Fous de la gâchette


Explosion des tirs policiers à balles réelles ces dernières années


Après celle qui a eu lieu à Stains, une deuxième fusillade de policiers contre un véhicule a eu lieu ce mardi à Rosny. La deuxième en 48h en banlieue parisienne. C’est le symbole d’une militarisation de la police et d’une importation des standards américains : un refus d’obtempérer vaut la peine de mort. Dans le même temps, on apprend que le mitraillage du conducteur et de sa passagère par des policiers sans brassards ni uniforme à Stains n’est pas considéré comme une tentative d’homicide par la justice. 8 balles tirées en quelques secondes ne visaient pas à tuer.


Revenons en arrière. À Paris, dans la nuit du 14 août 2018, une voiture démarre pour esquiver un contrôle. Suite à cette incivilité courante, plutôt que de relever la plaque d’immatriculation, un policier saute sur le scooter d’un passant pour engager une folle course poursuite dans les rues. Alors que la voiture se retrouve bloquée, le policer dégaine son arme. Braque le conducteur. Fait feu. Touche sa cible grièvement. Il sort l’homme agonisant du véhicule et l’écrase par terre. Romain, 26 ans, meurt dans les minutes qui suivent.

Le 3 juillet, quelques semaines plus tôt, un drame comparable a lieu à Nantes. Le jeune Aboubacar est abattu au volant de sa voiture, dans une rue de son quartier, d’une balle dans le cou, par un CRS qui expliquera plus tard avoir tiré «par accident». Le 26 janvier déjà, un policier avait vidé son chargeur sur une voiture au milieu de l’autoroute A86, à Villeneuve-La-Garenne. Son conducteur de 19 ans avait reçu deux balles dans le corps. Une vidéo de la scène, prise par un automobiliste et diffusée quelques jours plus tard, prouvait l’absence totale de légitime défense. Le 20 mai 2017, Jérôme, paysan bio de 37 ans, est abattu en Saône-et-Loire, au volant de sa voiture alors qu’il voulait échapper à un contrôle administratif de sa ferme. Quelques années plus tôt, à Carcassonne, un policier avait tiré des coups de feu sur une voiture conduite par une femme de 31 ans, qu’il avait «confondue avec un malfaiteur».

Dans la nuit du 2 au 3 février 2019, un policier de la BAC de Nantes dérangé par «des éclats de voix» dans la rue alors qu’il était chez lui sort avec son arme. Une bagarre éclate. L’agent tire sur un homme, le blessant gravement. «Il y avait consommation d’alcool de part et d’autres» explique le procureur. L’affaire sera classée sans suite. Au mois d’avril 2020, à Noisy-le-Grand, en banlieue parisienne, un policier fait feu avec son arme de service sur son voisin qui «faisait du bruit». L’homme, gravement touché dans son propre domicile, frôle la mort. Au moment des faits, l’agent s’est «mis en scène sur Snapchat», en arborant son arme dans son pantalon puis avec une photo du sol maculé de de sang, avec ce sous-titre : «J’ai tiré».

Ces événements sont de plus en plus fréquents. Il n’est plus exceptionnel de voir les forces de l’ordre sortir leur arme à feu, voire même de tirer sur des véhicules ou des individus. En 1995, lorsqu’il est distribué pour la première fois par le gouvernement français, le Flash-Ball Super Pro est pourtant présenté comme une «arme anti-bavure», qui permettrait au policier de tirer sans tuer. En réalité, l’arrivée du Flash-Ball n’a pas rendu la gâchette des policiers moins facile. Les gardiens de la paix tirent même d’avantage à balles réelles.

Durant la campagne présidentielle de 2012, les policiers manifestent, en arme, dans des véhicules de police, sur les Champs-Élysées, pour réclamer une «présomption de légitime défense» – autrement dit, un permis de tuer –, revendication vite reprise par les candidats du FN et de l’UMP. La mesure sera mise en œuvre par le Parti Socialiste qui «assouplit» en 2017 le cadre de la légitime défense et étend l’usage des armes à feu. Les policiers obtiennent le droit de tirer non seulement pour se défendre, mais aussi pour «défendre un lieu sous leur responsabilité» – on devine les interprétations qui peuvent être faites dans le cas de luttes contre des grands projets –, «lorsqu’ils doivent empêcher un détenu de s’échappe» mais aussi «pour empêcher une voiture de se soustraire à un contrôle». Dès lors, il n’est plus exclu de brandir un pistolet comme une menace. En 2020, dans le cadre de la «Loi de sécurité globale», le Parlement vote l’autorisation, pour les policiers, de se promener armés dans les établissements publics. Une mesure qui s’inscrit dans la continuité de l’état d’exception : dès 2015, le gouvernement avait autorisé les policiers à garder leurs armes en dehors du travail.

L’arrivée des armes «non létales» n’aura réussi qu’à banaliser le fait de tirer en direction d’individus : de généraliser l’acte de presser sur la détente. Depuis 2016, les tirs à balles réelles par la police ont augmenté de 54%. En 2019, le Ministère de l’Intérieur commande simultanément plusieurs di­zaines de milliers de grenades pour le maintien de l’ordre, et 25 millions de cartouches destinées aux fu­sils d’assaut dont sont dotés tous les policiers depuis les attentats. Les autorités elles-mêmes s’alarment dans une note confidentielle du nombre de tirs «ac­cidentels» ou commis «par imprudence» avec ces armes de guerre.


Ce texte est extrait de l’ouvrage «Nous sommes en guerre» sur la militarisation de la police, qui paraîtra début septembre aux Éditions Grévis.


Vidéo de la fusillade : https://twitter.com/BlackLukaFa/status/1427652638938701826

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