Bachar El-Assad vient d’être réélu largement en Syrie. Avec 95,1% des voix. Au pouvoir depuis l’an 2000, il entame son quatrième mandat. Alors qu’une révolution a éclaté en 2011, on peut se demander comment il est possible que le président en place à l’époque soit toujours au pouvoir. Plus de 400.000 morts, des millions de déplacé.es et d’exilé.es, des prisons remplies d’opposant.es, constituent un début de réponse à cette question. Quand l’opposition est à ce point massacrée, traquée, enfermée, et que le pays n’est plus qu’un vaste territoire peuplé de personnes déplacées, le peu de votants qu’il reste appuie le régime.
L’arrivée au pouvoir de Bachar El-Assad et ses débuts
Le 17 juillet 2000, Bachar El-Assad succède à son père Hafez, qui a fait de la Syrie un État totalitaire. Il a écrasé toute opposition, instauré une surveillance généralisée et un contrôle des populations, si bien que la société civile est complètement muselée, passive. A son arrivée au pouvoir, Bachar se donne une image de modernisateur qui combat la corruption, qui va développer la Syrie économiquement, avec les attributs de la démocratie libérale. Il suscite ainsi l’espoir de l’avènement d’une ère nouvelle.
Si, dans un premier temps, on voit en effet se développer des lieux de débats politiques (les forums), on voit des textes politiques revendicatifs publiés ouvertement, ce temps ne dure pas. Du jour au lendemain, les forums sont fermés, les médias censurés. Bachar reprend vite les habitudes de son père. Le régime pratique la torture, l’emprisonnement sans procès, offre l’impunité aux forces de sécurité. L’opposition se divise et peine à trouver une base populaire.
Les réformes économique annoncées par Bachar El-Assad à son arrivée au pouvoir n’ont jamais vu le jour. Des pans entiers de l’économie sont détenus par des fidèles du régime. Chômage, sous-emploi, salaires très bas, ont fait qu’environ 30% de la population vivait sous le seuil de pauvreté.
Les débuts de la Révolution
Alors qu’éclatent les Printemps arabes, des rassemblements de soutien ont lieu à Damas, devant les ambassades des pays insurgés. Le 17 février 2011, à Hariqa, 1500 personnes manifestent pour dénoncer le tabassage d’un jeune par la police. Le 15 mars, des milliers de personnes se rassemblent dans tout le pays. Le régime réprime immédiatement les participants et participantes.
Mais c’est surtout à Deraa, dans le sud du pays, qu’éclate la révolution. Le 6 mars, des enfants sont arrêtés pour avoir tagué des slogans scandés dans les rues tunisiennes et égyptiennes. Ils sont torturés, leurs ongles arrachés. Le 18, une manifestation pour réclamer la libération des jeunes et la démission du pouvoir local est violemment réprimée. La police tue 4 personnes. Les premiers morts du soulèvement. Les manifestations s’enchaînent et subissent une répression accrue. Des rafles régulières ont lieu. Le réseau de téléphonie est coupé. Des check-points militaires et policiers s’installent à tous les carrefours.
Le 25 mars, c’est toute la Syrie qui s’embrase. Des manifestations sont organisées dans de nombreuses villes. La réponse du régime est tout aussi impitoyable. La propagande tente de faire passer les insurgé.es pour des gangs armés ou bien des agents étrangers. Des manifestations pro-régime sont soigneusement mises en scène. Tous les médias, radios, journaux, télés, sont utilisés pour faire l’éloge du régime et appeler à mettre fin à la révolte. Les journalistes étrangers sont fortement restreints dans leurs mouvements, quand ils ne quittent pas le pays sous la pression.
Le pouvoir en place devient une machine à tuer. C’est l’escalade. Chaque manifestation compte plus de morts que la précédente. Perquisitions, arrestations, emprisonnement, viols, torture, exécutions, se multiplient. Certaines villes sont assiégées, notamment Deraa. Des corps affreusement torturés et mutilés sont rendus aux familles. La terreur et l’inhumanité à l’état pur. Mais la répression fait redoubler la rage populaire.
La structuration et la militarisation
Le mouvement est très loin d’être monolithique. Il n’est pas non plus encadré par une opposition traditionnelle. Il s’auto-organise, crée ses propres structures, ses propres médias, ses hôpitaux, ses réseaux de ravitaillement d’eau et de nourriture etc.
La militarisation de la révolution, plusieurs mois après le début de celle-ci, la fait entrer dans une nouvelle phase. Des militaires désertent l’armée pour rejoindre la rébellion. L’Armée Syrienne Libre se forme. Il s’agit plutôt d’un ensemble de milices, qui ont chacune leur fonctionnement, leur idéologie, leur code de conduite. Ce n’est pas une armée structurée. Des régions entières sont libérées. Là aussi, la révolution réinvente des façons horizontales d’organiser la vie quotidienne.
Le régime riposte sévèrement aux pertes territoriales en 2012, avec l’aide de ses alliés russes et iraniens.. Artillerie lourde, missiles, bombes à fragmentation, tombent sur les villes de Homs, Alep et Damas. L’horreur a débuté. Bombardements, blocus et famine sont le quotidien des villes assiégées par le régime. Mais les rebelles tiennent toujours. En 2013, Assad attaque la banlieue de la Ghouta au gaz sarin, tuant au moins 1729 personnes. Un empoisonnement de masse inédit depuis le début du soulèvement. Aucune sanction n’a été prise contre Assad, qui se révélait pourtant être l’un des plus grands meurtriers de l’histoire.
