Le pouvoir n’a plus aucun respect pour la réalité
La fausse augmentation du point d’indice
Le 28 juin Stanislas Guérini l’annonçait pompeusement sur Twitter : « C’est la plus forte augmentation depuis 37 ans ! ». Une augmentation de 3,5% du point d’indice, qui sert à calculer les salaires des fonctionnaires et qui était gelé depuis une dizaine d’année. Un dégel, donc, mais quand même moins rapide que celui du permafrost en Sibérie : ce qui est annoncé comme une revalorisation historique par Guérini n’est en réalité qu’une énième baisse de salaire pour les fonctionnaires. En effet, rapporté à l’inflation on se rend vite compte que le salaire réel des agents de l’État baisse de 2% en moyenne sur l’année. Il s’agit même de la troisième plus forte baisse de salaire de ces trente dernières années, la pire baisse se situant sur l’année 2021 (-2,8%).
En réalité la dernière fois que le salaire des fonctionnaires a augmenté, c’était en 1998 (+0,9%), alors que la gauche plurielle faisait encore croire aux électeur-ices qu’elle allait tenir ses promesses. Guérini présente en même temps un graphique de son ministère, où la hausse du point d’indice est en effet incontestable. Pourtant on voit dans les chiffres ce qu’on veut montrer, et d’autres internautes permettent de relativiser cette hausse, notamment les chercheurs Julien Gossa et Emre Öngün.
Les macronistes peuvent toujours hurler que les fonctionnaires sont augmenté-es, la réalité est que leur salaire n’a jamais été aussi faible. L’augmentation historique n’a d’ailleurs eu lieu que pour une seule raison : les agents de catégorie C auraient été payés en-dessous du salaire minimal si le point d’indice n’avait pas bougé.
La paie augmente, pas les salaires
Concernant les profs plus particulièrement, on vous a déjà dit qu’on ne faisait aucune confiance au nouveau ministre de l’Éducation Pap Ndiaye. Dès le début de son mandat, celui-ci s’illustre par un double foutage de gueule : d’abord en proposant d’augmenter les salaires des plus bas échelons, ensuite en soumettant l’idée de nouvelles primes. L’augmentation de salaire des bas échelons paraît être une bonne idée. Difficile en effet de lutter contre l’augmentation des personnes les plus précaires financièrement. Mais la méthode interroge : Blanquer l’a fait sous forme de prime, Pap Ndiaye fera probablement de même. Cela permet à la fois de ne pas toucher à la grille salariale des enseignant-es, et surtout cela permet de ne pas prélever de cotisations.
Une prime n’est pas un salaire, on en voit le résultat net directement sur la fiche de paie, ça maximise ainsi la satisfaction immédiate des salarié-es mais ça participe aussi à la casse du système de protection sociale. Si les profs sont contents dans l’immédiat, ils le seront beaucoup moins lorsqu’ils seront malades ou en retraite. Pour faire simple, Pap Ndiaye lance des croquettes aux jeunes profs parce qu’il ne parvient pas à recruter, mais ces croquettes ne sont pas faites pour durer !
La charge de travail et les inégalités augmentent
La deuxième promesse du ministre sonne plus comme une menace. Il promet «une part salariale conditionnée à des tâches nouvelles» pour «ajouter un bonus pour ceux qui voudront aller plus loin». En d’autres termes, il ne propose pas d’augmentation de salaire mais une augmentation des IMP, les Indemnités de Mission Particulière qui existent déjà. Pour faire simple, en plus de l’enseignement, les profs doivent assurer d’autres missions comme gérer le réseau numérique, commander du matériel ou assurer le lien entre un lycée et les collèges de son secteur, etc. Pap Ndiaye réinvente le « travailler plus pour gagner plus », mais les conditions de travail sont déjà extrêmement dégradées dans l’Éducation Nationale. L’augmentation des missions particulières peut donc engendrer deux phénomènes : soit les profs réaliseront mal ces missions car déjà au bout du rouleau pour leur enseignement, face à des classes à 35 élèves avec des heures supplémentaires imposées ; soit ces missions reviendront aux enseignant-es qui ont déjà, actuellement, les meilleures conditions de travail, et notamment les agrégé-es qui ont moins d’heures de cours et sont mieux payé-es. Soit on dégrade encore l’école, soit on augmente les inégalités : super idée Pap !
L’arbitraire augmente
Mais il s’agit aussi d’une forme d’autonomie qui ne dit pas son nom. Chaque bahut dispose en effet d’un certain nombre d’IMP, qui sont ensuite réparties par les chef-fes d’établissement. La multiplication de ces primes revient donc à accorder davantage de pouvoir aux chef-fes, qui pourront décider d’en donner en priorité aux profs les plus serviles, ou au contraire d’empêcher les profs un peu trop vindicatifs de bénéficier de ces primes. Pour assurer le fonctionnement de l’école sans accrocs, le ministre veut favoriser le copinage et l’arbitraire au sein de chaque établissement.
Les profs, ces feignasses
Bonus : dans la même interview au Parisien, Pap Ndiaye n’a pas parlé que des salaires. Le ministre a aussi évoqué l’absentéisme des profs, qui ont l’outrecuidance de ne pas toujours tomber malades pendant leurs six mois de vacances. Pour que l’école continue à jouer son rôle de garderie, il veut que les profs se remplacent entre eux et s’échangent des cours pour pouvoir rattraper leurs heures. Cela paraît non seulement infaisable du point de vue des emplois du temps incompatibles, hormis quelques heures de-ci de-là , mais cela va aussi à l’encontre de tout principe de droit du travail. On ne parle même pas des formations qu’il voudrait placer sur les temps de vacances, puisqu’il est bien connu que les profs ne font rien dans ces périodes, ni corrections de copies, ni préparations de cours…