrumentalisations : faire face


«Où que nous regardions, l’ombre gagne»
Aimé Césaire


Ce samedi, le monde était un peu plus dégueulasse, triste et injuste que la veille. Un enseignant assassiné en pleine rue. Décapité par un fanatique de 18 ans. La photo du crime exhibée presque en direct sur les réseaux sociaux et revendiquée au nom de Dieu. L’horreur absolue, l’indicible, la sidération. Immédiatement, les responsables d’extrême droite paradent sur les plateaux télé. Certains politiciens peinent à masquer leur jubilation, et mettent en cause «l’enseignement de l’arabe à l’école» ou les «islamo-gauchistes». Des appels à la guerre civile, au racisme, au meurtre fusent sur internet. Macron, le visage blême, reprend honteusement le slogan des résistants à la dictature franquiste : «ils ne passeront pas». Quelques mots pour tenter de penser dans la folie ambiante.

➡️ D’un seul coup, la classe politique verse des larmes de crocodile pour les enseignants. Mais avant d’être la cible d’un assassinat, le personnel de l’éducation nationale est, depuis des années, la cible des politiques libérales. Les enseignants sont dénigrés à longueur d’année par les gouvernants et les médias, traités de «fainéants», de «privilégiés», de «profiteurs». Ils réclament de meilleures conditions de travail, alertent sur le manque de moyens, et ne reçoivent pour réponse que le mépris et la répression. Certains se suicident, démissionnent, quittent l’éducation nationale brisés. Mais aujourd’hui, par un obscène retournement, les enseignants deviennent subitement des «héros» dans la bouche de ceux qui les humiliaient. Et l’école, abandonnée et privatisée progressivement par le gouvernement, est déclarée «sanctuaire» par ceux qui l’ont sacrifiée.

➡️ Celui qui vient de commettre le crime atroce en pleine rue est «inconnu des services de renseignement» . Il est «hors des radars» répètent les autorités. Pourtant, Mediapart révèle que l’assassin avait diffusé fin août sur Twitter un photomontage mettant en scène une décapitation et que son compte avait fait l’objet de plusieurs signalements aux forces de l’ordre. Notamment suite à un post faisant l’éloge de la mort en martyr. Il avait aussi été signalé pour «apologie de la violence, incitation à la haine, homophobie et racisme». Enfin, «la demi-sœur de cet homme avait rejoint l’organisation État islamique en Syrie et était recherchée par un juge d’instruction anti-terroriste». Mais le fanatique était «en-dehors des radars». Ce n’est pas le cas de milliers de personnes qui ont, par exemple, manifesté contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui luttent contre les violences policières ou qui ont défilé en Gilets Jaunes. Ces personnes-là sont surveillées, traquées, écoutées, arrêtées pour des motifs dérisoires ou des affaires montées de toutes pièces.

➡️ Il est difficile de différencier le djihadisme et le fascisme : culture de la force brute, de l’autorité, de l’ordre. Les cibles sont les mêmes, il s’agit toujours de s’en prendre aux juifs, à la culture – par les autodafés ou la destruction de vestiges –, aux femmes ou aux homosexuels, en s’appuyant sur la violence et la propagande. Celles et ceux qui s’opposent sont éliminés physiquement. L’horizon politique énoncé par Daesh est de construire un État impérialiste et totalitaire. Le takfirisme est une petite secte sanguinaire dont l’objectif est de provoquer la guerre civile entre musulmans et «mécréants», entre purs et impurs. Une tâche à laquelle s’attellent également fort bien de nombreux dirigeants occidentaux et toute une partie de l’extrême droite lorsqu’ils parlent de «guerre de civilisation». Les deux faces d’une même pièce mortifère.

➡️ L’État Islamique n’est pas une organisation fasciste à proprement parler, mais les filiations entre l’extrême droite et le djihadisme contemporain sont nombreuses. D’abord, ce sont des idéologies de mort. Dans les années 1930, les franquistes criaient «Viva la muerte !» – «Vive la mort» – et les adeptes de Mussolini reprenaient le slogan «Me ne frego» – «La mort, je m’en fous». En 2012, le tueur Mohammed Merah déclarait «j’aime la mort comme d’autres aiment la vie».

Dans les années 1990, les groupes djihadistes vont massacrer en priorité les personnalités de la gauche algérienne. En octobre 2015, 85 manifestants d’extrême gauche turcs et kurdes sont tués par des kamikazes à Ankara. Plus tôt dans l’année, l’assassin antisémite Coulibaly commet son massacre avec des armes fournies par un néo-nazi. L’individu qui a lancé ces derniers jours l’offensive sur les réseaux sociaux contre le professeur qui sera ensuite assassiné faisait partie des cercles de Dieudonné et côtoyait des néo-nazis, des négationnistes, des antisémites. Ceux qui décapitent pour un dessin ou une parole sont des fascistes et doivent être traités comme tels.

➡️ Les responsables politiques qui appellent à mener une «guerre totale» au terrorisme sont les mêmes qui signent des contrats d’armement colossaux avec les dictatures du Golfe – Qatar et Arabie Saoudite – qui apportent un soutien logistique aux groupuscules djihadistes. Ce sont les mêmes qui provoquent des guerres aux quatre coins du globe. Les mêmes qui font d’obscènes courbettes aux royaumes théocratiques pétroliers.

➡️ «Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique». Guy Debord, 1988.

Le terrorisme comme l’anti-terrorisme et le fascisme sont, fondamentalement, les adversaires de toute solidarité, de tout espoir, de toute révolte collective. Ils œuvrent ensemble pour maintenir l’ordre, terrifier, entretenir les méfiances et renforcer le contrôle. Ils cherchent à atomiser, paralyser, brutaliser. Les terroristes veulent imposer leur ordre par la peur, ceux qui prétendent le combattre veulent faire régner l’ordre par le contrôle total et la stigmatisation. Et si l’État policier et «l’union nationale» qui nous sont imposés sont manifestement totalement inutiles pour empêcher un attentat, ils sont en revanche efficaces pour faire en sorte que chacun reste à sa place.


À Nantes, un rassemblement a lieu ce dimanche devant la préfecture, à 15h, en soutien à la famille de Samuel Paty et aux enseignants.

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