Nouveau régime juridique des manifestations : 2 poids, 2 mesures, la porte ouverte à l’arbitraire

Photo : Taranis News

Le dimanche 9 novembre, des prières de rue catholiques à Nantes et à Versailles ont réuni des centaines de participants devant une cathédrale, qui réclamaient la levée de l’interdiction des messes à l’intérieur des églises, prononcée par le décret du 29 octobre 2020 qui fixe les règles du confinement. Ces rassemblements sont ouvertement soutenus et rejoints par l’extrême droite.

Ceci alors que la semaine qui venait de passer avait été marquée par une répression très dure contre des lycéens et lycéennes qui se mobilisaient devant leur lycée contre la gestion catastrophique de la crise sanitaire par le gouvernement. Les jours suivants voient des soignantes et soignants mobilisés devant l’hôpital où ils travaillent se faire verbaliser par des policiers.

Les autorités justifient la tenue autorisée des prières de rue en expliquant que, malgré les restrictions strictes en matière de rassemblements publics sous le confinement, certains pourront se tenir, s’ils font l’objet d’une déclaration préalable et s’ils sont bien autorisés par la préfecture. Les rassemblements, pour être autorisés, doivent remplir un certain nombre de critères, en particulier de respect des gestes barrières, de port du masque etc, en vertu du décret du 29 octobre 2020.

Ont ainsi été autorisés les prières mentionnées, de même qu’un rassemblement d’enseignants, mais seulement d’enseignants. Les élèves n’avaient donc pas le droit de s’y rendre. Était également autorisé, autour de Nantes, un rassemblement à Montbert pour protester contre le projet de construction d’un immense site Amazon. A enfin été autorisé un rassemblement contre la loi de sécurité globale le même soir.

Quel est ce nouveau régime d’encadrement juridique de la manifestation ?

Il importe de revenir succinctement sur la situation d’avant ce deuxième confinement.

Avant même le premier confinement, à Nantes particulièrement, mais aussi dans la plupart des autres grandes villes, les manifestations qui n’étaient pas appelées par des organisations légales, reconnues et disposant d’interlocuteurs pour discuter avec la préfecture, étaient quasi systématiquement interdites. Ceci à la fois par arrêté préfectoral, mais également de fait, avec un dispositif policier sur-dimensionné, de nombreux contrôles préventifs, des arrestations pendant et après la manifestation. Cela n’empêchait nullement des centaines voire des milliers de personnes de défiler, quoique dans une atmosphère souvent anxiogène car suivies de très près par des policiers cagoulés et armés.

Le premier confinement interdit purement et simplement tout rassemblement. Les premières manifestations auront lieu au déconfinement, devant les hôpitaux, et ne suscitent pas l’adhésion générale. L’argument de la crise sanitaire freine les volontés et culpabilisent les individus.

6 mois plus tard intervient ce deuxième confinement. C’est sous celui-ci que certaines manifestations sont autorisées, à commencer par des prières de rues catholiques soutenues par l’extrême droite, et d’autres interdites de fait, notamment celles des lycéens et lycéennes et des soignants et soignantes en piquet de grève devant leur lieu de travail.

Le décret du 29 octobre 2020 précise les conditions dans lesquelles une manifestation peut être autorisée. D’une part, il faut une déclaration en préfecture. D’autre part, il faut que les organisateurs expliquent à la préfecture les mesures qu’ils prévoient de mettre en œuvre pour que les gestes barrières et le port du masque soient respectés.

Ce nouveau régime et son application méritent un certain nombre de remarques

En premier lieu, il colle bien à la législation existante qui exige, en principe, une déclaration en préfecture, avec un parcours défini, suivie très souvent dans les faits d’une discussion avec les autorités pour que « tout se passe bien ».

Mais il restreint considérablement les possibilités de manifester réellement. En effet, la crise actuelle touche à des questions de santé publique, et le discours culpabilisant des autorités porte ses fruits : celles et ceux qui ne respectent pas les gestes barrières et osent voir des ami-e-s ou leur famille sont responsables de la propagation de l’épidémie et sont irrespectueux envers les soignants qui triment à l’hôpital. Ce discours rencontre malheureusement encore un écho important, et fait hésiter même des personnes qui n’y adhèrent pas vraiment. C’est cet argument sanitaire qui permet au pouvoir en place de légitimer toutes sortes d’interdictions à géométrie variable, sur des bases politiques et non sanitaires.

Ainsi, peut-on imaginer que des prières de rues musulmanes auraient pu se tenir aussi sereinement que les prières de rues catholiques ? La rhétorique islamophobe du gouvernement autour du « communautarisme » et du « séparatisme » a préparé le terrain pour qu’un tel événement ne puisse se dérouler sans provoquer un tollé et un torrent d’infamies racistes repris avec délectation par une extrême droite déjà omniprésente dans le champ médiatique.

Par ailleurs, l’injonction à présenter un plan de garantie de respect des gestes barrières amène à imposer une rencontre et une discussion systématiques des « organisateurs » avec la préfecture. C’est précisément ce qui était préconisé par le Schéma national du maintien de l’ordre : les préfectures doivent trouver des interlocuteurs pour que les manifestations se déroulent bien, sans anicroche, et pour que lesdits interlocuteurs aident la police à interpeller les « fauteurs de troubles ». En d’autres termes, il s’agit d’instaurer un climat de délation et de collaboration avec la police pour que les autorités contrôlent la manifestation.

Ce nouveau régime des manifestations permet au préfet d’opérer une sélection politique des collectifs ou organisations qui auront le droit de manifester, et ce sans en rendre compte à qui que ce soit. Il renforce le discours, déjà existant mais que les Gilets Jaunes avaient en partie délégitimé, séparant les « bons » et les « mauvais » manifestants. Ce faisant, il justifie d’emblée la répression, les contrôles préventifs, les violences de la police, qui risquent de trouver un nouveau souffle.

La crainte est également que les organisations connues qui déclarent les manifestations endossent d’elles-mêmes ce rôle de pacificateurs par peur d’être considérés comme responsables d’éventuels débordements.

S’organiser face à l’État autoritaire

Pour résumer, le contexte sanitaire a permis au pouvoir de restreindre considérablement la liberté de manifester. La nouvelle condition de respect des gestes barrières permet au préfet de choisir, pour des raisons politiques, qui il veut bien voir manifester, et qui il veut réprimer. Si cet état de fait n’est pas nouveau, il trouve là une occasion parfaite pour le pouvoir de s’appliquer à fond en se servant de l’argument sanitaire. Le décret du 29 octobre 2020 offre au préfet la base juridique dont il a besoin pour effectuer ses choix politiques en matière d’autorisation ou d’interdiction de manifestation, et donc de distribution ou non d’amendes pour non respect du confinement.

Les manifestations contre la loi « sécurité globale » du mardi 17 novembre constituent un premier jalon dans la reprise de rue nécessaire face à cet État autoritaire. Il conviendra d’en poser d’autres, et de dépasser, ou a minima de contourner, ce nouveau régime juridique des manifestations, pour qu’elles ne sombrent pas dans une aseptisation mortifère ni se transforme en distribution d’amendes généralisée.

En d’autres termes, il faudra rendre cette mesure inefficace. Notamment en étant si nombreux et si souvent que le pouvoir ne peut plus contrôler quoi que ce soit.

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