Des fêtes carnavalesques, joyeuses et amusantes, deviennent l’ennemi de l’État
Depuis deux jours, les médias fustigent le Carnaval de La Plaine qui s’est tenu à Marseille. Relayant abondamment la parole de la préfecture qui déclare que les participant.e.s sont des irresponsables, cette petite fête de rue passe pour une abomination. Une déferlante médiatique haineuse qui rappelle celle relative à la teuf de Lieuron, en janvier dernier, pour laquelle un jeune homme avait été jeté en prison. Une instruction est d’ailleurs toujours en cours dans cette affaire, avec plusieurs personnes placées sous contrôle judiciaire et de grandes quantités de matériel de son saisies au hasard.
À Marseille, le Carnaval de la Plaine a réuni des milliers de personnes. Des chars dénonçant la vidéosurveillance généralisée, passage devant les ruines des immeubles effondrés de la rue d’Aubagne… L’ambiance y était festive et militante. La rue est devenue une piste de danse gigantesque. Des enceintes sont placées sur les rebords des fenêtres aux quatre coins du quartier, quelques caméras de surveillance sont mises hors service et des barrières forment un début de barricade. Plus tard, les chars sont volontairement brûlés, devenant un feu de joie autour duquel les participant.e.s s’amusent joyeusement.
Mais plusieurs dizaines de personnes ont été verbalisées et 9 autres interpellées et déférées ce jour au tribunal. Toute la responsabilité de la pandémie leur est imputée et le ministre de l’Intérieur s’est même exprimé sur le carnaval.
La répression qui s’abat sur ce type d’événement est passablement incohérente. En effet, que dire alors des grandes surfaces bondées entre 17h30 et 19h ? Que dire des rues commerçantes pleines de monde les samedis après-midi ? Des transports en commun, des quais de métro pleins à craquer ?
Quand les puissants et les tenants du maintien de l’ordre décrient avec force les participant.e.s à une fête, et font respecter leurs lois à coups d’amendes, de garde à vue, voire de procès, les frasques des policiers et des magistrats, dans des commissariats ou des restaurants sont passées sous silence et rendent grotesques les hurlements des dirigeants contre le Carnaval de la Plaine.
À arrêter la vie, on provoque la mort. S’il n’est pas question de remettre en cause l’existence du virus, qui est réelle, cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux décisions prises. Voilà un an que nous vivons sous confinement, puis semi-confinement, puis couvre-feu. La vie sociale est interdite. Les lieux de simple rencontre sont fermés. Nous avons juste le droit d’aller travailler et de rentrer chez nous. On nous culpabilise et nous infantilise sans cesse. Nous n’avons pas notre mot à dire sur la santé publique. Les soignant.e.s eux-mêmes sont réprimés s’ils/elles osent manifester.
Dans ce contexte, comment reprocher aux fêtard.e.s du Carnaval de la Plaine d’avoir maintenu cet événement ? C’est au cœur de ce quartier populaire de Marseille que des militant.e.s s’étaient réuni.e.s en 1871 pour soutenir la Commune de Paris. 150 ans plus tard, quoi de plus logique que de maintenir le Carnaval (qui avait été annulé en 2020) ? Ceci d’autant que ces dernières années, la volonté de transformer le quartier avait soulevé une vive résistance des habitant.e.s et des militant.e.s.
Ce Carnaval, loin d’être récupéré et organisé par la mairie (au contraire de nombreux autres, comme celui de Nantes), est populaire et revendicatif, loin des événements très cadrés où rien ne dépasse, où les chars passent pendant que les spectateurs.rices regardent. À la Plaine, tout le monde participe, tout le monde organise. Et tout le monde passe tout à la fois un moment de joie, de revendication politique et de liberté.
Dans ce monde liberticide à tous points de vue, un tel événement est une bouffée d’air et nous rappelle que la crise sanitaire ne doit pas nous faire oublier la lutte. Pendant que les moyens alloués à l’hôpital diminuent toujours, que des lits sont supprimés, que de nombreux soignant.e.s sont en burn-out ou pas loin, que rien n’est fait contre la saturation de la médecine de ville, que les suicides dans la jeunesse se multiplient, il est indécent et incohérent de fustiger un Carnaval, qui amène joie et lutte dans la morosité ambiante.
À Rezé également, dans l’agglomération nantaise, un «carnaval clandestin», comme le nomme la presse, s’est déroulé dans une ambiance magnifique samedi dernier. Notons une différence : la mairie de la commune n’a pas souhaité faire appel aux forces de l’ordre pour faire cesser l’événement. Elle ne se prive néanmoins pas de communiquer sur «l’irresponsabilité» des organisateurs.rices. Il est tout de même notable que ce soient les événements en plein air, qui sont joyeux, qui cassent l’ambiance mortifère, qui articulent à la fois revendication politique et moments d’allégresse, qui soient les plus décriés dans la période.
Sommes-nous condamné.e.s à seulement travailler et consommer ? Pendant que les riches n’ont pas de scrupules à voyager, à louer des hôtels 4 étoiles, à profiter de la crise pour décupler leur fortune ?
Ce n’est pas en attendant un hypothétique «retour à la normale» ou «monde d’après» qu’on obtient gain de cause et que ce monde sera meilleur. C’est dans la rue.
Des sources :
https://www.franceculture.fr/…/quand-marseille-brade-la-mem…
https://marsactu.fr/…/carnaval-de-la-plaine-marseille-le-p…/
https://mars-infos.org/
https://www.facebook.com/Marseille.Revoltee