Le régime poursuit une politique de la terre brûlée : tuant le bétail et mettant le feu aux récoltes, il affame ainsi la population. Les bombardements d’hôpitaux, d’écoles, de marchés, de boulangeries, font partie de la stratégie gouvernementale.
La montée des djihadistes et l’arrivée de Daesh, le rôle de l’occident et du régime Assad
Le djihadisme fait son entrée un peu plus tard. Il se nourrit bien sûr du climat de mort qui règne. Il se saisit également du problème posé par des gangs opportunistes et criminels qui entrent à l’ASL, en se posant comme rempart face à leurs exactions.
Mais surtout, le régime s’est donné tous les moyens pour que l’islamisme radical se renforce et prenne le dessus. Alors que les opposants progressistes étaient traqués, torturés et tués, Bachar El Assad faisait libérer des islamistes. C’est Assad lui-même qui a permis l’armement et la puissance politique des milices islamistes radicales et en particulier de Daesh. Ce qui lui a donné l’argument ultime pour assassiner la révolution.
Dans ce contexte, Daesh ne pouvait que s’imposer. La barbarie de Daesh a remplacé celle du clan Assad. Flagellations publiques, lapidations, crucifixions, défenestration d’homosexuels… sont la marque de fabrique de l’EI. Les bibliothèques ont été détruites. Les écoles transformées en centre de recrutement et de propagande. La terreur s’est abattue autant sur les combattant.es de l’ASL, sur les militant.es civils, sur les médias indépendants, que sur les islamistes modérés ou même radicaux mais qui ne voulaient pas de l’État Islamique. Pendant des mois, le régime a laissé Daesh en paix. Et c’est l’opposition révolutionnaire qui a combattu Daesh et l’a affaibli, dans un premier temps. Ce qui n’a jamais été relayé par les médias occidentaux. Mais en 2014, Daesh revient sur le devant de la scène en Irak, avec une base populaire très solide. En juin, Mossoul est prise par l’EI, qui récupère toutes les armes lourdes abandonnées par les militaires en fuite, ainsi que les banques. C’est avec cette puissance renouvelée que Daesh est revenu en Syrie, conquérant des provinces entières face à l’ASL et aux milices islamistes. Pendant tout ce temps, l’ensemble de la « communauté internationale » a regardé sans rien faire. Assad, et les pays occidentaux, n’ont réagi que quand Daesh s’en est pris au régime. Assad a bombardé l’ASL quand elle combattait Daesh… Pour les révolutionnaires syriens, l’intervention occidentale n’était pas franchement salvatrice. En effet, elle ne soutenait pas la rébellion, voire bombardait certaines de ses positions. Elle avait pour but d’attaquer Daesh, mais en maintenant Assad au pouvoir, comme s’il constituait un rempart face au djihadisme, alors que c’est lui qui a permis la montée en puissance de l’EI. Pendant que l’occident se taisait. Et laissait Assad massacrer le peuple syrien.
Puis, de septembre 2014 à janvier 2015, à Kobané, l’ASL et les YPG-YPJ kurdes (hommes et femmes) ont repoussé Daesh ensemble. L’année 2015 est marquée par un net recul du régime face à la révolution : le soutien populaire à Assad est de plus en plus faible. Mais cela ne l’empêche pas de poursuivre ses exactions. Des grandes villes sont devenues des champs de ruines. Plus de la moitié des enfants ont été déscolarisés. Plus de la moitié des hôpitaux ne fonctionnent plus, de même que les systèmes d’eau et d’assainissement, provoquant la propagation de maladies graves. Les structures révolutionnaires se sont organisées pour pallier à ces problèmes, mais ne pouvaient clairement pas tout faire. Le régime a bloqué l’aide humanitaire, qui a mis du temps à se mettre en place.
Pour se rendre compte de la situation : en 2015, 4 millions de personnes avaient quitté le pays. 7,6 millions de personnes avaient été déplacées à l’intérieur, souvent plusieurs fois. On estime à environ 400.000 le nombre de personnes tuées par le régime.
Où en est-on aujourd’hui ?
La presse occidentale s’est épanchée sur la victoire contre Daesh. Si on ne peut que se réjouir de la défaite du fascisme de l’EI, encore qu’il reste des poches, des cellules infiltrées et des camps de prisonniers gigantesques, il ne faut pas perdre de vue que l’intervention occidentale a aussi eu pour effet de maintenir Bachar El-Assad au pouvoir, et de contribuer à écraser la révolution syrienne.
C’est ce même homme qui vient d’être réélu à la tête de la Syrie au terme d’élections fantoches, et soutenu de fait par les pays occidentaux. Si la rébellion armée est presque vaincue de nos jours, il n’en demeure pas moins que l’idée révolutionnaire est toujours présente, et que la lutte contre le régime ne mourra jamais.
Cet article est basé sur l’ouvrage Burning Country, de Leila Al-Shami et Robin Yassin-Kassab.